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Les sondages et les municipales de 2001 (1) : Lendemains qui déchantent ?

par Henri Maler,

Décidément rien ne va plus dans le petit monde des sondomaniaques. Après avoir abondamment commandé et commenté des sondages sur les intentions de vote aux élections municipales, les médias, sous la plume ou par la bouche de quelques journalistes tardivement avisés, constatent que les sondages se sont "trompés" ou ont été "trompés"

En une chronique et deux articles, le "bilan" est tiré

Une chronique ...

Ainsi, Pierre Georges commence ainsi sa chronique du Monde daté du 13 mars 2001(parue sous le titre " Les insondables ") :

" ALLONS, ne jetons pas la pierre aux sondeurs ! Ils se sont un peu, beaucoup trompés ? On les a trompés ! Ce peuple de France est devenu insondable, qui ment précisément comme il est sondé. "

Et de poursuivre quelques lignes plus loin :

" Ce peuple est insondablement franc. On lui demande, par sondage : avez-vous arrêté votre choix ? Et un petit tiers, un bon quart des citoyens consultés répond non. Non, pas encore. Non, je suis dans l’indécision. Non, je me déciderai au dernier moment. C’est terrible, un sondé-indécis-zappeur-électeur ! Bien plus terrible que le mythique " bobo ", cet étrange mutant, c|ur à gauche, fric à droite, dont on nous a dit qu’il ferait l’élection. C’est terrible, un citoyen dont on ne peut savoir de quel pied politique il se lèvera, le beau et bon dimanche. "

Ainsi, ce ne sont pas les instituts de sondage qui se sont trompés, mais le peuple qui a trompé les instituts de sondage. Le propos est ironique ? Soit ! Mais cette ironie pourrait également s’exercer sur les médias eux-mêmes qui se sont trompés sur la valeur des sondages et ont trompé les lecteurs-auditeurs-téléspectateurs sur la signification des sondages. Pour quelques précautions prises, quelle débauche de commentaires inspirés !

Pas de quoi refuser et encore moins interdire les sondages, mais de quoi s’interroger : la publication et les commentaires des sondages ont à ce point envahi les médias, que les " débats démocratiques " ( dont ces mêmes médias prétendent être les principaux garants) a surtout consisté à discuter (et à faire discuter) des sondages qu’à présenter les projets en présence.

...Et deux articles

Encore fallait-il, pour que l’aveuglement soit complet... laisser la parole aux sondeurs. C’est ce que se sont empressés de faire Libération et Le Monde, dans deux articles symptômatiques, parus le même jour.

 Le premier est signé Didier Hassoux, dans Libération du mardi 13 mars 2001 : " Pas de mea-culpa chez les sondeurs. Ils revendiquent le "principe de précaution" sans avouer leurs erreurs " ;
 Le second est signé dans Gérard Courtois dans Le Monde daté du 14 mars 2001 : " Les instituts de sondage répliquent à leurs accusateurs ".

A la seule lecture des titres, on a compris que Libération affecte de plaider pour l’accusation des sondeurs, alors que Le Monde laisse entendre qu’il a pris le parti de les défendre. Insolence apparente et déférence convenue sont pourtant les deux mamelles de la presse, du moins quand elle renonce à s’interroger sur son rôle.

Comment pourrait-il en être autrement quand ces articles se bornent pour l’essentiel à donner la parole ... aux responsables des instituts de sondage : Pierre Giacometti pour Ipsos, Philippe Mechet pour la Sofres, auxquels il faut ajouter, en supplément et en exclusivité pour Libération, Stéphane Rozès pour CSA-Opinions. Sans doute était-il légitime de s’adresser à eux, puisqu’ils étaient directement mis en cause. Mais que retenir de leurs déclarations ?

 C’est la faute aux électeurs. " Selon Pierre Giacometti, le citoyen est devenu un "électeur caméléon" qui se confond avec le paysage dans lequel il évolue. Pour la Sofres, Philippe Mechet constate que "les Français se décident au dernier moment. Dans la semaine précédant le vote, voire juste avant de pénétrer dans l’isoloir ". " Ou encore : " " Vous interrogez des gens par téléphone sur leur intention de vote au second tour alors qu’ils ne savent même pas pour qui ils vont voter au premier ", raconte Philippe Mechet. " Les gens peuvent nous mentir, renchérit Pierre Giacometti. Nous ne sondons pas encore les esprits des personnes interrogées. " " (Libération). Comme le relève l’auteur de l’article, cela vaut au moins aveu du " "bricolage"dans les techniques employée...

 C’est la faute aux responsables politiques et aux commentateurs. Ainsi Pierre Giacometti : " il retourne volontiers la critique contre les responsables politiques : " Ils continuent à croire qu’en février, on pourrait avoir des indications définitives sur ce qui se passera un mois plus tard. Ils ne sont plus en phase avec la société et les comportements des électeurs, de plus en plus mobiles. ". Quant aux commentateurs, ajoute Philippe Méchet, " ils sont évidemment très déçus quand on leur annonce des perspectives globalement stables ". " On en demande trop aux sondages ", concluent-ils. " (Le Monde). C’est par la conclusion des sondeurs que l’auteur de l’article conclue son papier. On verra plus loin ce que l’on peut penser de cette chute finale ...

" Pas de mea-culpa chez les sondeurs ". Soit. Comment pourrait-il, sans prendre le risque de dissuader leurs clients (et de scier la pauvre branche " scientifique " sur laquel ils sont assis) d’insister outre mesure sur la faiblesse de la valeur prédictive des sondages et sur la pauvreté des connaisances que ces sondages apportent ? Mais surtout :

" Pas de mea-culpa chez les journalistes ", comme ne titre ni Libération, ni Le Monde. Les médias sont pourtant les premiers à demander trop aux sondages. Ce sont eux qui en attendent onction scientifique et onction démocratique. Ce sont eux qui transforment, avec le soutien des responsables politiques et des instituts de sondages, le débat public en commentaires interminables des chiffres à qui l’on confie le soin d’exprimer l’ " opinion " et de la faire connaître.

D’ailleurs, en voyant l’importance accordée par Le Monde aux sondages réalisés, ville après ville, lors du passage de son " Train pour l’emploi ", on mesure mieux ce que peuvent signifier les noces étranges entre la marketing d’un quotidien, le recrutement des entreprises, et la " science" des sondages ".
Et l’on comprend mieux que Le Monde n’ait pas manqué de donner - sans le moindre recul - la parole aux responsables des instituts de sondages pour qu’il " répliquent à leurs accusateurs " : le " quotidien de référence " pouvait ainsi publier - sans le moindre état d’âme - un sondage à la " une " du numéro du 21 mars 2001 (et une page intérieure) ...où l’on pouvait découvrir ce que l’opinion " pense " du résultat des élections municipales.

Henri Maler

Sur le même sujet : Les sondages et les municipales de 2001(2) : Arrêts sur sondages(mars 2001)

 
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