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Le Pen au 2e tour

Introspections chez les journalistes (1) Des étudiants

Des étudiants de huit écoles de journalisme communiquent

Les étudiants de huit des neuf écoles de journalisme reconnues par la profession publient le communiqué suivant.

21 avril 2002, 20 heures : Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle. La "gueule de bois" n’est pas seulement électorale. Elle est aussi médiatique.

Le procès des politiques, des sondages et de l’abstention est annoncé. Celui de la couverture médiatique d’une campagne vidée de son sens également. Les rédactions s’interrogent sur leur responsabilité. Une remise en cause dont nous sommes conscients et qui s’avère légitime à nos yeux d’étudiants en journalisme. Pas question ici d’attaquer la profession. Juste un souhait : favoriser, par notre questionnement collectif, le débat sur les pratiques journalistiques.

Nous avons entre 20 et 25 ans. Nous faisons l’apprentissage d’un métier qui s’inscrit dans une démarche citoyenne. Pour nous, le journalisme est un vecteur de la démocratie. Sa fragilité se révèle aujourd’hui.

Quelles images de la campagne retiendra-t-on ? Du ketchup, des tartes à la crème, une gifle et un festival de petites phrases. Les journalistes ont parfois subi et relayé le marketing politique. Notre apprentissage est aussi celui des contraintes professionnelles et des compromis. De plus en plus pesants, ils peuvent expliquer le recul de la démarche citoyenne des journalistes. Mais ils ne doivent pas l’excuser.

Limité par l’heure du bouclage, le temps du reporter est toujours compté. Une demi-journée, est-ce suffisant pour comprendre les causes de l’insécurité dans un quartier ? Et au final, 80 secondes ou quelques dizaines de lignes pour rendre compte des chiffres de la délinquance ou du programme d’un candidat. Comment s’attacher à l’effort nécessaire de synthèse sans dénaturer la réalité ?

Pour que l’information soit accessible et intéressante, il faut du vécu, des témoignages, des images fortes. Mais le risque est de céder trop souvent à la facilité, en jouant la carte de la dramatisation. Les hommes politiques ont fait de " l’insécurité " le thème majeur de la campagne. Les médias devaient-ils en faire le thème central de l’actualité ? Difficile de trancher.

Restent des questions. Comment endiguer la surenchère sensationnaliste et réductrice, résultat de la concurrence toujours plus âpre entre les médias ? Soyons réalistes, les journalistes font partie d’entreprises soumises à des contraintes économiques. Pour autant, ils ne sauraient y être asservis.

Si nous pouvions lever le nez du guidon, dépasser la courte vue des sondages, privilégier l’écoute des citoyens sur le terrain, et l’analyse. Si nous pouvions contrer par la seule information toutes les démagogies et les rendre inopérantes à l’avenir... Peut-être alors que le journalisme sortirait d’un certain suivisme au profit d’un réel engagement civique. Peut-être pourrions-nous intéresser les électeurs à la vie publique. Peut-être que des idées antidémocratiques ne figureraient pas au second tour. Nous voulons nous rendre utiles.

Les étudiants de huit écoles de journalisme reconnues par l’Etat et la convention collective des journalistes : CELSA, Institut des hautes études en sciences de l’information et de la communication, Paris ;
CFJ, Centre de formation des journalistes, Paris ;
CUEJ, Centre universitaire d’enseignement du journalisme, Strasbourg ;
EJCM, Ecole de journalisme et de communication de Marseille ;
EJT, Ecole de journalisme de Toulouse ;
ESJ, Ecole supérieure de journalisme, Lille ;
IPJ, Institut pratique du journalisme, Paris ;
IUT de journalisme, Tours

Un commentaire d’un étudiant au CFJ

Vendredi 26 avril 2002, 10:45.
Salut les jésuites ! Pas étonnant que cette tribune des « huit écoles » soit chaudement accueillie par l’AFP ou Le Monde. C’est suffisamment consensuel et creux pour s’accorder avec leur prose habituelle. Ce registre de la déploration, qui ne s’attaque pas aux causes, ne menace guère l’ordre médiatique. Un ordre qui, épisodiquement, comme après Timisoara ou la guerre du Golfe, a besoin de se battre un peu la coulpe pour retrouver une virginité de façade. Nous aurions pu, à la place, proposer des solutions. Par exemple, re-nationaliser TF1, ce qui mettrait fin à cette dictature de l’Audimat, que nous avons incorporée, et que vous regrettez avec vos mots si mous. C’était, il est vrai, prendre un risque minime : celui de vexer Mougeotte et de ne trouver aucun poste ni sur la Une ni sur LCI. Enfin, l’essentiel est au rendez-vous : par ce piteux écrit, vous incarnerez la bonne conscience de la profession et acquérrez un capital symbolique sans trop suer, passerez chez Amar, afin d’obtenir plus vite des postes à responsabilité, au sommet d’une hiérarchie qui réclamera du commercialement correct en mettant la pression sur les sherpas de l’info. Il faut savoir profiter des occasions de se faire valoir, c’est réussi. Continuez ces motionsWalt Disney-Bambi et vous deviendrez rapidement des July-Plenel-Joffrin-Lescure, "vecteurs de la démocratie" ou fossoyeurs du journalisme.

François Ruffin, étudiant en deuxième année du CFJ

Suite

Depuis le premier tour, des étudiants en journalisme multiplient les motions. Chipotent sur des virgules. Pinaillent sur des adjectifs. Amusant de voir combien, ainsi, nous reproduisons les clichés que nous prétendons dénoncer. A commencer par "l’urgence" : « attention le temps presse », « il faut se dépécher », etc, découvre-t-on sur ce forum. Mais de quelle urgence s’agit-il ? -On connaît l’ego démesuré des journalistes (et je ne m’exclus pas du lot). Mais nous, étudiants, prétendrions-nous influer même un peu sur les résultats du second tou ? Difficile d’adhérer à cette "urgence démocratique". -Simplement, pour obtenir un profit symbolique (reprise par Libé, passage chez Amar, tribune dans les Inrocks) il fallait rebondir sur la vague d’autocritique.

Enfin, nous savons que cet accès d’éthique n’est qu’un micro-événement, parmi d’autres. Qu’il durera une semaine, puis s’épuisera comme toute actualité, cèdera la place à d’autres infos. C’est notre rythmique médiatique. On imagine mal, en effet, des journalistes, ou des prétendants au titre, s’imposer une réflexion sur le long terme. Nous sommes journalistes, c’est d’abord pour ne plus penser... tout en conservant, à bon marché, un vernis d’intellectuels. En deux années au CFJ, jamais on ne nous a conseillé un livre. Jamais nous n’avons rencontré un sociologue. Jamais nous n’avons réfléchi sur la politique de la ville. Comment s’étonner, après cela, qu’articles et reportages se réduisent à un ramassis de clichés ? A la place d’offrir nos leçons de morale, c’est sûrement par ce retour sur nous-mêmes, sur nos a priori, sur nos origines sociales, sur nos buts inavoués, etc, que nous devrions commencer.

Première version : 27 et 28 avril 2002. Compléments et mises à jour du 05-05-2002

 
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