Le 5 juillet, alors qu’elle recevait la responsable écologiste Marine Tondelier au micro de son entretien de 7h50, Léa Salamé a tenu, comme l’ensemble de ses confrères, à distinguer le bon grain de l’ivraie au sein de la Nupes autour des révoltes populaires. Objectif qui semble justifier tous les moyens :
À la Nupes, il y a eu deux positions très opposées qui se sont fait entendre depuis 10 jours. D’un côté, Jean-Luc Mélenchon qui a dit « je n’appelle pas au retour au calme, j’appelle à la justice », puis il a fait le tri entre les écoles et les bibliothèques qu’il ne faut pas brûler, et les autres, les dégradations acceptables à ses yeux. Et de l’autre côté, il y a le communiste Fabien Roussel, qui a condamné absolument toutes les violences et s’est désolidarisé avec les propos de Jean-Luc Mélenchon [...].
Quoi qu’on pense des déclarations de Jean-Luc Mélenchon [1], la manière dont Léa Salamé les « rapporte » relève de la désinformation pure et simple. Une désinformation à laquelle se sont prêtés bien d’autres journalistes et élus politiques avant la star du service public. Pourtant, Jean-Luc Mélenchon était lui-même revenu sur la réception médiatique de ses propos, face à Adrien Gindre, le 2 juillet sur LCI, : « Il y a deux jours, je fais une intervention où je dis : "Écoutez, vos écoles..." J’ai été élu local, je sais ce que ça coûte une école qui brûle, un gymnase, etc. Qu’a-t-on déduit de ce que je disais ? C’est que le reste, on pouvait le brûler. Mais je n’ai jamais dit ça ! Et quand la grand-mère de Nahel dit : "Ne cassez pas les bus", est-ce qu’elle est en train de dire : "Cassez les commerces" ? Non ! Il faut rien casser du tout. » Une interview dans laquelle on pouvait par ailleurs assister à cet échange d’anthologie, qui illustre jusqu’à l’absurde la surdité monomaniaque des médias dominants :
- Jean-Luc Mélenchon : La question, pour un homme politique, n’est pas d’appeler au calme, de se donner des postures, c’est d’essayer d’arriver au calme, et pour ça de régler rationnellement les problèmes qui se posent.
- Adrien Gindre : Donc vous n’appellerez pas au calme ce soir ?
- Jean-Luc Mélenchon : Mais si, Monsieur, à ce que vous voulez, à la paix, à l’amour, à la concorde…
- Adrien Gindre : Eh ben dites-le ! [2]
Mais Léa Salamé s’en contre-fiche : elle persiste, trois jours plus tard. Sa position, dominante dans le champ journalistique, l’autorise manifestement à manipuler des déclarations en toute impunité. Quoi d’étonnant de la part d’une professionnelle habituée à jongler avec « l’information » comme bon lui semble ? Par exemple, avec les sondages d’opinion, terrain de jeu de tout bon éditocrate qui se respecte, en s’affranchissant de tout recul critique à leur égard. Ainsi, on entendra un peu plus tard dans l’interview Léa Salamé s’adresser en ces termes à Marine Tondelier :
« Parler calmement », vous dites. Et « être audible », vous dites ce matin. Quand on regarde les sondages d’opinion après cette semaine de violences, les Français réclament clairement de l’autorité et de la fermeté. Sondage Elabe hier, ils sont près de 9 Français sur 10 à condamner les violences contre les policiers et à estimer, 9 Français sur 10, que la mort de Nahel n’a été qu’un prétexte pour casser. Est-ce que ça vous interroge quand vous voyez les sondages d’opinion et les Français qui réclament de l’ordre, qui réclament, au fond, des mesures de droite ? Où vous êtes audible, là ?
L’occasion de relire l’un des encadrés que nous consacrions à Léa Salamé dans Les médias contre la gauche [3], montrant comment, sous couvert d’« information », l’éternelle intoxication (aux sondages) et l’infatigable militantisme (contre la gauche) verrouillent le débat au profit du maintien de l’ordre. Commentateurs et grands intervieweurs ne constatent pas que la gauche est « inaudible ». En portant le débat sur ce prétendu constat, sur de prétendues déclarations, réécrites selon les besoins de la cause, ils créent les conditions pour qu’elle le soit.