C’est un article du Nouvel Observateur (Semaine du jeudi 26 septembre 2002 - n°1977), signé Véronique Radier. Et il commence plutôt bien (On a - à regret - coupé les fragments d’entretiens qui illustrent le propos) :
" Ah, si les salaires étaient distribués à l’aune de la popularité, les infirmières seraient riches ! Leur image d’Epinal de professionnelles humaines, dévouées et patientes, demeure intacte et idéale. (…) Mais si le métier séduit toujours celles et ceux qui l’exercent, les infirmières en ont plus qu’assez de compter pour des prunes dans notre système de santé : "Ni des nonnes, ni des connes !" scandaient-elles voici quelques mois à peine dans la rue. Car malgré leur fronde de 1988, rien ne s’était réellement amélioré pour les 400 000 personnes exerçant ce métier. Si leur mission est gratifiante, elle exige, on le sait, une grande résistance. (…) Mais là où le bât blesse, c’est qu’au fil des ans leurs conditions d’exercice n’ont cessé de se dégrader. Elles sont en première ligne dans les hôpitaux où elles doivent gérer au quotidien une pénurie chronique de personnel et parfois de moyens, et composer avec des patients aux réflexes de consommateurs exigeants, le tout dans une cadence accélérée du fait de séjours raccourcis à leur plus strict minimum. (…) Les chiffres sont éloquents : en quinze ans, la part des infirmières n’exerçant qu’à mi-temps a doublé, et l’on estime à près de 50 000 le nombre de celles qui auraient rendu leur tablier. Mais là n’est pas leur seul grief. Nombre d’infirmières étouffent dans l’univers machiste et ultrahiérarchisé de l’hôpital où elles doivent se contenter d’obéir aveuglément à leur seigneur et maître : le médecin. (…) Ajoutons que le métier ne paie guère : à l’hôpital, les infirmières débutent à environ 1 400 euros net par mois mais ne dépassent pas 2 355 euros en milieu de carrière. A titre de comparaison, un médecin pèse en moyenne, question salaire, quelque chose comme trois infirmières. Si leurs qualifications ne sont évidemment pas les mêmes, cela justifie-t-il un tel écart ? Et de toutes les professions de santé, les infirmières connaissent les revenus les plus faibles en libéral, soit une moyenne de 25 000 euros par an (…) La proportion d’infirmières exerçant en libéral - environ 15% - augmente année après année, ce qui ne fait évidemment pas l’affaire des hôpitaux ni de l’ensemble du secteur public (collectivités territoriales, crèches, etc.) qui sont en grand manque de troupes. Peut-être est-ce pour cela que plusieurs dispositions étaient venues, au fil des ans, compliquer l’installation en libéral, comme l’obligation de disposer d’un cabinet même si aucun patient n’y est reçu, d’exercer trois ans à l’hôpital avant de visser sa plaque, de subir un quota d’actes restreignant les revenus, etc. Si bien que dans certaines régions, - l’est et le nord de la France -, la densité en infirmières a fini par chuter dangereusement. "
On a passé ainsi la première partie de l’article quand retentit " la bonne nouvelle " :
" La bonne nouvelle, c’est que, sous la pression de ces pénuries, la situation commence à évoluer. Combien de postes manque-t-il ? (…) Plusieurs estimations circulent : 8% des effectifs feraient défaut dans les hôpitaux de la région parisienne, 20 000 infirmiers sur toute la France. Ce n’est pas rien ! Les pouvoirs publics, après avoir longtemps fait la sourde oreille, ont donc enfin décidé d’augmenter le nombre de places dans les écoles (…). Car si nous manquons d’infirmières, c’est avant tout faute d’en avoir formé en nombre suffisant. En effet, c’est le ministère de la Santé qui fixe chaque année le nombre de places offertes. Faisant fi des besoins, il l’a longtemps maintenu au plus bas. Résultat, avec la mise en œuvre des 35 heures dans les hôpitaux, il a fallu décréter un véritable plan d’urgence : 8 000 places supplémentaires chaque année à l’entrée des écoles - soit 26 000 au total -, embauche d’infirmières étrangères, salaires revus à la hausse mais surtout - c’était là l’une des principales revendications - des efforts en termes d’évolution de carrière. Ainsi, les infirmières spécialisées (…) entrent enfin dans la catégorie A de la fonction publique réservée aux titulaires d’un bac+3. A tout cela, il faut encore ajouter diverses mesures pour inciter les professionnelles ayant raccroché leur blouse à reprendre du service. Côté libéral, la Cnam a consenti une hausse d’environ 10% des tarifs conventionnels. Mieux, le carcan des quotas qui limitait le nombre d’actes depuis 1991 a été largement assoupli. Enfin, le ministère est désormais soucieux d’encourager les futures vocations. Une campagne de pub comparable à celle qu’avait lancée l’an passé Jack Lang pour les enseignants est même à l’étude. Des incitations financières ont été mises en place avec des stages rémunérés en école d’infirmières, des allocations d’études pouvant atteindre 457 euros mensuels dans les zones les plus déficitaires et même des études rémunérées pour les chômeurs de longue durée. Il n’empêche, certaines écoles, notamment en Ile-de-France, peinent toujours à faire le plein… Du coup, les places au concours y deviennent plus faciles à décrocher : (…) Avis à celles et ceux qui rêvent de se rendre utiles… "
Seulement, voilà : la " bonne nouvelle " ne résout pas la plupart des problèmes - salaires, horaires, conditions de travail, hiérarchie - évoqués dans la première partie de l’article. Ce qui n’empêche pas Le Nouvel Observateur de choisir pour cet article un titre triomphal (qui n’est peut-être pas dû à Véronique Radier) :
" On recrute ! Les infirmières se portent mieux "
Qu’importe si la plupart de celles qui exercent ne s’en rendent pas compte. Le Nouvel Observateur met l’avenir qu’on leur souhaite au présent ses certitudes ! A se demander qui recrute…