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Querelles de chiffres ? (1)

L’alibi du conditionnel

L’ampleur et l’atrocité des crimes commis par les forces militaires et paramilitaires serbes sont manifestes. Mais pourquoi avoir poussé leur exagération jusqu’à l’absurde ? Le nombre de victimes directes de ces crimes est, semble-t-il, plus proche de 10 000 que de 100 000. Seraient-elles encore moins nombreuses, la politique d’épuration ethnique n’en serait pas moins condamnable. Comment dès lors ne pas attribuer à des embardées de la propagande, les prétendues informations sur leur nombre ?

Il est vrai que les médias ont multiplié les précautions à l’égard des sources officielles, qu’il s’agisse du gouvernement de Milosevic (et des médias à sa solde) ou des responsables politiques et militaires de l’OTAN. Pour preuve de ces précautions : l’usage (sélectif) du conditionnel.

D’une guerre à l’autre la grammaire de l’information a accompli des " progrès " : les falsifications complaisamment diffusées à l’indicatif pendant la guerre du Golfe ont fait place des informations souvent livrées au conditionnel. Mais ce gage de sérieux et de professionnalisme ne saurait masquer - intentionnel ou non - leurs effets pervers. Notamment parce que, dans le pire des cas, le conditionnel conditionne (presque) autant que l’indicatif : quand des rumeurs invérifiées sont élevées à la dignité d’informations-qui-restent-à-vérifier.

Ainsi, Jean-Pierre Pernaut, au journal de TF1 de 13 heures du 20 avril 1999 parlait de " 100.000 à 500.000 personnes qui auraient été tuées, mais tout ça est au conditionnel ". Le journal de 20h du lendemain, sur la même chaîne, récidive : " Selon l’Otan, entre 100 000 et 500 000 hommes ont été portés disparus. On craint bien sûr qu’ils n’aient été exécutés par les Serbes (...) Bien évidemment, la preuve de l’accusation reste à faire. " Ces réserves semblent témoigner d’une certaine prudence, dont s’est souvent départie la presse américaine. Mais elle ne changent rien à l’effet produit : la diffusion d’informations invérifiées a contribué - volontairement ou pas - à la guerre médiatique de l’OTAN.

Quoi que l’on pense de la guerre du Kosovo, que l’on ait ou non approuvé l’intervention de l’Otan, on est en droit d’attendre des notables de la presse, qui se sont bruyamment félicités d’avoir pratiqué un journalisme exemplaire, qu’ils esquissent un bilan...

 
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