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« Féminins » en campagne (2) : « Oui ou non ? » = Oui. L’équation de Marie Claire

par Christiane Restier-Melleray,

Est-ce pour se démarquer de Elle  ? Est-ce pour ménager son lectorat ? Est-ce tout simplement parce que le pire n’est pas toujours absolument sûr ? Marie Claire daté de juin 2005 propose un article apparemment nuancé. Mais celui-ci, non sans habileté, incite à voter « oui ».

Principal titre de la couverture ? « Un été sans cellulite ». Mais dans un article de rien moins que quatre pages (entrecoupé de 2 pages de publicité), Marie Claire, « magazine de l’année 2005 » (selon le Syndicat de la presse magazine et d’information) propose donc, sous la plume de Marie Bartoli, un argumentaire documenté et subtil qui semblerait rigoureux et respectueux de la libre formation des opinions de ses lectrices si l’on négligeait de prendre en compte la mise en forme d’un texte qui s’ouvre sur une claire injonction à voter et se termine par un appel au réalisme : voter OUI [1].

Le titre trace la voie à suivre (on appréciera le conditionnel) : « Constitution européenne : tout ce qu’elle devrait changer pour les femmes, l’environnement, la paix, etc. ». Et le sous titre est impératif : « Le 29 mai, pas question de filer à la campagne. Les femmes doivent user de leur droit de vote (qui fête ses 60 ans) et s’exprimer sur l’Europe. Voici ce qu’il faut savoir avant... »

I. « Un pouvoir démocratique dont il serait irresponsable de se priver »

L’article s’ouvre sur ces questions : « Plus que quinze jours et il faudra trancher. Alors, oui ou non ? Mais d’abord, que change cette Constitution ? ». Et la journaliste de brosser un historique et un justificatif de la « constitution » : « En bref, elle rationalise le fonctionnement de l’Union européenne [...] Ce nouveau traité « Instituant une Constitution pour l’Europe » les compile, simplifie les procédures de vote au sein des institutions européennes et clarifie la répartition des compétences entre l’Union et les vingt-cinq Etats. Son deuxième objectif ? Apporter une dose d’hormones de croissance au « nain politique » qu’a été l’Europe jusqu’alors" [...] Autre nouveauté : l’Europe parle désormais valeurs, et non plus seulement business . Liberté d’association, d’exercer la profession de son choix et de faire grève, droit à des conditions de travail dignes, égalité homme-femme... ces principes ne vont pas de soi dans tous les pays. Et l’UE, fière de son « modèle social », s’en prévaut. Certes, ils étaient déjà en partie garantis par d’autres textes communautaires, mais voilà qu’ils sont gravés dans le marbre d’une Constitution dont les juges pourront s’emparer en cas de non-respect.  » [2] Cela est plus que discutable, puisque cela est discuté. Mais les lectrices de Marie Claire n’en sauront rien [3]

Viennent cependant quelques réserves : « “Progrès social”, “plein emploi”, “lutte contre les exclusions”, ces mots doux sonnent pourtant d’une drôle de façon, accolés comme ils le sont à d’autres objectifs, tel une « économie de marché hautement compétitive », où rien ne peut entraver la circulation des capitaux. Cela est inquiétant, mais logique : [...] c’est l’un des défis de l’Union que de doper ses performances économiques, face aux Etats-Unis (1,4 % de croissance en 2004) ou à la Chine montante (9,5 %). ». Et Marie Bartoli de reconnaître que « la première urgence pour l’UE n’est donc pas d’être sociale ». Mais c’est pour corriger aussitôt : « Mais reconnaissons à la Constitution qu’elle autorise les citoyens à se mobiliser pour faire régner l’égalité promise en pointillés dans les textes. Par exemple, à condition d’être au moins un million à signer une pétition, nous pourrons, vous et moi, demander à la Commission européenne de plancher sur une « proposition » à soumettre au Conseil et au Parlement. Un pouvoir démocratique dont il serait irresponsable de se priver. » Comment donc ne pas voter en conséquence ?

C’est pourquoi Marie Bartoli s’apprête logiquement à conclure : « Bref, l’Europe nous appartient[...] ». Mais c’est pour se raviser aussitôt : « Bref, l’Europe nous appartient... à condition déjà, de voter en connaissance de cause, le 29 mai. Pour ce faire, nous avons soumis des experts « pro » et « anti » aux questions qui nous semblaient essentielles. »

II. « Oui ou non ? » = Oui

Quels sont ces « experts » dont l’invocation suffit à valider le sérieux de l’article ? Nous l’apprendrons par quelques citations qui parsèment la suite. Quant aux questions qui sont censées intéresser au premier chef les femmes (et qui sont abordées sous plusieurs sous-titres clairement mis en évidence par la typographie), les voici.

« La Constitution protège-t-elle les droits des femmes ? ». Réponse : « [...] En matière de parité, donc, les institutions communautaires ne donnent pas l’exemple ! Mais revenons au traité. Dès l’article I-2, c’est dit : l’égalité est l’un des fondements de l’Union, et celle entre les hommes et les femmes n’est pas oubliée, même si elle n’est pas mise au rang des « valeurs fondatrices » de l’Europe. Noir sur blanc sont affirmés le principe de non discrimination sexuelle et la volonté de promouvoir partout l’égalité entre les sexes, « y compris en matière d’emploi, de travail et de rémunération ». Certes, ces préceptes ont déjà été énoncés en 2000 dans la Charte des droits fondamentaux. Mais celle-ci, intégrée à la Constitution, y gagne une petite valeur juridique et symbolique. Sans lâcher le mot de parité, le texte autorise également "le maintien ou l’adoption de mesures prévoyant des avantages spécifiques en faveur du sexe sous-représenté". Il interdit la "traite des êtres humains". En revanche, on n’y trouve rien sur les droits au divorce, à la contraception, à l’IVG. Dommage pour les Maltaises, les Polonaises, les Chypriotes. .. Quant au nécessaire combat contre la violence domestique, fléau européen, i1 est renvoyé en annexe, sans aucune portée juridique contraignante. Bref, l’affirmation des droits des femmes n’a pas été une priorité des rédacteurs, loin de là  ». Pourtant, si Marie Bartoli donne la parole à Sabine Salmon, présidente de la fédération des femmes solidaires, qui « tempête » contre le fait que « l’affirmation des droits des femmes n’a pas été une priorité des rédacteurs » et qui s’inquiète que « ce texte peut permettre de battre en brèche certains droits acquis de haute lutte » notamment « l’article II.62, mentionnant « le droit à la vie », slogan des commandos anti-IVG », c’est pour corriger immédiatement : « Cependant pas de panique [...] la législation française sur l’IVG n’est pas en danger contrairement à ce que l’on a pu lire sur certains sites internet  ». Et pour que la conclusion s’impose sans jamais être donnée, il suffit d’inviter à cet endroit de l’article Evelyne Pisier, professeure de Sciences politiques à l’université Paris I, « experte » donc et... favorable au Traité, qui proclame solennellement : « L’inscription du principe d’égalité homme-femme dans le texte est une avancée indiscutable ». Et cette citation est mise en exergue et surlignées en jaune dans le corps du texte. La conclusion suggérée, après tant de nuances, est donc claire.

« Oblige-t-elle à un meilleur respect de l’environnement ? ». Réponse de Marie Bartoli : « Gendarme de la chlorophylle, l’Europe a su régulièrement rappeler la France à l’ordre, quand, notamment, elle s’avisait de tirer sur les oiseaux migrateurs ou de négliger la qualité de ses eaux. Avec ce traité, elle ne relâche pas sa surveillance, mais n’introduit pas d’avancées majeures [...] ». Mais un article du Traité « réaffirme, entre autres, le principe de précaution ainsi que celui du pollueur-payeur, qui n’est pas inscrit dans notre Charte de l’environnement ». Ce que la légende de la photo qui illustre cette réponse résume encore plus favorablement « Côté pollution, le traité est un peu plus vigilant que notre Charte française de l’environnement ». Conclusion...

« La constitution est-elle ultra-libérale ? » Le résumé est clair : « Elle est libre-échangiste, et pas qu’un peu. En revanche, rien n’est moins neuf... ». Selon un procédé rhétorique à répétition, Marie Bartoli commence par concéder, avant de rassurer.

Concéder  : « C’est à une directive européenne que l’on doit notamment l’autorisation du travail de nuit pour les femmes. Si le traité est ratifié, l’Union pourra imposer aux services publics d’être « concurrentiels ». Ceci dit, avec ou sans Constitution, la directive Bolkestein restera d’actualité. Et les délocalisations, le dumping fiscal, la flexibilisation de l’emploi - qui concerne les femmes au premier chef - aussi. L’Europe n’a pas inventé ces maux, mais son nouveau traité n’en freine pas l’évolution [...] »

Rassurer : « Néanmoins, dans sa Constitution, l’UE se pique de préoccupations sociales, une grande première ; reconnaissance du droit de grève, volonté de combattre les exclusions et de prendre en compte les exigences sociales dans toutes les politiques européennes... « Le traité est à la fois inquiétant par son credo libéral et rassurant par rapport au traité de Nice : ce dernier, qui régit actuellement le fonctionnement de l’Union, ne possède pas ces références au social, résume Louis Maurin, responsable de l’Observatoire des inégalités. L’adoption de la Constitution n’engagera pas automatiquement l’Europe dans un système à l’anglo-saxonne. Tout dépendra de la façon dont elle sera interprétée. » Et du rapport de force entre les ultra-libéraux et les autres. » Alors...

« L’adoption de la Constitution va-t-elle favoriser l’entrée de la Turquie ? » « Non. Que le traité constitutionnel soit ratifié ou non, les négociations sont de toute façon déjà en cours avec Ankara. Au contraire, son adoption conduira peut-être à rendre l’entrée de la Turquie un peu plus ardue, sachant que l’Union y affirme son attachement à l’égalité homme-femme, au respect des droits de l’homme [...] ». C’est ainsi, à propos de l’entrée de la Turquie que, comme par hasard, la question de la laïcité est abordée, pour rassurer ceux qui voudraient l’être : « La loi française sur les signes religieux ostensibles à l’école n’est donc pas remise en cause. ». Certes. Pas dans le texte. Mais Marie Bartoli omet de mentionner les arguments de ceux qui s’inquiètent notamment de recours possible, devant la Cour de justice de l’Union Européenne au nom de l’article II-70 qui accorde « la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites ».

« Serons-nous plus forts en cas de guerre ? » - «  Théâtre de Verdun et d’Auschwitz, l’Europe affirme dans le préambule de sa Constitution que ses peuples « sont résolus à dépasser leurs anciennes divisions » et à « oeuvrer pour la paix ». La solidarité militaire entre les Etats membres est renforcée. [...] L’Union se charge également de prévenir le terrorisme sur son territoire. En cas d’attaque de ce genre, les Etats doivent voler au secours de l’agressé en envoyant des militaires si besoin. Idem en cas de catastrophe naturelle. » Tout va donc pour le mieux...

« Faut-il accepter des compromis pour faire l’Europe ? ». On imagine assez que la question ainsi posée sans que l’on indique ce que doivent être les compromis en question n’admet qu’une seule réponse, ici encore suggérée sans être donnée : « Le traité constitutionnel est déjà, lui-même, l’objet de tous les compromis. [...] Au final, son projet de Constitution, pétri de concessions, n’enthousiasme pas grand monde. Les altermondialistes n’en sont pas contents, mais les ultralibéraux non plus. Instaure-t-il l’Europe dont rêve chacun de ses 452 millions de citoyens ? Non . Doit-on le rejeter ou le prendre tel qu’il est, avec ses manques flagrants et ses avancées ? A chacun de décider . » Voilà qui semble plus ouvert, mais...

« Que va-t-il se passer si la France rejette le traité ? ». «  Pour entrer en vigueur, le traité constitutionnel doit être ratifié par tous les Etats membres. [...] Si un pays peu influent dit non, place à la petite cuisine communautaire [...] En revanche, si un pays « important », comme la France, le refuse, le retour au statu quo, c’est-à-dire au traité de Nice, est plus que probable. Et quand bien même les Etats membres accepteraient de renégocier, la discussion serait minée d’avance, car la France ne serait plus en position de force pour faire entendre ses exigences. Le prix à payer de son gros pavé dans la mare. » Dans ce cas...

II. Des photographies et des entretiens qui votent « oui »

Si la partie écrite de l’article mobilise un argumentaire apparemment contrasté mais plus ou moins discrètement orienté, le message est autrement plus clair dans les photographies et paratextes qui l’accompagnent.

Certes, les deux citations d’experts surlignées en jaune par Marie Claire attestent de la volonté d’afficher un article balancé dont on vient d’apprécier l’équilibre. Nous avons déjà mentionné la première : « L’inscription du principe d’égalité hommes-femmes est une avancée indiscutable ». Voici la seconde, apparemment moins « engagée », mais peu compromettante : « L’Europe n’a pas inventé le libéralisme, mais le nouveau traité ne le freine pas »

Des photographies et leurs légendes qui votent « oui » : Trois photos résument trois thèmes auxquels les femmes sont censées être sensibles, dans ces cas le vote oui s’impose dans la totalité de ces mises en images et de leurs commentaires :
- 1/Photo 1 : une manifestation de femmes. Sous titre : « Le traité ne menace pas l’IVG, contrairement à ce qui a été dit sur certains sites Internet »
- 2/ Photo 2 : L’Erika s’enfonçant dans l’Océan. Sous titre « Côté pollution, le traité est un peu plus vigilant que notre Charte française pour l’environnement. »
- 3/ Photo 3 : une mosquée. Sous titre : « Traité ratifié ou non, les négociations sont de toute façon en cours avec la Turquie.  »

Un encadré qui vote « oui » deux fois sur trois. Plus subtil, à côté de ces message strictement visuels, existe un autre genre, à mi chemin entre le texte et l’image : un encadré (avec photos) - « Elles disent oui, elles disent non... » - résume les analyses de femmes starifiées : Emmanuel Béart et Isabel Marant votent « oui » ; Isabel Alonso vote « non ».

Ce n’est pas dans un éditorial que Marie Claire prend position, mais dans un article qui se présente comme un article d’information. Plus persuasif que bien des pamphlets unilatéraux, il incite sans prescrire avec un art consommé du déséquilibre dans l’équilibre.

Christiane Restier-Melleray, avec Denis Perais et Henri Maler

 
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Notes

[1Tonalité résumée dans un encadré consacré à « Elles disent oui, elles disent non » où une des trois femmes interrogées, I. Alonso explique son vote Non alors que les deux autres, E. Béart et I. Marrant justifient leur vote « oui ».

[2En gras, ici et dans le suite : souligné par nous.

[3L’article II.111.1 stipule en effet que la Charte des droits fondamentaux « ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelle pour l’Union », l’article II.112.5 précise lui que « les dispositions de la présente Charte[...]peuvent être mises en œuvre par des actes législatifs et exécutifs[...] lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union », ce qui revient à en restreindre sérieusement l’application, notamment dans les domaines non couverts par le droit de l’Union comme l’éducation, la santé, le travail mais aussi l’avortement, le divorce ou la contraception, qui relèvent de compétences nationales.

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