« Slovénie : le vent du libéralisme », c’est ainsi que s’intitule un des premiers articles de la série consacrée à cette ancienne république yougoslave. En cette période de canicule, l’effet est garanti : le vent en question ne saurait être que bénéfique, rafraîchissant ; il n’est que temps de se libérer du carcan étouffant (pour filer la métaphore météorologique) de l’économie administrée...
C’est ce que l’envoyé spécial des DNA, à travers quelques exemples dûment sélectionnés, s’ingénie à nous démontrer.
« Des Français reprennent les services publics locaux ». Un sous-titre discrètement chauvin, pour un paragraphe où on nous explique que c’est « le français Connex (Veolia, ex-Vivendi) qui a repris l’exploitation de réseau [de bus de Maribor] Certus qui s’étend. Le traitement de eaux de Maribor a été confié au groupe Suez-Lyonnaise des Eaux. L’ouverture des services publics à la concurrence est un impératif pour la Slovénie qui a encore de très gros investissements d’infrastructure à supporter. » Est-il nécessaire de commenter ? Tout y est : nous autres Français sommes (presque) les meilleurs, le traitement des eaux a été « confié » -amoureusement est-on tenté de dire- « au groupe Suez-Lyonnaise des Eaux » et surtout, il est « impératif » de privatiser les services publics. Ben voyons...
Un petit tour ensuite à Murska Sobota, localité qui possède l’usine de confection Mura. Problème : cette usine « aura du mal à rester compétitive dans une Union Européenne qui a déjà fait le deuil de son industrie du vêtement. » Mieux vaut être assis pour lire cela. L’Union Européenne a « fait le deuil de son industrie du vêtement » ? Que voulez-vous, ma bonne dame, c’est ainsi, c’est ça la mondialisation, c’est comme la météo : on n’y peut rien. Que ceux qui veulent nous rejoindre se mette bien tout cela en tête, s’ils ne veulent pas passer pour des doux rêveurs, ou pire pour des irresponsables. Qu’un dogme mondial libre-échangiste devenu criminel d’extrémisme après n’avoir été qu’absurde en soit responsable n’a pas l’air d’effleurer Antoine Latham.
Par chance, si l’on peut dire, la phrase précédente ne rime pas à grand’chose : si on se place dans le cadre strict de l’UE, difficile de n’être pas compétitif face à quelque chose -l’industrie européenne du vêtement- qui n’existe plus.
« Le textile slovène est soutenu à bout de bras par l’Etat pour éviter les licenciements dans une région, aux confins de la Hongrie, en retard de développement par rapport au reste du pays. Mais combien de temps cette situation pourra-t-elle durer ? » On s’attend au pire, et on a raison, Janez Potocnik, « économiste et ministre [slovène] des Affaires européennes » nous le confirme : « Ces emplois auraient été perdus de toute façon. C’est un problème de compétitivité. Notre objectif est de devenir un pays moderne dans l’Europe » La modernité, encore elle, est à nouveau convoquée pour appeler les récalcitrants à se soumettre au nouvel ordre économique mondial.
Andrej Capuder, « professeur de littérature, traducteur de Dante, ancien ministre de la Culture et ex ambassadeur à Paris » est alors invité à nous faire partager ses états d’âme. Au milieu de quelques aphorismes quelque peu aigris, il « observe avec inquiétude la soif matérielle qui s’est emparée des Slovènes. » Avec tous ce que lesdits Slovènes semblent subir quotidiennement, il n’y a plus de quoi être surpris.
Poursuivons, la suite en vaut la peine. A Rudnik, le Français Jean-François Higonet a ouvert le premier hypermarché Leclerc de Slovénie. Après quelques louanges de circonstance sur le formidable esprit d’entreprise de ce monsieur, Antoine Latham lui donne la parole, afin qu’il nous parle de ses employés : « C’est vrai que les Slovènes sont très sérieux au travail. Mais ils sont aussi plus lents que le personnel en France. L’avantage, c’est la flexibilité. On peut embaucher des étudiants dès 16 ans sans problème. Ils acquièrent une connaissance de l’entreprise et sont beaucoup moins chers... » S’il n’était cette lenteur fort ennuyeuse, l’employé slovène serait idéal : flexible à volonté, prêt à être endoctriné dès un âge encore bien tendre, et « beaucoup moins cher ». Allons, encore un effort : « Ljublijana, ville de plus de 300 000 habitants, compte quelque 50 000 étudiants qui ne demandent qu’à gagner de l’argent. » !
On s’arrête ensuite à « Renault-ville sur la route de Zagreb », j’ai nommé Novo Mesto. L’usine Revoz y « monte 120 000 Clio par an », et emploie 2 100 personnes. Seulement, voilà : « La Solvénie est petite, il y a peu de choses à faire pour les jeunes. C’est très dur de monter une entreprise », nous explique Dejan, dont les parents travaillent chez Revoz. Les jeunes slovènes sont bien éduqués : monter son entreprise, voilà le fin du fin ! « Nous étudions un projet d’investissement de 100 à 200 millions d’euros pour doubler la capacité d’ici cinq ans. Nous attendons ce que nous proposera le gouvernement », annonce « le président du directoire de Revoz, Michel Bouton. » N’oublions pas que le néo-libéralisme continue a avoir besoin de l’Etat : nationalisons les risques et les pertes, privatisons les profits !
Place au tourisme à présent. A Bled, nous rencontrons le Français Bernard Coursat, qui vante les mérites de la « riviera intérieure slovène au pied des Alpes, et de son golf ( le plus beau d’Europe et les Français l’ignorent) », mais ne se gêne pas pour stigmatiser « le manque d’ambition de la Slovénie en matière touristique. » Quand on voit la plaie qu’est devenue le tourisme industriel, on se prend à espérer qu’au contraire les dirigeants slovènes font là au moins preuve d’un peu de prudence. « Il n’y a pas de politique touristique ! On me parle de tourisme haut de gamme, mais ils ne savent pas ce que c’est ! », tonne Bernard Coursat. Quels arriérés, ces slovènes !
Enfin, un petit tour par « l’envahissante forêt de Branimir » s’impose. Branimir Iskra, alias Brani, tient à Bohinj Bistrica la pension Resje, et semble s’en sortir honorablement... Mais il est tracassé : « Quand il était enfant, les vues étaient dégagées. Aujourd’hui, la forêt a gagné beaucoup de terrain. Brani est conscient que cela ne va pas s’arranger : « Ici, dit-il, on peut vivre avec deux vaches et un cochon. Avec l’Europe, et la concurrence de produits laitiers moins chers, ce ne sera plus possible. La forêt va tout envahir... » Il est vrai que la forêt occupe déjà plus de 50% du territoire slovène, un record qui n’est dépassé que dans les pays nordiques, et l’agriculture occupe moins de 3% de la population », ajoute Antoine Latham. Tout d’abord, de quel type d’agriculture s’agit-il ? De celle qu’a promu notre FNSEA nationale, et qui a les conséquences que l’on sait ? Les slovènes méritent mieux... L’ami Brani a l’air d’avoir compris avant d’autres ce que peut signifier la concurrence dérégulée : une domination des économiquement puissants sur les autres. Quant à la forêt : amis slovènes, voilà un patrimoine précieux, y compris pour l’essor d’un tourisme respectueux de la nature.
Moralité : la Slovénie fait des efforts libéralement louables, elle est sur la bonne voie. Mais il ne faut pas s’arrêter en si bon chemin.
Stanislas
Voir aussi « L’Europe vue de Slovénie, selon les DNA ».