Le Monde est confraternel (23-1-2002)
Le Monde du 19 janvier 2002. Sous le titre " Usine AZF : poursuites contre plusieurs journalistes ", Nicole Vulser informe les lecteurs du procès intenté contre Marc Mennessier, journaliste au Figaro, pour " complicité de délit de diffamation et complicité de délit de publication, diffusion, ou reproduction de fausses nouvelles ".
Nicole Vulser précise que le procureur de Toulouse " a été saisi d’une plainte pour diffamation, émanant de la famille d’un Français d’origine tunisienne, Assan Jandoubi - décédé après l’explosion ".
Passons sur la mention de l’origine d’Assan Jandoubi : rien dans la suite de l’article ne justifie cette précision. Mais rien non plus, dans la suite de l’article, ne permet de comprendre les motifs de la plainte !
Sans doute pressée par le temps, Nicole Vulser n’a ni consulté ses archives, ni interrogé la famille d’Assan Jandoubi. Sa seule source ? Marc Mennessier lui-même.
Aussi après mentionné l’origine de la plainte et évoqué le décès du " Français d’origine tunisienne ", peut-elle enchaîner immédiatement ainsi :
" Journaliste scientifique, envoyé à Toulouse par sa rédaction, M. Mennessier a expliqué au Monde que, sur la foi d’un rapport des renseignements généraux de Toulouse, il avait évoqué dans un article la piste d’un attentat islamiste. "
En réalité, Marc Mennessier, dans plusieurs articles successifs, avait suggéré, sur la foi d’un rapport des Renseignements Généraux et de quelques rumeurs, qu’Assan Jandoubi aurait été lié à des groupes islamistes pourrait être impliqué dans un attentat. L’usage du conditionnel protégeait à peine de l’abus des insinuations.
De tout cela le lecteur du Monde ne saura rien. En revanche, Nicole Vulser mentionne un tout autre élément qui avait mis des journalistes du Figaro sur " la piste d’un attentat islamiste " :
" Le Figaro avait publié notamment le témoignage d’une commerçante riveraine du site qui avait affirmé avoir entendu deux explosions, accréditant la thèse de l’attentat, avant de se rétracter au cours de son interrogatoire. "
Les motifs de la plainte sont ainsi complètement passés sous silence.
Quant à Marc Mennesier, nous apprenons qu’il s’estime, selon ses propres termes " victime de pressions " et qu’il bénéficie du soutient du SNJ :
" Le Syndicat national des journalistes "assure complètement de son soutien son confrère Marc Mennessier et le manifestera notamment en assumant la procédure", a indiqué, jeudi 17 janvier, François Boissarie, son secrétaire général ", par ailleurs journaliste...au Figaro.
Les procès en diffamation et en diffusion de fausse nouvelle peuvent, il est vrai, menacer la liberté d’investigation des journalistes. Mais quand rien ou presque, au sein de la profession, ne permet d’imposer le respect de quelques règles déontologiques élémentaires et, à travers elles, le respect dû à un mort et à sa famille, quel recours reste-t-il à celle-ci, si ce n’est d’intenter un procès pour que justice lui soit rendue ?
Encore faudrait-il pour que cette question puisse être posée que des journalistes pressés ou excessivement confraternels ne négligent pas les informations qui, indépendamment de toute considération judiciaire, permettent de considérer que les articles de Marc Mennessier étaient à tout le moins indécents.
On attend que Nicole Vulser et le SNJ le disent clairement.
Tout Toulouse , encore plus confraternel (2-2-2002)
Dans Tout Toulouse - l’hedo du grand Toulouse, édité par la Société de presse du Midi (filiale Le Monde-Midi libre), on peut lire ceci dans le " Bloc notes " de Jean Paul Besset (numéro daté du 30 janvier au 5 février).
" C’est un étrange procès qui va se dérouler, lundui 4 février [La date du procès vient d’être reportée au mois d’avril, ndlr]. Le procès de deux journalistes du Figaro et de Valeurs actuelles, accusés de " divulgation de fausses nouvelles ", par le procureur de la République. "
Dès la première phrase, une erreur et une omission. Une erreur : les journalistes sont accusés seulement de " complicité de divulgation de fausses nouvelles ". Une omission : ils sont accusés de " complicité de diffamation ". Comme on va, le voir cette erreur et cette omission permettent de dramatiser les les enjeux et de dissimuler les problèmes.
Accusation de " divulgation de fausses nouvelles ", selon Besset, qui s’indigne ... des conséquences de son information tronquée :
" Diable ! L’accusation sonne un peu comme un réquisitoire de tribunal des armées. "
Avant de poursuive, quelques lignes plus loin :
" De quelle vaste opération de manipulation de l’opinion, ces deux journalistes, dont nous ne sommes ni les amis, ni les adversaires, se sont-ils rendus coupables ?
Question pour question : pourquoi cette emphase - " vaste opération de manipulation de l’opinion " pour parler de l’action de deux journalistes dont Jean-Paul Besset n’est ni l’ami ni l’adversaire... uniquement parce qu’il s’agit de confrères ?
Réponse de Besset à sa propre question : mes confrères sont déontologiquement innocents. La preuve : " Après l’explosion d’AZF, ils se sont fait l’écho d’une note des renseignements généraux faisant état d’un possible attentat islamiste. Sur la foi de ce document, ils ont nommément désigné une victime comme auteur possible de cette attentat. Ils se sont trompés. Et alors ? "
Et alors ? Jean-Paul Besset ment systématiquement par omission... Les journalistes ne se sont pas seulement fait l’écho : Le Figaro a consacré plus deux pages à broder ses commentaires autour de cet écho. " Sur la foi " d’un document hypothétique (et confidentiel) de source policière, ils ont surenchéri en accumulant des hypothèses sur l’hypothèse, presque totalement à sens unique. En désignant nommément une victime (alors que son nom n’ajoutait rien à l’information), ils ont pris - sans la moindre précaution - , le risque de désigner à la vindicte publique, une famille déjà éprouvée ainsi que les amis de la victime.
Mais Jean-Paul Besset, parce qu’il a lui-même communiqué au Monde, mais sans surenchère, la même information, ne se soucie guère du contenu des articles à répétition du Figaro. Il prend sa propre défense, sans en informer le lecteur de Tout Toulouse :
" Le document d’un service de police existait bel et bien. Fallait-il le taire sous prétexte qu’il pouvait être interprété dans un sens malsain ? "
Comme si Le Figaro s’était borné à faire état du document... Comme si l’interprétation " dans un sens malsain " n’était pas le fait des journalistes du Figaro eux-mêmes...
Totalement aveuglé par le plaidoyer qu’il se consacre en défendant ses confrères, Jean-Paul Besset préfère oublier ce que ces journalistes ont écrit, et continue imperturbablement :
" Y a-t-il des raisons idéologiques - toujours excellentes dans leur prinfcipe - ou des raisons d’Etat qui priment sur la réalité des faits ? Si oui on peut dire adieu à une liberté fondamentale, celle de la presse que tous les pouvoirs n’ont de cesse de rogner. "
Nous ne sommes pas encore au sommet du cynisme, mais nous nous en approchons. De quelle réalité des faits s’agit-il en l’occurence ? Seulement de l’existence de la note des renseignements généraux dont le contenu ne prétend même pas établir des faits. Quant aux insinuations du Figaro, elles relèvent précisément des ces raisons idéologiques qu’il est parfaitement légitime de mettre en cause, d’abord pour des motifs déontolgiques que nombre de journalistes se plaisent à invoquer. Mais Jean-Paul Besset préfère appeler " idéologiques ", les motifs d’une famille qui se défend contre deux pleines pages de soupçons infamants. Certes, les démentis de la famille ont été brièvement rapporté par Le Figaro. Mais face à deux pages de conditionnels qui conditionnent (sur les habits, le comportement, les fréquentations de la victime mise en cause), de quel poids pèsent des démentis qui, dans ce contexte, deviennnent eux aussi soupçonnables ?
Ayant ainsi dérobé au lecteur le rappel du contenu effectif des articles du Figaro et soustrait à sa vigilance toute mise en discussion de leur sens et de leur finalité, Jean-Paul Besset les revêt de probité candide :
" De quoi, au final, ces journalistes sont-ils coupables, sinon d’avoir, à leur façon, cherché à comprendre et à expliquer, sinon d’avoir douté de la version officielle ? "
Après ce vibrant éloge du " tout est permis ", on s’apprête à clore. Mais ce n’est pas fini :
" Que la presse ait des comptes à rendre quand elle commet des erreurs - en particulier au regard de la diffamation des personnes - rien de plus normal. "
Ainsi au détour d’une phrase, Jean-Paul Besset s’abrite derrière une concession... sans avoir dit que la diffamation était l’un des actes d’accusation contre les journalistes de Valeurs actuelles et du Figaro.
La seule question qui vienne alors à l’esprit - par une incompréhensible association d’idées - est la suivante : qu’est-ce qu’un faux ami ?
Ainsi les journalistes auraient des comptes à rendre dans l’hypothèse d’une diffamation. Mais...
" Mais - conclut Jean-Paul Besset - qu’on se saississe d’une erreur, qu’on assimile toute recherche d’information, avec son lot inévitable d’incertitudes, à un obscur complot idéologique conduit à mettre la pression sur toute une profession qui dérange. Interdire le droit à l’erreur revient à interdire la recherche contradictoire de la vérité. Voudrait-on qu’il n’y ait jamais qu’une parole, qu’une version, qu’une vérité - celle du Parquet. Voudrait-on que les journaux se réduisent à des portes-voix et se contentent de publier des communniqués ? Voudrait-on qu’il n’existe qu’un journal ? "
Avec ce passage à la limite qui permet de dissuader de toute critique du journalisme, Jean-Paul Besset a achevé son chef d’oeuvre.
Il faut alors répéter ce que l’on a déjà dit.
Les procès en diffamation et en diffusion de fausse nouvelle peuvent, il est vrai, menacer la liberté d’investigation des journalistes. Mais quand rien ou presque, au sein de la profession, ne permet d’imposer le respect de quelques règles déontologiques élémentaires et, à travers elles, le respect dû à un mort et à sa famille, quel recours reste-t-il à celle-ci, si ce n’est d’intenter un procès pour que justice lui soit rendue ?
Encore faudrait-il, pour que cette question puisse être posée, que des journalistes pressés ou excessivement confraternels ne négligent pas les informations qui, indépendamment de toute considération judiciaire, permettent de considérer que les articles de Marc Mennessier étaient à tout le moins indécents.