« C’est pas sorcier », l’émission pédagogique de France 3 vire au publireportage pour les compagnies forestières.
Le 14 avril 2010, France 3 a programmé, à 20 heures 35, une émission exceptionnelle de 110 minutes de « C’est pas sorcier » sur la forêt du bassin du Congo, assez justement intitulée « En route pour la jungle ». Cette émission a été financée principalement par l’AFD (Aide Française au Développement). Elle a été tournée entièrement sur la concession de la CIB (Congolaise industrielle du bois) en République du Congo (Congo Brazzaville). L’un des objectifs des réalisateurs était « d’enquêter sur la CIB ». L’AFD étant l’un des financeurs de la CIB [2], à laquelle il a accordé un prêt de 7 millions d’euros en 2005, il n’est pas difficile de comprendre que cette « enquête » était en fait destinée à faire la publicité de la CIB.
La conclusion ne nous étonnera donc pas : « Nous avons aussi confronté nos six mois d’enquête à la réalité du terrain, et transformé le regard que nous posons sur ce joyau de la planète. Le constat est clair : l’exploitation du bois est une ressource vitale pour les États de la région, et offre des emplois à des milliers de personnes parmi les plus pauvres de la planète. Nous ne pouvons donc pas mettre cette forêt sous cloche, décider de ne plus y toucher pour la préserver à tout prix ! L’exploitation du bois doit se poursuivre… » [3].
Pour apprécier le sel de cette déclaration, précisons que la CIB a en concession au Congo 1,3 million d’hectares, ce qui en fait l’une des premières exploitations du bassin du Congo. Elle y emploie en tout et pour tout 1500 personnes. Elle vient du reste d’en licencier 665 en raison de la crise mondiale. Dans le documentaire une vingtaine de personnes apparaissent. Une dizaine d’Européens, presque exclusivement des Français, désignés respectivement comme chercheur, biologiste, spécialiste de la chimie des plantes pour les laboratoires Pierre Fabre, coordinateur de projet, directeur de production de la CIB, etc. La dizaine de Congolais qui apparaît compte un couple de deux pygmées, un chef de patrouille des éco-gardes, un chef abatteur, un communicateur social, etc.
Après cinquante ans d’indépendance la structure du personnel est toujours typiquement coloniale. Les Congolais ne dirigent rien dans l’exploitation de leur bois et dans la recherche pharmaceutique sur leurs plantes.
Ils n’en reçoivent pas non plus les bénéfices. Dans un rapport de 2004 effectué sur cette même exploitation de la CIB au Congo [4], Greenpeace observe que le pays ne s’est absolument pas développé depuis un demi-siècle, seuls les dirigeants se sont enrichis en bradant les ressources, que le secteur forestier est un secteur très rentable qui préserve un secret jaloux sur ses bénéfices : « Dans un contexte où la transparence reste absente et où la structure réelle des profits des compagnies forestières reste inconnue, la CIB a reçu une quantité importante de financements externes [...] Les bailleurs de fonds investissant actuellement des fonds dans des activités aidant les compagnies forestières à améliorer leurs opérations devraient commander des audits, transparents et indépendants, des structures de coûts et de profits des compagnies forestières opérant dans le bassin du Congo. [Des financements publics] presque exclusivement alloués aux grands exploitants forestiers privés. »
Des constantes durables
Aider les riches est une entreprise philanthropique trop méconnue. La fondation Chirac ne pouvait manquer de venir elle aussi au secours de la communication de la CIB. Elle a financé la radio communautaire Biso na Biso qui permet de diffuser aux populations la bonne parole des exploitants forestiers, à l’égard desquels Chirac a toujours eu une sollicitude particulière. Les habitants de la forêt ne sont pas près de menacer cet ordre centenaire, qui s’est mis au langage à la mode du développement dit durable.
Mais il y a des constantes, tout aussi durables. Par exemple le regard porté sur la communauté des pygmées Baaka par Fred, l’un des animateurs de l’émission de France 3, vaut son pesant de Sapelli : « Ils n’ont d’ailleurs pas la notion du temps [...] Qu’est-ce qu’ils sont habiles en plus ! Ils marchent pieds nus tout le temps, voient des choses que nous on ne peut absolument pas voir et montent aux arbres avec facilité. Tout leur paraît simple, ils connaissent la forêt sur le bout des doigts, c’est très surprenant. ». Quelle surprise en effet, ils n’ont même pas attendu qu’on vienne les instruire sur l’intérêt du bois !
Du bonheur de manier la tronçonneuse
Mais il faudra bien pourtant leur apprendre à se passer de leur forêt. Fred insiste : « Il y a une chose qui est essentielle et qu’il faut dire, parce que j’ai l’impression que les gens ont du mal à comprendre ça, il est important d’exploiter cette forêt parce c’est la deuxième ressource pour les populations du pays après le pétrole. Les discours qui consistent à dire “il faut mettre cette forêt sous cloche”, tenu par des gens qui vivent richement dans nos pays occidentaux, sont totalement déplacés et manquent de respect pour ces populations ». C’est vrai enfin, priver les Congolais du bonheur de manier la tronçonneuse et conduire des grumiers pour un salaire mirifique qui doit bien atteindre les 80 euros mensuels, c’est manquer de reconnaissance pour les malheureux dirigeants et actionnaires qui se dévouent en touchant leurs pauvres rémunérations et dividendes.
Odile Tobner