Éditorial : Médias : pressés comme des citrons !
Soumis aux pressions économiques et politiques, les journalistes sont au bord de la crise de nerfs…
Cela devient une tradition au Ravi, le mensuel régional d’investigation et de satire de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur. À chaque nouvelle formule, nous consacrons une enquête aux médias. « La grande dépression », titrions-nous en 2009. Trois ans plus tard, force est de constater que la situation n’est toujours pas fameuse en Paca !
Bien qu’ils absorbent l’essentiel du marché publicitaire, les quotidiens régionaux du groupe Hersant (La Provence, Var-matin…) continuent à perdre des lecteurs et pourraient changer de main. La Marseillaise peine à briser le monopole et ouvre un guichet de départ volontaire. France 3 redoute un plan social. Les médias en ligne ne sont pas rentables. Le système de diffusion de la presse frôle l’explosion. Au point d’envisager le pire : la disparition des kiosques où l’on pouvait trouver tous les titres. La précarité rogne la profession. Les médias sont pressés comme des citrons. Ils subissent la contrainte des pouvoirs économiques et politiques. Ils sont aussi soumis à l’accélération permise par les nouvelles techniques. Spectateurs, auditeurs et lecteurs se laissent noyer, parfois avec volupté, dans un flot incessant d’images, de sons et de mots aussi formatés qu’insipides. Car la société du spectacle communique plus volontiers qu’elle n’informe !
À l’inverse, qui fête son numéro 100 et sa 9e année avec une nouvelle formule, le Ravi fait le choix de ralentir, d’approfondir. Heureusement, nous ne sommes pas les seuls à vouloir renouer avec les fondamentaux du métier : l’enquête, le reportage, l’analyse. Une rencontre des médias indépendants a même lieu ce mois-ci à Aix-en-Provence. Nous y serons. Comme nous sommes au rendez-vous, grâce à vous, tous les mois depuis neuf années.
Michel Gairaud
Les médiastases de Paca
Comme beaucoup d’autres, la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur est médiatiquement sinistrée. le Ravi, qui fête son 100e numéro et sa 9e année avec une nouvelle formule, a enquêté. Petit tour d’horizon aux allures de balade dans un service de soins palliatifs. Bip, bip…
Qu’à Marseille, une école de journalisme ferme donne une idée de l’état des médias en Paca. À ce titre, la situation de la presse quotidienne régionale (PQR) est édifiante. Depuis que l’accord entre Rossel et Hersant pour le rachat de La Provence, et de Nice, Var et Corse-matin, les salariés sont dans l’expectative. Alors que le mandataire judiciaire a jusqu’à fin septembre pour négocier avec les banques la dette de 200 millions d’euros d’Hersant médias, on saura bientôt si le groupe dépose ou non le bilan. À Var-matin, on craint à la fois « un plan social et une vente à la découpe, les régies pub de La Provence et de Nice-matin étant désormais distinctes ». À La Provence, « on vit avec les rumeurs. Rossel, après avoir claqué la porte, pourrait revenir par la fenêtre. Le Crédit mutuel, comme le groupe Centre France, s’intéresserait à nous. Car, à un an des municipales, nos journaux ne peuvent laisser indifférents ». En attendant, le journal distribue, comme si de rien n’était, des I-phones à ses journalistes pour qu’ils alimentent le site. Une fuite en avant dans une entreprise qui, pour garder la pub, a voulu tout maîtriser, tout standardiser, du print au web en passant par les gratuits.
Budgets et tiraillements
À La Marseillaise, l’ambiance est morose, les comptes dans le rouge et le guichet de départs volontaires, concernant une quarantaine de salariés, ouvert. « Si on continue comme ça, on va droit dans le mur !, s’inquiète Jean-Marie Dinh, de la CGT. La rénovation du titre n’ayant pu se faire, si on applique qu’une logique comptable, on va déstabiliser tous les services. Alors qu’il y a, dans la région, vu les élections, de la place pour un quotidien de gauche. » Ambiance tendue alors que les journalistes sont payés en deçà du minimum syndical (NDLR comme au Ravi !) : ils viennent de débrayer pour sauver un poste de rédacteur à la rubrique « culture » qui, à la veille de 2013, allait être supprimé ! Et pourraient, si nécessaire, interpeller lecteurs et politiques. Car il y a urgence. Faute de moyens (et de relecture), Jean-Marc Coppola, conseiller régional PCF, s’est retrouvé au « Conseil général » et le patron de la « fédé » du PCF des Bouches-du-Rhône, Pierre Dharréville, en a marre qu’on ne sache où est son « h ».
Si la presse est sinistrée, celle qui l’alimente ne va guère mieux. À l’AFP, le budget « piges » est toujours en berne alors que l’agence ne compte, pour couvrir un territoire plus grand que la région, qu’une dizaine de journalistes. « On est en permanence tiraillés entre les impératifs budgétaires et la nécessité de produire une info qui réponde aux canons de l’AFP », témoigne l’un d’eux. À l’autre bout, les gratuits eux aussi tirent la langue. Ainsi, à 20 minutes Marseille, suite au départ des « historiques », l’intérim a été assuré par un CDD venu de Paris, remplacé peu après par un « junior », une jeune plume ne coûtant pas cher au « premier quotidien » de France. Et, à Metro et Direct matin, le manque de moyens est tel qu’il est rare de voir leurs journalistes sur le terrain.
Casser le thermomètre
Côté audiovisuel public, ça ne va pas très fort. La gauche n’a en effet pas rétabli la pub après 20 heures. « Mais, même si cela avait le cas, on serait encore en sous-financement, lâche Eva Fontenay, de la CGT de France 3. Si, avant, on produisait nos propres magazines, aujourd’hui, on n’en a plus les moyens. » Le patron de la télé publique, Rémy Pflimlin, a évoqué un « plan social » qui pourrait concerner plus de 800 personnes ! « Pflimlin a été nommé par Sarkozy mais la tutelle ne peut pas désavouer l’austérité qu’il prône, souligne Robert Papin, de la rédaction marseillaise. On est au milieu d’une partie de poker menteur. Et puis, en agitant le chiffon rouge de la fusion des rédactions, ça détourne l’attention. En attendant, ordre a été donné de ne pas trop recourir aux CDD. Quant aux formations, elles sont gelées. »
Une situation qui ne profite même pas au privé. Malgré une nouvelle grille et de nouveaux propriétaires qui lorgnent déjà sur la télé locale de Nice, LCM (La Chaîne Marseille) ne semble pas pressée de recourir aux mesures d’audience de Médiamétrie. « Trop coûteux », disent les nouveaux propriétaires à l’image des anciens qui avaient jugé plus prudents de « casser le thermomètre ». Si, après des années de vaches maigres, les journalistes ont eu droit à une rallonge de 100 euros, ils scrutent ce que va faire leur VRP de luxe, le maire DVG d’Istres, François Bernardini, dont les appétits pourraient être réveillés par la condamnation du président socialiste du SAN Ouest, Bernard Granié…
Du rêve et du vent
Du côté des ondes, il y a aussi de la friture. Certes, Radio France n’est pas Radio Zinzine Aix, cette station associative que le CG13 veut expulser et que la mairie d’Aix cherche à reloger. « Mais nous aussi, on bosse à moyens constants, souligne Fabien Ledu, de France Bleu Provence. C’est-à-dire sans embauche ! Aujourd’hui, la moyenne pour faire tourner une locale, c’est 26 postes. Comme on est trente, on va devoir s’aligner. » Et ce, alors que le travail s’intensifie puisqu’il faut « tweeter, être sur Facebook, bref faire du "bruit". Sur la base, bien sûr, du volontariat. Et avec, pour coordonner tous les sites web dans le sud, une seule personne ! » Or, sur la toile, le miracle a, de plus en plus, des allures de mirage.
Pour Marjolaine Dihl, du collectif de pigistes « Presse-Papiers », « c’est de plus en plus galère. Il est quasi impossible de travailler pour les médias locaux. La seule solution ? Bosser pour la presse parisienne ou spécialisée. Ou accepter des niveaux de rémunération très bas. Voire faire de la com’, des ménages… » Pourtant, note Laurent Berneron, pigiste et animateur du site B Magazine, « on a dans la région une actualité d’une richesse exceptionnelle. Sauf que médiatiquement, cela se résume à une série de clichés. Et je ne parle même pas de faire une info réflexive… »
Marc Bassoni, de l’école de journalisme de Marseille, n’est guère plus optimiste : « Il est de plus en plus difficile de placer nos étudiants, même en stage. Alors que se multiplient, sans aucun contrôle, les formations pour devenir journaliste. On vend du rêve et donc du vent ! Voilà pourquoi on forme nos étudiants à être opérationnels mais aussi à avoir un regard critique. » Espérons qu’ils auront souri en apprenant la naissance du « Cercle des Médias et de la Communication Marseille Méditerranée » ? D’abord parce qu’à Marseille, il y a maintenant deux clubs de la presse. Ensuite parce qu’il veut rapprocher - bel exemple de mélange des genres - médias et communicants. Enfin parce que le lancement a eu lieu au Cercle des Nageurs de Marseille : pour être journaliste, faut savoir mouiller la chemise et faire de l’apnée.
Sébastien Boistel
Au sommaire de la Grosse enquête de Sébastien Boistel, Jean-François Poupelin et Stéphane Sarpaux, illustrée par Roy, dans le Ravi n° 100 (octobre 2012), 5 pages d’enquêtes, de satire et d’analyse disponibles dans le fichier pdf ci-dessous.
P. 10-11 : Médiastases en Paca : panorama régional de la presse en crise ; In Memoriam : les titres disparus depuis 9 ans.
P. 12-13 : Les diffuseurs noyés dans le papier ; Coming out salarial des salariés du Ravi ; Localiers : « Pour bien faire, il faut sacrifier sa vie personnelle ».
P. 14 : Le net c’est facile, c’est pas cher… ; Politiques et médias : les liaisons dangereuses…
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