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Le Monde veille sur Lutte ouvrière

Que l’on approuve ou non les orientations politiques défendues par Arlette Laguiller, que l’on éprouve ou non de la sympathie pour elle, que l’on apprécie ou pas le fonctionnement de son organisation, certaines façons d’en parler méritent qu’on s’y arrête. En trois actes ...

Acte I : Quand Le Monde rappelle les formations politiques à leurs devoirs

Le Monde a consacré l’éditorial du numéro daté du 13 mars 2002 à " la seule personnalité politique en France qui soit désignée familièrement par son prénom", sous le titre ainsi partiellement justifié : "Les secrets d’Arlette".

Mais dès le premier paragraphe, c’est le mépris qui résonne :
« Année après année, d’une élection à l’autre, elle est toujours présente, figure incontournable des campagnes présidentielles. Comme le chante Souchon, "même si c’est des bêtises, que c’est gentil, que c’est beau !". »

L’objet de l’éditorial est pourtant d’affronter ce paradoxe :
« Paradoxalement, "Arlette" provoque autant de bienveillance que son parti, Lutte ouvrière, inspire de méfiance. »

Bienveillance de qui ? Méfiance de qui ? De l’opinion publique, de l’éditorialiste du Monde ?

Après avoir rappelé que LO "garde (...) ses secrets" et que "la progression d’Arlette (...) a pour ressort la montée d’un vote protestataire ", Le Monde administre sa leçon :
« (...) l’action d’Arlette Laguiller a pour vertu de réintégrer dans la vie politique ceux qui pouvaient être tentés de s’en désintéresser parce qu’ils se sentent déjà exclus de la vie sociale. Mais son succès lui crée des devoirs : celui d’ouvrir son organisation au débat public, de mettre en pratique les valeurs de la transparence, bref, d’accepter l’espace contradictoire de la démocratie. Car LO reste largement extérieure aux usages démocratiques, que ce soit dans son programme ou dans sa vie interne : tout en quêtant les votes d’élections pluralistes, elle défend toujours la "dictature du prolétariat". Cette contradiction crée une malaise et suscite une inquiétude. »

Ainsi, Le Monde fixe aux formations politiques leurs devoirs : Au nom de qui ? Au nom de quoi ? Et quels devoirs ?

Accepter la conception que Le Monde se fait de la démocratie ? Voilà qui suscite un malaise -même si la conception de LO n’est pas au-dessus de tout soupçon -, quand on sait avec quelle conviction Le Monde défend les élections à la proportionnelle.

Accepter la conception que Le Monde se fait de la transparence ? Voilà qui suscite notre incrédulité, quand on sait avec quel acharnement Le Monde combat pour la levée du secret bancaire, l’ouverture des livres de comptes, la suppression des services secrets, la levée du secret des archives nationales ... Voila qui suscite notre inquiétude, quand on sait que pour Le Monde - et pour Libération - défendre le devoir de transparence des formations politiques revient à défendre le droit d’ingérence du parti de la presse dans la vie interne des partis ...

Acte II : Quand Le Monde joue à « plus radical que moi, tu meurs »

Sous le titre « Arlette Laguiller appelle le "monde du travail" à "s’unir" », Le Monde daté du 19 avril rend compte du meeting parisien de la candidate de Lutte ouvrière tenu le dimanche 17 mars. Un compte - rendu honorable, pour autant que l’on puisse en juger sans y avoir participé. Au passage on apprend que
« Mme Laguiller s’en prend également "à l’hostilité, aux médisances, aux calomnies" dont son organisation est, selon elle, l’objet dans la presse. »

En revanche, on ne sait rien des réponses qu’elle a données. Mais vient à la fin de l’article :
« A la sortie, les troupes sont "blindées". Et ne voient rien d’autre. Pas même la présence, dehors, de Pierre Guillaume, négationniste notoire qui peut très tranquillement distribuer pendant de longues minutes son dernier tirage de La Vieille Taupe, sans que quiconque ne lui demande de s’éloigner. Non que LO entretienne une quelconque sympathie pour ces thèses, mais cette organisation a toujours considéré que le combat antifasciste n’était pas le sien, ou plutôt qu’il était secondaire, car il détournait les militants de leur objectif principal, la formation d’un grand parti des travailleurs, dont la constitution réglerait à elle seule le problème.  »

Si LO "n’entretient" aucune "sympathie pour ces thèses, à quoi bon évoquer la présence de Pierre Guillaume à la sortie du meeting, si ce n’est pour tirer prétexte d’un compte-rendu pour régler des comptes ?

C’est ce que confirme la suite, qui d’un incident passe à un autre :
« Il y a quelques années, à la fête de Lutte ouvrière, cette attitude passive avait déjà provoqué un incident. A la vue d’une brochure intitulée "Auschwitz ou le grand alibi" sur le stand d’un groupuscule italien, plusieurs militants d’Alternative libertaire, de la LCR et de Ras l’Front étaient allés protester auprès des organisateurs en exigeant de ces derniers qu’ils interviennent immédiatement. Ils s’étaient fait éconduire. »

L’auteure de l’article - Caroline Monnot -, souvent mieux inspirée, livre un commentaire à l’occasion d’un compte-rendu et s’appuie sur des organisations d’extrême-gauche contre une autre, dans un journal qui les récuse toutes. Drôle de jeu !

Acte III : Quand Le Monde s’insurge contre « le secret » ... des funérailles

Le Monde daté du 25 avril 2002 annonce dans une vignette à la "Une" : "Les larmes d’Arlette". Ce titre accrocheur renvoie à un article en page intérieure consacré à la participation d’Arlette Laguiller au "Grand Jury RTL-Le Monde"

Arlette Laguiller est interpellée sur la "culture du secret" : « Pourquoi avoir refusé, par exemple, que la presse puisse assister à l’enterrement de Pierre Bois, en février ? ».
Réponse : « Nous avons le droit d’enterrer nos morts comme nous le souhaitons. Pierre Bois n’aurait certainement pas tenu à ce qu’il y ait des journalistes. Certainement pas. On a été trop maltraités. [Après avoir versé quelques larmes, Mme Laguiller conclut.] Excusez-moi, je suis très émue parce que Pierre Bois a beaucoup compté pour moi et j’ai du mal à supporter ce qui se dit autour de ça. »

Quelques pages plus loin, Dominique Dhombres revient, avec élégance, sur le sujet, dans sa chronique sur la télévision.
« On a vu enfin Arlette Laguiller pleurer dimanche au "Grand Jury RTL-Le Monde-LCI" à l’évocation de Pierre Bois, un ancien dirigeant de Lutte ouvrière, mort récemment, et de "tout ce qui s’est dit" à cette occasion. Pierre Bois a été incinéré le 16 février au cimetière du Père-Lachaise. La cérémonie a eu lieu quasi clandestinement, apparemment pour que le "camarade Hardy", le mystérieux chef de LO, ne soit pas photographié. Les larmes d’Arlette étaient émouvantes. Cette obsession du secret ne l’est nullement. »

En réalité, et Le Monde l’a rapporté dans une nécrologie publiée le 24 février, le décès et les funérailles de Pierre Bois n’ont pas fait l’objet de communiqués de presse. Résultat : certains enragent de ne pas avoir pu assister à la cérémonie. C’est ce qu’au Monde on appelle un événement "clandestin".

"Apparemment", comme le dit finement Dominique Dhombres, la presse devrait pouvoir bénéficier, pour toute cérémonie funèbre, d’un carton d’invitation ...

 
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