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En Bref

Le Monde en extase devant les milliards de profits du CAC40

par Guy Bernard,


Le 9 mars 2018, un tonitruant « 93 400 000 000 € de profits pour le CAC40 » barre la Une du Monde. Une titraille tapageuse qui n’annonce pourtant aucun dossier mettant ce chiffre faramineux en perspective, aucun débat de fond entre économistes ou responsables politiques, ni même la moindre tentative d’analyse. Au contraire, les deux articles auxquels cet appel de Une renvoie, sont le signe d’un journalisme économique en apesanteur, qui aligne les chiffres sans chercher à leur donner la moindre signification et qui accompagne dans l’allégresse la marche en avant d’un capitalisme mondialisé et triomphant.

Page 6 du cahier « Éco & Entreprise » de cette édition du 9 mars, un premier article aligne les superlatifs pour présenter le palmarès des sociétés les plus profitables, s’esbaudir de la hausse de 24 % du bénéfice net de l’ensemble des groupes du CAC40 par rapport à 2016 et mettre en avant une conjoncture et une croissance mondiales « exceptionnelles ». Le tout agrémenté des commentaires, toujours incontournables dans Le Monde [1], de deux économistes de banques, Eric Labbé gérant chez CPR Asset Management et Isabelle Mateos y Lago économiste chez Black Rock, « le plus puissant gestionnaire d’actifs au monde » – laquelle nous rassure en certifiant que même si la conjoncture se fait moins favorable, « les entreprises devraient pouvoir relever leurs prix et préserver leurs marges. » Ouf !

En page 2 du même cahier « Éco & Entreprise », le second article annoncé en Une, propose un titre qui semble, au premier abord, nettement plus pertinent : « Salaires en zone euro : à quand le dégel ? » En effet, l’une des méthodes pour maximiser les profits, ne consiste-t-elle pas, justement, à maintenir les salaires au plus bas ? Une question qui ne sera pourtant même pas évoquée, l’article préférant s’attarder sur la perplexité de la Banque centrale européenne et des « experts » devant la stagnation des salaires alors que le chômage baisse, ou encore sur la flexibilité et l’automatisation comme causes possibles du phénomène.

Dans l’éther des débats économiques orthodoxes

Ces deux articles qui entendent traiter des niveaux de profits et de salaires comme de deux variables totalement distinctes et indépendantes, ont en commun de traiter l’économie comme une réalité autonome, et la science économique comme une discipline purement technique, coupée de toute réalité sociale et échappant à tout débat politique.

Dans cette perspective, mettre en relation les dizaines de milliards de profits du CAC40 et la stagnation des salaires en Europe, d’une part, avec, d’autre part, les pratiques d’optimisation/évasion fiscale des multinationales ou les politiques de l’offre, austéritaires, portées par les gouvernements européens, et singulièrement par celui d‘Emmanuel Macron, n’aurait aucun sens… Dans un tel cadre, les économistes hétérodoxes et les syndicalistes, les dirigeants politiques et les journalistes rétifs aux logiques néolibérales ne sont évidemment pas conviés à s’exprimer.

Pourtant, s’ils avaient souhaité mettre en perspective, et pas seulement célébrer, les profits mirifiques des grandes entreprises, les responsables de la rubrique économie du Monde auraient pu trouver matière à réflexion dans leurs propres colonnes en s’appuyant, par exemple, sur ces deux articles parus au cours des six derniers mois : « La paupérisation des classes moyennes gonfle la dette des ménages » ; « Les inégalités explosent dans le monde, l’instabilité politique menace ». Mais pour ce faire, il aurait fallu que Le Monde ait une ligne éditoriale autre que celle de complaire aux marchés…

Guy Bernard

 
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