Accueil > Critiques > (...) > Politiques de la dépolitisation (1) : sondages et suspenses

Le retour de Jospin : 300 articles pour rien ?

par Mathias Reymond,

Le 28 septembre 2006, Lionel Jospin indiquait sur RTL qu’il ne serait pas candidat à l’investiture du Parti Socialiste. Pourtant, les médias n’ont jamais cessé d’évoquer la possibilité de son retour. Retour sur un an d’archives de la presse écrite.

Tous les médias se sont fait l’écho du plan de communication de Jospin et ont nourri avec une certaine jubilation le suspense qu’il entretenait lui-même. Dans la presse écrite en particulier, articles, interviews, « enquêtes » ont permis d’alimenter un non-débat autour de la question « Jospin reviendra-t-il ? ». Inquiétude, impatience... A peine Alain Juppé était-il parti au Canada, que l’on spéculait ferme sur son retour. A peine Jospin s’était-il réfugié sur l’île de Ré, qu’on s’interrogeait sur son exil. Leurs silences étaient des signes, qu’ils les produisent eux-mêmes ou pas.

Si l’on consulte les articles parus dans 10 médias de la presse écrite - 4 hebdomadaires (L’Express, Le Point, Le Nouvel Observateur et Marianne) et 6 quotidiens nationaux (Le Monde, Le Figaro, L’Humanité, La Croix, Libération et Les Echos) - depuis un an, on dénombre près de 300 articles portant sur le thème capital du retour de Lionel Jospin. Dans les hebdomadaires comme dans la presse quotidienne, on peut retrouver une série de titres évocateurs.

Toutes les semaines

Passant fréquemment du conditionnel à l’indicatif, ou de l’indicatif au conditionnel, ces titres sont souvent trompeurs sur la teneur réelle des articles... Quand L’Express (13 octobre 2005) annonce « Cette fois, Jospin revient ! », il s’agit en fait d’évoquer le prétexte de la sortie de son livre pour parler de ses ambitions de postulant. Les semaines suivantes, les titres seront tout aussi suggestifs : « Valls : "Si Jospin revenait..." » (20 octobre 2005), « Inévitable Jospin » (2 février 2006), « Jospin peut-il arrêter Ségolène ? » (23 février 2006). L’Express a consacré 8 articles à ce sujet, le Nouvel Observateur 11, Le Point 10, et Marianne une dizaine, avec quelques brèves souvent vachardes. L’auteur de ces lignes n’a bien évidemment pas lu l’ensemble des 300 articles consacrés au retour de Jospin. Mais dans tous les cas, les titres eux-mêmes, tapageurs et aguicheurs, sont symptomatiques de l’état d’empressement et d’excitation des directeurs de rédaction et des journalistes : « La gauche ? C’est Jospin ! » (17 novembre 2005), « Jospin : le retour mode d’emploi » (23 février 2006) pour Le Nouvel Observateur ; « Lionel Jospin : la possibilité d’un retour » (27 octobre 2005), « Jospin veut y aller » (23 février 2006) pour Le Point ; ou encore « Et revoilà Jospin » (24 décembre 2005) pour Marianne.

Tous les jours

Dans la presse quotidienne nationale, si L’Humanité et La Croix ont su rester plus sobres avec une dizaine d’articles chacun, l’importance accordée à cette question a été manifestement surdimensionnée par Les Echos (40 articles), Le Monde (48 articles), Libération (74 articles) et Le Figaro (environ 80 articles). La politique du pronostic des journalistes a primé sur la politique de fond. Echantillon de la titraille quotidienne, matinale et vespérale :

- l’Humanité : « Lionel Jospin en piste ? » (13 février 2006), « Lionel Jospin en place pour un come-back » (28 juin 2006), « Jospin fait son retour » (30 juin 2006), « Lionel Jospin sur les rails de la candidature » (5 septembre 2006) ;

- Le Figaro : « Au PS, Jospin dans toutes les têtes » (24 octobre 2005), « « Opération Jospin » contre Ségolène Royal » (13 janvier 2006), « Dumas : "Je crois au retour de Jospin" » (19 décembre 2005), « Jospin continue d’entretenir le suspense » (28 juin 2006), « Présidentielle : Jospin se « posera la question » à l’automne » (29 juin 2006) ;

- Le Monde : « Juppé, Jospin : de retour ? » (25 octobre 2005), « L’étoile Jospin » (14 février 2006), « Lionel Jospin lève le tabou sur sa candidature » (30 juin 2006), « M. Jospin rompt le silence et se pose en rassembleur » (28 juin 2006), « Lionel Jospin entend rester un recours contre Mme Royal » (26 août 2006) ;

- Les Echos : « Présidentielle : les scénarios d’une candidature de Lionel Jospin » (24 octobre 2005), « Jospin s’exprimera « à l’automne » sur la présidentielle » (10 février 2006), « 2007 : Jospin fait un pas vers la candidature » (29 juin 2006) ;

- Libération : « Jospin, candidat à mots couverts ? » (20 octobre 2005), « Jospin, présidentiable numéro un PS » (16 novembre 2005), « Jospin se retire de sa retraite politique » (29 juin 2006), « Jospin doute moins de sa candidature que du moment de l’annoncer » (25 août 2006).

Etc.

Coproduit par Lionel Jospin et les journalistes, le suspense médiatique s’est achevé sur le retrait du premier de la course à la candidature. Beaucoup de bruit pour presque rien. Ce dénouement n’en rend que plus visible la coproduction ordinaire de la vie politique pour les médias et dans les médias. La part qu’y prennent les journalistes politiques est tout sauf innocente. Pendant que le retour de Jospin était évoqué, les questions sociales et les questions politiques proprement dites étaient, quant à elles, reléguées au second plan.

Mathias Reymond
(avec Henri Maler)

NB  : 300 articles, interviews, brèves, reportages ont été consacrés au « retour de Jospin » (et bien plus encore au PS et à ses conflits). A titre indicatif, sur la même période (du 28/09/2005 au 28/09/2006) seulement 240 articles ont abordé de près ou de loin la situation au Darfour dans les 10 médias cités. Une remise en question de la part des médias ? Que nenni.

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

A la une

France Inter, Sciences Po et la Palestine : « nuance » ou calomnie ? (3/3)

Comment France Inter défigure un mouvement étudiant.