L’intervention militaire au Kosovo
Le Monde en 1999 avait évacué le problème de la légalité juridique de l’intervention au Kosovo. L’éditorial du 25 mars - " Un tournant historique " - se borne à constater que l’Otan était entré en guerre " contre un pays souverain " (...) " sans autorisation explicite de l’ONU. " [1]. Existait-il au moins - ce qui serait juridiquement étrange - une autorisation implicite ? C’est ce que Claire Tréan ne craint pas d’affirmer, dans un article du 23 mars 1999. Notre journaliste-diplomate rappelle que la résolution adoptée par le Conseil de Sécurité stipule que ce dernier " décide, au cas où les mesures concrètes exigées ne seraient pas prises, d’examiner une action ultérieure et des mesures additionnelles pour maintenir ou rétablir la paix ". Claire Tréan commente : " Certes, en toute rigueur, le passage à l’acte (à ces " mesures additionnelles " dont parle la résolution 1199) aurait supposé une nouvelle réunion du Conseil de sécurité pour mandater formellement l’OTAN d’une mission coercitive. Mais chacun savait bien qu’on ne pouvait pas emmener les Russes aussi loin. " " En toute rigueur ", il n’existe donc pas de bases juridiques aux bombardements de l’OTAN. Pourtant, le titre de l’article (dont Claire Tréan n’est peut-être pas l’auteur...) affirme, sans vergogne, que " les résolutions de l’ONU donnent une base légale à l’intervention ".
D’après Guerre du Kosovo
Deux ans et demi après nous avoir infligé cette leçon de rigueur, Claire Tréan semble se raviser. Dans un article introductif au "dossier spécial" du Monde daté du 18-19 novembre 2001, elle indique, s’agissant des opérations militaires déclenchées par les USA après les attentats du 11 septembre, que " les juristes (...) ne peuvent pas dire que le droit de l’ONU a été malmené comme il dut l’être il y a deux ans, lors de l’intervention au Kosovo, alors que les motifs de l’intervention de l’OTAN étaient pourtant conformes à l’esprit de la Charte puisqu’il s’agissait de mettre un terme à des violations massives des droits de l’homme par les forces serbes ". Résumons : le droit fut certes malmené, mais il le fallait ; d’ailleurs, c’était conforme à l’esprit de la Charte...
Et Claire Tréan de revenir plus directement sur le sujet, dans un autre article du même dossier (p.19). Le titre est suggestif : " Les dérapages de l’intervention au Kosovo ". Mais le contenu confirme que c’est à peine s’il y eut dérapage. A propos, une fois encore, du dernier article de la résolution 119 du 23 septembre 1198 qui stipule que le Conseil de sécurité examinerait, le cas échéant, " des mesures additionnelles pour maintenir ou rétablir la paix " Claire Tréan soutient qu’un " conflit d’interprétation " sur l’autorisation de recourir à la force reposait sur une " ambiguïté ". Quelle ambiguïté ? La résolution prévoyait explicitement que c’était au Conseil de Sécurité d’examiner les " mesures additionnelles "...
Claire Tréan concède cependant que, pour engager l’action armée, il " aurait fallu en droit une décision plus explicite du Conseil de Sécurité et un mandat formellement donné par l’ONU à l’OTAN ". Pourquoi " plus " explicite ? Il fallait, en tout état de cause, qu’elle fut " explicite ", tout simplement " explicite ". Ce n’est pas tout : une fois accordée sa demi-concession, Claire Tréan se retranche aussitôt derrière l’obligation morale, invoquée par les " dirigeants français ".
On comprend dès lors pourquoi, aux yeux de Claire Tréan, tout ce que révèle la discussion juridique se limite à " une sorte de malaise doctrinal ". Et que, dans le même esprit, devant le refus du TPI d’ouvrir une enquête sur d’éventuels crimes de guerre de l’OTAN, elle se borne, dans un autre article du même dossier, à constater qu’il s’agit d’un " dossier mal réglé ".
Des interprétations, et non des informations ; des commentaires souvent désinvoltes, alors que le droit tolère mal - quoi qu’on en pense - pareille désinvolture.
L’embargo sur l’Irak
Le Monde du 18-19 novembre 2001. Dossier spécial : " Terrorisme, guerre les armes du droit international ".
Sous le titre " Le fondement discutable de l’embargo ", Patrice de Beer examine en réalité deux questions : les fondements juridiques de la coalition organisée par les Etats-Unis, les fondement juridiques de l’embargo.
La plus grande partie de l’article consiste à opposer le point de vue d’une " juriste très critique de la politique des Nations unies contre l’Irak " - Monique Chemiller-Gendreau - et le point de vue d’un anonyme " praticien qui a longuement travaillé à la Maison de verre de New-York, siège de l’ONU ". Une telle présentation des protagonistes du débat est déjà une prise de position insidieuse.
On peut lire cette phrase absurde : " (...) pour protéger les civils irakiens, l’aviation anglo-américaine s’est livrée à des bombardements qui ont occasionné des "dommages collatéraux" contre cette même population. "
La guerre en Afghanistan
Le Monde du 18-19 novembre 2001. Dossier spécial : " Terrorisme, guerre, les armes du droit international ".
Claire Tréan revient à deux reprises sur la guerre actuelle et le droit international.
– Dans un un premier article, qui sert d’introduction au dossier, on peut lire notamment, en guise de présentation des positions qui critiquent la légalité de l’intervention, cette présentation "objective" :
" (...) les organisations de défense des droits de l’homme, pour la plupart pacifistes d’instinct, invoquaient le droit international pour sauver le monde, mais n’y puisaient comme seule proposition organisationnelle que celle de juger Ben Laden pour crime contre l’humanité... "
Le journalisme d’investigation a ainsi permis de découvrir des instinctifs qui veulent sauver le monde par le droit...
Il était temps :
" (...) avant que ne soit avérée, il y a quelques jours la déroute des talibans, la contestation sur la légitimité de l’intervention américaine en Afghanistan montait dangereusement. "
Pour qui ? Pourquoi ? Le journalisme d’investigation l’établira une prochaine fois.
En effet :
" Les juristes (...) ne peuvent pas dire que le droit de l’ONU a été malmené, comme il dut l’être il y a deux ans au Kosovo, alors que les motifs de l’intervention de l’OTAN étaient pourtant conformes à l’esprit de la Charte puisqu’il s’agissait de mettre un terme à des violations massives des droits de l’homme par les forces serbes. "
Ainsi il " ne peuvent pas dire ", ce que certains d’entre eux disent cependant. Ainsi, le doit international fut " malmené ", au Kosovo, mais " il dut l’être "...
– Dans un second article du même dossier - " La question de la légitimité des ripostes aux attentats du 11 septembre " -, Claire Tréan, après avoir rapidement exposé quelques critiques sur la légalité de la riposte américaine, tranche le débat avec autorité.
" (...) La force du consensus politique qui s’est dégagé à l’ONU dès le 12 septembre a en tout cas privé les états d’âme des juristes de toute portée réelle. Le 28 septembre, le Conseil de sécurité, ayant eu cette fois le temps de la réflexion, adoptait à l’unanimité une nouvelle résolution (la 1373) sur la lutte globale contre le terrorisme, dans laquelle était réaffirmée l’autorisation donnée aux Etats-Unis de riposter par les armes. Le 8 octobre, au lendemain du début des frappes en Afghanistan, le Conseil renouvelait encore son appui unanime aux Etats-Unis sous la forme d’une déclaration de son président. Difficile, dans ces conditions, de contester la légalité de l’intervention militaire américaine, quels qu’aient été par ailleurs les motifs politiques de ceux qui l’ont approuvée à l’ONU. "
Au passage on apprend ceci :
– " Au fil des semaines, il est apparu (...) que, malgré certaines déclarations faites à Washington, le projet de l’administration Bush n’était pas de porter la guerre hors d’Afghanistan, en Irak, en Somalie, au Yémen par exemple. Si leur venait jamais l’idée d’un tel projet, nul doute toutefois qu’ils tenteraient de faire valoir la résolution 1368 pour ne pas repasser devant le Conseil de sécurité. "
C’est évidemment ne tenir aucun compte des déclarations expresses et réitérées des responsables américains. Quant à la tentative " faire valoir la résolution 1368 ", qui nous dira en quoi elle est légale, ou , tout simplement, légitime ? Pas Claire Tréan.
– " A partir du 7 octobre, les Etats-Unis entraient en guerre contre le régime d’Afghanistan. Ils étaient tenus de respecter les règles des conventions de Genève, de même en principe que les autres belligérants, talibans ou moudjahidines. Pour autant que l’on sache, les Américains ne semblent pas les avoir violées délibérément massivement. Cette problématique humanitaire allait cependant dès lors prendre le pas, dans le débat, sur celle de la légalité onusienne. "
" Pour autant que l’on sache ", même un viol pas massif et pas totalement délibéré, reste un viol. Pas pour Claire Tréan ?