« Pour qui je vote » : c’est le titre du dossier - destiné à approfondir le "débat" électoral... - que publie Le Nouvel Observateur du jeudi 18 avril 2002, n°1954.
La présentation est la suivante
« Attention, ceci n’est pas un sondage ! Ni une liste des comités de soutien. Plutôt une enquête indiscrète au seuil de l’isoloir. A plusieurs centaines de personnalités en vue, de toutes sensibilités politiques, de tous milieux (...) nous avons posé une simple question : pour qui avez-vous l’intention de voter à cette élection présidentielle, et pourquoi ? Il ne s’agissait pas pour eux de s’engager dans la campagne, mais de livrer leur choix personnel, en confidence, pourrait-on dire. »
Parmi ces « personnalités en vue », un confident rarement confidentiel : « Alain Finkielkraut, philosophe » et orphelin perplexe :
Avant le vote, dans Le Nouvel Observateur :
« Je n’ai pas encore décidé pour qui j’allais voter et je crains d’hésiter jusqu’au dernier moment. Je me demande si je ne vais pas voter Chevènement... Si c’est le cas, ce sera moins pour son programme que pour ses électeurs, qui me semblent être mus par un certain nombre de réflexes et de volontés nobles, qui refusent un monde où l’on transige sur tout. Au second tour, je ne sais ni pour qui je vais voter ni si je ne serai pas conduit à m’abstenir. Pour moi, tout est possible. Je suis dans une grande perplexité. Je n’ai plus de réflexe d’appartenance, je n’ai plus de famille politique. »
Après le vote, c’est dans Le Point que la perplexité de Finkielkraut trouve refuge et se transforme en rage ... contre les Verts.
Mais d’abord, cette réflexion sous café noir, sur les résultats du premier tour :
« J’ai été, comme tout le monde, endormi par la presse et par les instituts de sondages qui me persuadaient jour après jour que le premier tour était joué. Je me préparais donc, comme tout le monde, à l’éventualité ou plutôt à l’évidence d’une confrontation entre les deux sortants et je m’interrogeais gravement sur le choix que je devais faire. Je me trouve, comme tout le monde, atterré par le résultat de ces élections et j’ai la gueule de bois. Lorsque j’essaie de réfléchir à force de café noir, je me dis que, sans cette espèce de pression médiatique, Le Pen ne serait évidemment pas arrivé second au premier tour. »
Le café noir est un puissant excitant intellectuel qui permet d’affirmer que le vote pour Le Pen s’explique par « la révolte contre le mépris des faits » :
« La gauche (au sens très large : politique, intellectuelle et journalistique) paie très cher le déni de réalité où elle a voulu installer la France. »
Ce déni porte "bien entendu" sur l’insécurité. Et là plus aucune perplexité n’est de mise :
« Le Pen n’a pas eu besoin de faire campagne. La réalité a fait campagne pour lui. A Evreux, un père de famille va discuter avec des jeunes qui rackettent son fils pour les amener à de meilleurs sentiments, et cet homme est lynché à mort. Deux lyncheurs seulement sont mis en examen et en même temps toute une part de la gauche dénonce l’"hystérie sécuritaire" et la "guerre antijeunes". Cette attitude face à des événements aussi horribles rend les gens fous de rage. Cette folie et cette rage ont fait le succès de Le Pen. Je le dis donc avec solennité, les agents électoraux du Front national sont aujourd’hui les Verts. »
Mais pourquoi les Verts ?
« C’est un trait inhérent à notre tradition philosophique que l’incapacité à concevoir un mal radical, mais les Verts poussent cette incapacité à son paroxysme. Ils sont atteints d’une sorte de rousseauisme échevelé : l’idée de la bonté naturelle de l’homme, que seules les institutions sont coupables, seuls les oppresseurs sont criminels, puisque tout le mal sur la terre découle de l’oppression. Aussi reportent-ils la culpabilité des attentats du 11 septembre sur l’Amérique et son hyperpuissance, l’horreur des bombes humaines en Israël sur la politique de Sharon et la violence dans les cités sur une société cruelle et elle-même violente. »
Un seul mot d’ordre donc : haro sur Les Verts !