Jean Nouailhac, pourfendeur du « maljournalisme »
Qui est Jean Nouailhac ? La question pourrait paraître sans importance. Si ce n’est qu’il est peut-être bon de rappeler que ce journaliste, qui intervient régulièrement dans Le Point, a signé en 2008 un ouvrage de « critique du journalisme »… du moins, tel que le qualifiait un de ses confrères, Emmanuel Berretta, dans les colonnes du magazine… Le Point. On y apprenait ainsi que cet ouvrage, intitulé Les médiacrates, enquête sur une profession au-dessus de tout soupçon, « s’inscrit dans la lignée des Chiens de garde [sic !] en pointant du doigt les plaies du "maljournalisme" : déontologie vacillante et à géométrie variable, précipitation, mélange des genres, chauvinisme, compassion facile, relais docile de la langue de bois officielle, emprise des grands groupes industriels sur les organes de presse... » et que « Nouailhac [y] répertori[ait], à l’aide de moult exemples, les petites et grandes dérives de la profession ». Bien que nous soyons passés à côté de ce livre – par omission, manque d’intérêt ou peut-être à raison, nous avions déjà relevé ici et là les « petites et grande dérives » par lesquelles le même Jean Nouailhac s’est illustré.
Les quelques commentaires autour de ce livre ne semblaient pourtant pas trahir la profession de foi que le sieur Nouailhac semblait s’être fixée : « Encore faut-il que notre journaliste ne soit pas malade lui-même, qu’il soit indépendant, sérieux, rigoureux, honnête, responsable, incorruptible, n’ayant peur de rien et surtout pas des pouvoirs en place et ne roulant que pour un seul maître : son lecteur » [1]. Ainsi, Jean Nouailhac ne roule que pour ses lecteurs, c’est-à-dire ceux du Point, et il va de nouveau le démontrer en s’épanchant sur la Grèce… et les Grecs.
Calomnies
Si la titraille de son article du 9 juillet laisse déjà présager du pire, le sous-titre (« De nombreux indices permettent de penser que les Grecs préparent activement leur dépôt de bilan et le retour à la drachme » [2]) pouvait laisser entendre que nous allions pouvoir apprécier une véritable enquête policière, digne d’un journaliste d’investigation. Hélas…
L’introduction donne en effet un tout autre ton et mérite que l’on s’y arrête un instant et dans son intégralité :
« Ne jamais croire un Grec, surtout s’il t’amène un présent. » Ces mots tirés de l’Énéide, déposés par Virgile dans la bouche de Laocoon qui ne voulait pas laisser entrer le cheval de Troie, sonnent comme un avertissement. Ne jamais croire un Grec… Cet Alexis Tsipras est apparemment un grand malin, un manipulateur professionnel qui a appris à mentir pendant sa rude formation aux Jeunesses communistes, le dernier parti stalinien d’Europe, mais c’est aussi un fin politicien doublé d’un metteur en scène médiatique de talent. Le voir faire chanter les dirigeants européens, les faire danser le sirtaki, les faire monter au cocotier comme des chimpanzés apeurés, les rudoyer devant son peuple hilare… c’est du grand art ! Jean-Luc Mélenchon, l’homme qui adore admirer ses propres incantations, l’a reconnu comme l’un des siens, et Hugo Chavez, qui a eu le temps de ruiner son pays avant de mourir, l’aurait certainement adoubé [3]
Faut-il, tout d’abord, relever le portrait aux allures de calomnies que notre journaliste brosse du Premier ministre grec ? Puisque ce dernier est « apparemment » un « grand malin, un manipulateur professionnel qui a appris à mentir » mais aussi « un fin politicien doublé d’un metteur en scène médiatique de talent »…
Ou constater les élucubrations fantaisistes et largement farfelues (« Le voir faire chanter les dirigeants européens, les faire danser le sirtaki, les faire monter au cocotier comme des chimpanzés apeurés, les rudoyer devant son peuple hilare ») qui donneraient à croire en un Alexis Tsipras tout-puissant face à des dirigeants européens « apeurés » et enclins à se laisser manipuler ?
Ou bien encore apprécier les petits arrangements que Jean Nouailhac fait avec la situation du Venezuela à la mort de son ancien président, et son exercice de politique-fiction quand il déclare que ce dernier « […] aurait certainement adoubé » le chef de gouvernement grec ?
Mais prêter attention à ces commentaires outranciers et fallacieux nous éloignerait bien trop de « l’avertissement » qu’entend nous délivrer Jean Nouailhac : « Ne jamais croire un Grec… ». Un avertissement doublé d’une légitimité littéraire puisque tiré d’un texte de référence, l’Énéide de Virgile. Sauf que…
Emprunts non crédités
Sauf que cette introduction dont nous gratifie l’auteur est un emprunt qu’il fait – sans le créditer ou mentionner de référence – à une personne qu’il citera plus tard dans son article, et qui n’est autre que le président du think tank libéral « Institut des Libertés », Charles Gave [4].
Le second paragraphe poursuit sur cette lancée puisque Jean Nouailhac reprend, en guise d’intertitre et dans le corps de texte, le mot de conclusion du même billet de Charles Gave : « le choix entre la fin de l’horreur et l’horreur sans fin » (proverbe allemand), toujours sans citer la source de ce nouvel emprunt. On constate donc que la pensée de Jean Nouailhac est non seulement profonde, mais également fort originale, et que ce pourfendeur du « maljournalisme » n’hésite pas à prendre quelques libertés avec la déontologie en oubliant de créditer ses sources et en s’appropriant leurs raisonnements. De là à le qualifier de « grand malin » ou de « manipulateur professionnel », il y a un pas que nous ne franchirons pas.
On notera au passage la manière avec laquelle le « journaliste » décrit au « plus près » ce qu’il identifie comme un scénario bien rodé (à savoir le retour à la drachme que souhaiteraient les Grecs) : « pendant une dizaine d’années, les Grecs se sont gavés d’euros en empruntant à tout-va quasiment au même taux que les Allemands », et, plus loin, « lorsque les Européens se sont aperçus du désastre, en 2011-2012, ils ont fermé l’open-bar » [5]. Comprenez : Les Grecs, ces adeptes de la night-life budgétaire qu’est la zone euro, ont accouru au guichet jusqu’à plus soif… Et si Nouailhac reconnait tout de même que la faute est à imputer à ses prédécesseurs, il affirme tout de go : « Tsipras sait que la Grèce ne remboursera jamais le tombereau de dettes, même quelque peu aminci ».
« Trésor de guerre » et autres délires…
C’est au troisième paragraphe qu’est alors mentionné le nom de celui qui a directement inspiré l’« article » qui nous intéresse, à savoir comme nous l’avons déjà présenté ci dessus, le très libéral Charles Gave, « le premier [qui] a flairé le pot aux roses ».
Une fois celui-ci identifié - quoique partiellement puisqu’il n’est présenté que comme un simple « économiste » - et après avoir largement reproduit ses écrits, Jean Nouailhac peut étaler le fruit de son « enquête » : « Alexis Tsipras, […] organise en sous-main la constitution d’un trésor de guerre que les autorités internationales ne pourront pas saisir » [6]. Un « trésor de guerre » ? Rien que ça ! Notons que l’expression est, une fois de plus, empruntée à Charles Gave.
Viennent ensuite un déversement d’immondices et l’étalement de nombre de délires qui semble hanter l’auteur et nous font craindre le pire sur l’état de son discernement :
Pendant que les médias audiovisuels européens, à voir les mines déconfites de leurs commentateurs à la langue de bois longue comme un jour sans pain, se délectent des malheurs supposés de « ces pauvres Grecs qui n’ont plus rien à manger puisqu’ils n’ont pas de quoi payer leurs achats, les distributeurs automatiques étant vides ou fermés », et pendant que tout ce que Paris compte de trotskos et de bobos se rue sur les antennes d’État et les chaînes d’info pour se plaindre des gémissements télévisés du petit peuple d’Athènes, pendant ce temps-là, donc, le trésor de guerre se constitue petit à petit, dans la coulisse. La masse monétaire grecque s’effondre officiellement. En réalité, une grande partie de cette masse monétaire s’est déjà déversée aux États-Unis, en Allemagne, en Australie et en lieu sûr, dans des coffres ou des boîtes à chaussures. Cela fait longtemps, plus de deux mille ans, que dure cette comédie, plus précisément depuis l’an 45 avant Jésus-Christ, lorsque Jules César inventa le calendrier romain. Les calendes désignaient les premiers jours de chaque mois, pendant lesquels les débiteurs devaient payer leurs dettes. Les Grecs étaient connus pour payer leurs dettes « aux calendes grecques ». En France, on dirait « à la saint-glinglin » ! » [7]
Bigre ! Si l’on en croit notre « analyste », tous les médias européens et parisiens se livreraient à une propagande éhontée de soutien aveugle au peuple grec, ce qu’une rapide visite de notre site vient largement démentir, par exemple ici, ici, là ou encore là ; ou par le visionnage des épandages médiatiques de Nada.info. Pire encore, si le sens commun a érigé des expressions, c’est bien parce que cette « comédie » grecque dure depuis « plus de deux mille ans » ! Ou quand la supposée force de l’adage tient (pathétiquement) lieu d’analyse.
Mépris à l’égard du peuple grec et d’Alexis Tsipras
On avait déjà évoqué la manière dont Jean Nouailhac se permettait de qualifier le Premier ministre grec dès le début de son « article ». Il va poursuivre en le qualifiant de « sale gosse de l’Europe » [8], de « gros malin » et, qui plus est, en lui attribuant d’avoir « […] sans doute, en plus, trafiqué les résultats de son référendum/plébiscite lancé à la va-vite pour ne pas avoir d’observateurs étrangers sur le dos » [9], ce qui s’apparente à de la diffamation.
Mais puisque cela ne semble pas lui suffire, Nouailhac se livre à un intéressant exercice de politique-fiction : « Alexis Tsipras [...] n’aura plus alors qu’à se rapprocher de Poutine, Obama et Xi Jinping » ou « chercher à s’entendre avec les Européens pour reporter sa dette aux calendes grecques ! Quel scénario ! ». Certes.
Mais surtout, comme le titre et le reste de l’article le laissaient présager, il finit par déverser tout son mépris sur le peuple grec : « S’il y a bien une chose qu’ils savent faire, c’est mener les gens en bateau. Leurs armateurs sont les meilleurs et les plus malins du monde depuis la nuit des temps. L’épée du Grec Damoclès flotte maintenant au-dessus de l’Europe… » [10]. Il embarque par là même le lecteur du Point dans une appréciation de la Grèce et de ses habitants qui est loin d’être dénuée de clichés…
Jean Nouillhac a le droit de ne pas apprécier la politique menée par Alexis Tsipras, et d’exprimer « en toute liberté » (puisque c’est le nom de la rubrique dans laquelle il intervient régulièrement dans Le Point) ce qu’il pense des Grecs. De là à se livrer à de la pure calomnie (voire de la diffamation), à se répandre dans la reproduction des plus vils clichés, ou à procéder à des emprunts sans identifier d’emblée les sources – très libérales – qui guident sa pensée, il y a des limites qu’un minimum de déontologie suffirait à ne pas franchir.
Si l’on se souvient qu’il appelait de ses vœux, dans son livre, que le journaliste puisse être « sérieux, rigoureux, honnête, responsable », ou qu’il « ne soit pas malade lui-même », on ne sait plus trop, à la lecture de son dernier article, s’il faut lui conseiller de méditer sur cet autre adage (lui qui semble tant les apprécier) : « charité bien ordonnée commence par soi même »… ou bien de consulter.
Nils Solari