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Les prédications d’Alain Finkielkraut (3) : « Mes meilleures pensées et mes meilleurs ennemis »

par Mathias Reymond,

Omniprésent dans les médias, adulé par des journalistes flatteurs, le « fast-thinker » Alain Finkielkraut excelle régulièrement dans les propos péremptoires, les falsifications éclairées et les amalgames fulgurants.

Le plus grave est sans doute le crédit que les journalistes attribuent à ses verdicts (dans L’Express, Le Figaro, Le Point, L’Arche, à « Campus » et « Tout le monde en parle » sur France 2, à « Cultures et dépendance » sur France 3 et sur France Culture...). La place qu’ils occupent, quoi qu’on en pense, est-elle proportionnée à leur valeur et à leur contenu ? Un florilège permet de se faire une idée...

« Mes meilleures pensées »

Régulièrement convié, toujours encensé, jamais désavoué, excessivement reconnu, Finkielkraut bénéficie également des flagorneries de Bernard-Henri Lévy (Le Point, 30 septembre 2004) : « Souvent, j’entends : « Finkielkraut est très bien ; mais, dès qu’il s’agit d’Israël, il perd la tête. » Et si c’était l’inverse ? Et si c’était là, sur ce terrain de la défense intransigeante, courageuse, quoique sans concession, d’Israël que l’auteur de « L’avenir d’une négation » était, au contraire, à son meilleur ? » Finkielkraut « à son meilleur » lorsqu’il s’agit d’Israël ? Et pourquoi pas aussi quand pour combattre l’antisémitisme réel, il invente un antisémitisme imaginaire ?

Démonstration à partir de quelques exemples de ses élucubrations.

Premier exemple. Sur un ton hargneux, au cours de l’émission « Tout le monde en parle » sur France 2, le 30 mars 2003, il reproche à l’actrice Juliette Binoche de manifester pour la paix entre israéliens et palestiniens en soutenant qu’une « politique du cœur ne mène à rien  ». Et sur un ton imprécateur, l’assène : « Ceux qui comme vous sont attachés à la cause palestinienne devraient tirer les leçons du XXème siècle ». On devine que la « politique de l’intelligence », dont Finkielkraut est sans doute le plus remarquable représentant, consiste à ... « nuancer » l’occupation israélienne des territoires palestiniens, au nom du combat contre l’antisémitisme.

Le 30 août 2004, dans L’Express, complaisamment assisté de Dominique Siomonnet dans le rôle du journaliste, Finkielkraut expose sa nouvelle théorie sur l’antisémitisme : « L’antisémite actuel, en revanche, est démocrate jusqu’au bout des ongles. Il professe la religion de l’humanité, qui ne connaît d’autre sacrilège que la remise en question de l’égale dignité de tous les hommes. Cette religion a longtemps protégé les juifs. Elle se retourne maintenant contre eux. Les voici en effet accusés, par Israël interposé, de traiter les Arabes comme des êtres inférieurs. »

Le prédicateur, c’est son rôle, pourfend le Mal d’où qu’il vienne. Il ne nous dira donc pas immédiatement qui est cet « antisémite démocrate » qui accuse les juifs dans leur ensemble de « traiter les Arabes comme des êtres inférieurs ». La sentence s’abat : « Ce que je constate, c’est l’incapacité à critiquer Israël en termes politiques. Le seul schéma qui soit désormais à la disposition de la critique, c’est l’antiracisme. Car l’antiracisme est devenu l’idéologie de notre temps. »

L’enchaînement des propos péremptoires, que rien - pas même un exemple - ne vient appuyer sur « l’incapacité à critiquer Israël en termes politiques » (sic) et sur « l’antiracisme l’idéologie de notre temps » est un exercice raffiné d’argumentation rationnelle. Reste la question : est-ce un mal d’être antiraciste ? Oui car « c’est l’incitation à la haine antiraciste qui caractérise la judéophobie contemporaine. » Pitoyable.

Explications : « Hier, l’idéologie marxiste réduisait la réalité à la lutte des classes : tout était ramené à l’exploitation. Aujourd’hui, l’idéologie antiraciste réduit la réalité à la grande antithèse de la discrimination et des droits de l’homme : tout est ramené à l’exclusion. De la pluralité humaine et de la complexité du monde, il ne reste que deux camps : les oppresseurs et les opprimés. Dans l’idéologie communiste, l’oppresseur avait le visage du bourgeois. Dans l’idéologie antiraciste, l’oppresseur a le visage du nazi. Les juifs n’étant plus les opprimés, il faut donc qu’ils soient des nazis . »[souligné par nous]. Grand analyste de la « pluralité humaine » et de la « complexité du monde », mais fabricant en gros de moulins à vent, Alain Finkielkraut a restitué la complexité du marxisme et de l’antiracisme ! De généralisations abusives en généralisations outrancières, Alain Finkielkraut en arrive à cette simplification irrationnelle et démesurée : pour tous les antiracistes, tous les juifs sont des nazis. Et pour les antiracistes juifs ?

Fait surprenant, le journaliste-acolyte de Finkielkraut remarque que les « antisémites démocrates et antiracistes » n’ont toujours pas été énumérés. C’est pourquoi, il le devance : « L’idéologie que vous dénoncez est portée en France par une galaxie qui se dit effectivement humaniste, antiraciste, universaliste, et qui compte, parmi d’autres, les amis de José Bové, Le Monde diplomatique, Attac, les Verts, l’extrême gauche... Une certaine gauche, en somme. »

Pour l’intellectuel à gage, cette galaxie est tourmentée par une interrogation : « L’Etat juif est-il une province de l’empire américain ou bien est-ce, en fin de compte, l’Amérique qui est le bras armé de l’Etat juif, comme il est dit dans le film de William Karel « Le Monde selon Bush ? » » Ce qui lui permet d’affirmer, sur le ton de la prophétie que : «  le jour est proche où les deux extrémismes, de gauche et de droite, se retrouveront dans ce cri du cœur lu sur les murs du centre social israélite qui vient d’être incendié à Paris : « Sans les juifs, le monde serait heureux. »  ».

On retrouve ainsi la singularité récurrente du jargon vindicatif employé par les intellectuels médiatiques accolant systématiquement un mouvement qu’ils dénigrent (« les amis de José Bové, Le Monde diplomatique, Attac, les Verts, l’extrême gauche...  ») à un courant violent ou criminel (en général, l’extrême droite, les terroristes islamistes, Hitler...).

« Mes meilleurs ennemis »

Dans sa guerre des étoiles contre la « galaxie » à laquelle il impute un antisémitisme potentiellement génocidaire, Alain Finkielkraut est évidemment en guerre contre tous et contre chacun. Rapide passage en revue.

 Les Verts, fervents complices du Front National

Après le premier tour des élections d’avril 2002, marqué par le succès de Jean-Marie le Pen, Alain Finkielkraut, électeur de Jean-Pierre Chevènement, se dédouane, dans Le Point du 25 avril 2002, en déversant un torrent d’absurdités que nous avions déjà partiellement relevée [1] : « je le dis donc avec solennité, les agents électoraux du Front National sont aujourd’hui les Verts ». Pourquoi ? Parce que « C’est un trait inhérent à notre tradition philosophique que l’incapacité à concevoir un mal radical, mais les Verts poussent cette incapacité à son paroxysme. Ils sont atteints d’une sorte de rousseauisme échevelé : l’idée de la bonté naturelle de l’homme, que seules les institutions sont coupables, seuls les oppresseurs sont criminels, puisque tout le mal sur la terre découle de l’oppression. Aussi reportent-ils la culpabilité des attentats du 11 septembre sur l’Amérique et son hyperpuissance, l’horreur des bombes humaines en Israël sur la politique de Sharon et la violence dans les cités sur une société cruelle et elle-même violente. » CQFD.

 Les altermondialistes qui, « tôt ou tard » produiront un équivalent du « Protocole des Sages de Sion »

Dans Le Figaro du 11 septembre 2003 une envolée lyrique catastrophique dans laquelle, et comme beaucoup d’anciens soixante-huitards reconvertis, Finkielkraut en vient à assimiler les intellectuels de gauche à l’Union Soviétique stalinienne : « On assiste depuis la fin du communisme, à la stalinisation stupéfiante d’une partie de l’intelligentsia et du mouvement social. (...) C’est ainsi que la pensée du complot s’empare à nouveau des esprits faibles, et qui dit conspiration dit tôt ou tard Sages de Sion. »

 Pierre Bourdieu et Dieudonné, héritiers de Mao Ze Dung et alliés de Ben Laden

Dans une démonstration fulgurante, à l’occasion d’un entretien accordé à Alexis Lacroix dans Le Figaro du 16 mars 2002, l’intellectuel des médias rapproche les « progressistes » de Ben Laden, et Ben Laden de Dieudonné et de Pierre Bourdieu : « Il y a une incapacité à voir, à distinguer et même à penser l’ennemi. Si, comme le répète le progressisme, l’Occident est l’ennemi, l’ennemi de l’Occident, aussi erratiques et pathologiques que soient ses comportements, est du bon côté de la barricade. Tout cela finit en Dieudonné. De Bourdieu à Dieudonné, la conséquence est bonne. Nous vivons sous le poids de la pensée « Bourdieudonné ». »

Que vient faire Pierre Bourdieu dans cette démonstration ? On ne le saura pas. Quel rapport entre Dieudonné et Ben Laden ? Mao Ze Dong : « D’une pensée qui, entre Bush et Ben Laden, choisit quand même Ben Laden, parce que celui-ci a le charisme du révolté. « On a toujours raison de se révolter » a commencé en tragédie avec Mao Zedong. Cela finit avec Dieudonné en farce minable. »

« Tous avec Ben Laden » : on est prié de ne pas appliquer à Finkielkraut ces recettes de la Haute Culture dont il s’est proclamé le défenseur.

 Noam Chomsky, idéologue et négationniste

Dominant toute la vie intellectuelle de toute la hauteur de ses essais et tribunes libres, Alain Finkielkraut assène (« et moi je vous le dis ! ») n’importe quoi, mais pas sur n’importe qui : il faut des adversaires à sa démesure. Quand ils sont trop importants pour lui, il les invente.

Ainsi de son Pierre Bourdieu - nous y reviendrons - et de son Noam Chomsky [2]

Parlant de ce dernier, au cours de l’émission « Campus » sur France 2 le 12 octobre 2003, Alain Finkielkraut s’étrangle dans ses mensonges : « Quel est aujourd’hui l’intellectuel planétaire le plus populaire, celui en tout cas dont les livres se publient, prolifèrent partout, c’est à ma... à ma grande surprise Noam Chomsky ? On ne voit que Noam Chomsky. Or qu’a dit Noam Chomsky au moment du génocide Cambodgien ? Là il n’y avait pas d’image, mais il a dit il ne s’est rien passé au Cambodge , parce que pour Noam Chomsky, rien ne peut avoir lieu... si vous voulez, aucun, aucun... aucune oppression n’est possible, sinon l’oppression américano-sioniste. Donc tous les autres événements n’existent pas, et ça c’est très très grave. »

Dans un entretien accordé à Bernardo Zacka, en décembre 2003 et publié sur le site du Massachusetts Institute of Technology (lien périmé), le prêt à penser digéré de Finkielkraut ressort : « Et Chomsky lui...Chomsky a une idéologie, et précisément, une idéologie comme dirait Popper infalsifiable. Chomsky, quand un fait dérange sa croyance, ce fait n’existe plus. Chomsky, c’est la perpétuelle victoire de l’idéologie sur les faits. » Et encore une fois, Finkielkraut réitère la même contrevérité : « Le Cambodge a été le théâtre d’un génocide. Ce génocide a été accompli par des cambodgiens au nom du communisme. Y insister, c’était récuser l’idée que tout le mal vient de l’Amérique, donc il a dit que c’était rien, des petites exactions, des petites vengeances. Donc Chomsky réduit les évènements a cette idéologie préalable : les américains sont coupables de tout.  »

Au comble de la finesse, Finkielkraut recommence sur un autre thème : « Il [Chomsky] n’a pas dit que c’était le Mossad qui avait organisé les attentats du onze septembre. Mais enfin, il a dit qu’au bout du compte la faute en revenait aux américains. Nous sommes, avec Chomsky, dans ce que la vision idéologique de l’histoire peut avoir de plus caricatural. ». Une petite merveille de rhétorique de la calomnie : « il n’a pas dit ce qu’il n’a pas dit (mais il aurait pu le dire ?) ; en revanche, il a dit (ce qui revient au même ?) ce que, moi Finkielkraut , je vous dis qu’il a dit » ... mais qu’il n’a pas dit non plus !

Ainsi fulmine un prescripteur d’opinion qui passe pour un grand penseur auprès de la plupart des médias où il occupe une place qui n’a guère d’équivalent (si l’on excepte un Alexandre Adler ou un BHL) et où il y est accueilli comme un défenseur de la culture, lui qui a si brillamment prophétisé, mais sans l’appliquer à lui-même, ... « La défaite de la pensée ».

Mathias Reymond

 Lire les articles précédents :
- Les prédications d’Alain Finkielkraut (1) : « Répliques à moi-même »
- Les prédications d’Alain Finkielkraut (2) : « Mes opinions sur papier journal »

 
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Notes

[2Concernant les mensonges sur Chomsky et le Cambodge et la propagande orchestrée à ce sujet par Finkielkraut et Cie on peut se référer à l’article d’Arnaud Rindel : « Noam Chomsky et les médias français ».

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