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Conflit matrimonial sur fond de conflit social

par Mathias Reymond,

Entre un conflit social et un conflit matrimonial, lequel choisir ? Les 18 et 19 octobre, les chefferies de la plupart des rédactions n’ont pas dû hésiter longuement : priorité aux « people » du jour.

Des rumeurs circulent dans le microcosme médiatique depuis plusieurs semaines : Cécilia et Nicolas Sarkozy vont se séparer. La veille du jeudi (« noir ») 18 octobre, les rumeurs semblent se confirmer et, dans certaines rédactions, on s’affaire…

Jour de grèves et de manifestations

Le jour de l’annonce de la rupture, et « accessoirement » celui des mobilisations contre la réforme des régimes spéciaux, Libération confirme « modernisation » : la « une » est consacrée à la séparation du couple Sarkozy, avec un titre navrant, « Desperate housewife », qui ne peut être compris que par les téléspectateurs de la série américaine éponyme.

Le contenu est à la mesure de « l’événement », c’est à dire du « coup » éditorial : les cinq premières pages sont consacrées à ce « dossier », reléguant l’autre info du jour (les mobilisations) au second plan. Dans un éditorial, éminemment déontologique et… contorsionniste, Laurent Joffrin nous en explique les raisons : « Un journal doit publier des informations et non des rumeurs. Pour cette raison, Libération n’avait pas, jusqu’à présent, sinon avec une prudence de Sioux, évoqué la rumeur d’une séparation du couple Sarkozy, qui courait Paris depuis plusieurs jours. Les choses viennent de changer : selon nos informations, recueillies de source judiciaire fiable, l’épouse du président de la République a bien procédé lundi à une démarche auprès de la justice en vue d’aboutir à une séparation formelle. Le Nouvel Observateur et LCI, peu avant nous, avaient également annoncé la nouvelle, avec quelques discordances mineures. Nous passons donc, depuis hier, de la rumeur au fait. D’où notre décision. » La décision de … prendre le train en marche. Ainsi, par temps de mobilisation sociale, prenant le contre-pied des autres quotidiens, Joffrin a choisi une « une » « people ». Choix peu surprenant puisqu’il expliquait récemment : « Ma stratégie est de continuer à faire des coups, avec des "unes" fortes. Il faut que nous soyons plus agressifs. » (Stratégies, 1er février 2007) [1]

Le 18 octobre, donc, Libération chasse sur les terres du Parisien – Aujourd’hui en France qui titrait à la « Une » : « Nicolas et Cécilia Sarkozy une page se tourne », avec cinq pages consacrées à « l’événement ». La presse magazine d’information n’est pas en reste : le 18 octobre, comme un seul homme, L’Express, Le Nouvel Observateur, Le Point, puis le 20, Marianne, font aussi leur Une, d’une manière ou d’une autre sur le sujet. Le magazine féminin Elle avance même au samedi 20 sa sortie en kiosque (au lieu du lundi 22).

La radio suit évidemment. Sur RTL, François Hollande, interviewé par Jean-Michel Aphatie, doit d’abord essuyer sept questions qui concernent le divorce des Sarkozy et ses relations avec Ségolène Royal, avant d’aborder le conflit social de la journée [2] :

- Plusieurs faits concordants indiquent que Cécilia et Nicolas Sarkozy ont entamé une procédure de divorce. Avez-vous un commentaire à faire, François Hollande ?
- Pourquoi ? Ça ne nous regarde pas ? C’est la vie privée ?
- Mais vous avez vu, aux multiples interrogations, que l’attitude de Cécilia Sarkozy posait aussi un problème politique. Est-ce qu’elle vient ? Est-ce qu’elle participe à un voyage officiel ? Ça a aussi un retentissement public...
- Tous les responsables socialistes étaient au Zénith dimanche pour protester contre l’introduction des tests ADN dans la politique d’immigration, tous les responsables socialistes, sauf Ségolène Royal. Pourquoi n’était-elle pas là, François Hollande ?
- Savez-vous pourquoi elle n’était pas là dimanche ?
- Mais vous, le savez-vous ?
- On dit que c’est un fait de vie privée qui l’a empêchée de venir au Zénith ? C’était la volonté de ne pas vous croiser ?

Sur France Inter, à 13h22, soit une minute après la publication du communiqué de l’Elysée, Fabrice Drouelle, très réactif, signale la rupture du couple présidentiel. À l’antenne, la confusion est totale : à chaque heure, les journaux radiophoniques annoncent en vrac la rupture et les mobilisations. La première faisant indéniablement de l’ombre aux secondes. Yves Calvi lui, va, comme toujours, exclusivement à l’essentiel, puisque dès 17h il s’interroge avec la spécialiste du « people politique » Raphaëlle Bacqué (du Monde) ainsi que le méconnu Christophe Barbier (patron de L’Express) dans C dans l’air (France 5, 18 octobre) sur cette « Rupture à l’Elysée ».

Entre 16 et 17 heures, les sites de nos valeureux quotidiens nationaux (Le Figaro.fr, libération.fr, Le Monde.fr) nous offraient une information finement hiérarchisée... et consacraient à « la rupture » leurs gros titres de « Une ». Le monde.fr, par exemple, avec beaucoup de tendresse (extrait d’une capture d’écran réalisée à 16h) :

Cette confusion dont la Présidence n’a pas lieu de se plaindre (si elle ne l’a pas souhaitée…) atteint, parce qu’elle s’y prête le mieux, l’émission de cabotinage « On refait le monde » sur RTL, où l’on ne sait plus où donner de la tête. L’animateur, Nicolas Poincarré, présente ainsi les débats : « Bonsoir, le divorce est donc officiel, Cécilia et Nicolas ont divorcé lundi, par consentement mutuel. (…) Est-ce que c’est ça l’info du jour, où est-ce que vous préférez parler de la grève dans les transports, très très suivie ? » L’un des intervenants du jour, François d’Orcival de Valeurs Actuelles, explique alors la surmédiatisation de la rupture par rapport aux grèves : « Pourquoi y a-t-il tant d’information sur Cécilia et Nicolas Sarkozy ?Parce que naturellement, ça plaît au public ! Tandis que la grève, tout le monde le sait, tout le monde la prévoyait, elle était inévitable, incontournable, tout le monde le savait qu’elle serait massive. Elle est là, et bien voilà. » En substance… on s’en fout.

Le soir même, sur TF1, on « hiérachise », comme si l’on venait de recevoir simultanément un message de l’Elysée et des nouvelles de l’Audimat. Alors que les grèves sont massives (supérieures à celles de 1995) Patrick Poivre d’Arvor annonce son choix : « Bien entendu nous allons consacrer une grosse page de ce journal, avec deux invités d’ailleurs, à la grève des transports en commun, mais il nous faut d’abord commencer par cette information qui n’était pas officielle au moment du treize heures à savoir l’annonce du divorce du président de la république et de son épouse, une première en France. » Et les onze premières minutes du journal sont ainsi réservées à ce sujet.

Lendemain de grèves

Le 19 octobre, lendemain de grèves d’une ampleur inédite, une grande partie de la presse, notamment de la Presse quotidienne régionale, moutonnière, a opté pour la « peopolisation » de la vie politique et minimisé, à la « Une » l’ampleur du mouvement social [3].

Tandis que L’Est Républicain annonce « Un entretien exclusif avec Cécilia Sarkozy », La Dépêche du midi sanglote  : « Cécilia, c’est fini ».


Sobrement, Midi Libre et Le Dauphiné titrent : « La rupture » ; et les DNA : « Le couple Sarkozy a divorcé ». « C’est fini », constatent La Provence et Sud-Ouest. « C’est fait…  », enregistre Le Républicain Lorrain, qui parmi les autres titres de sa « une » opte pour … « Retrouvailles ». Mais il s’agit de celles des équipes de France et d’Argentine au rugby !

Le Progrès est plus familier : « Nicolas et Cécilia : c’est bien un divorce ». Pour confirmer son patronyme, Presse Océan annonce : « Cécilia a pris le large ». Corse Matin choisit un angle éminemment historique : « Premier divorce à l’Elysée ». Et Le Bien Public entérine : « La vraie rupture. »

Bref, c’est un « Divorce à la française  », pour La Montagne. Un divorce dont la conséquence éblouit Le Parisien : « Un célibataire à l’Elysée ».

Conclusion ? Cécilia et Nicolas Sarkozy se tournent le dos, dans L’Yonne républicaine : « Divorcés ».

Les autres titres de la presse régionale tentent de partager la « une » de façon plus ou moins équilibrée... Tandis que L’indépendant opte pour la synthèse…

… Comme La Voix du Nord qui résume :

Epilogue ?

Quelques jours plus tard, au cours de son interminable promotion, Bernard-Henri Lévy participe, avec Philippe Val et Jacques Séguéla, à un débat sur le même sujet « chez » Christine Ockrent (« Duel sur la 3 », France 3, 21 octobre 2007). Un échange savoureux évacue tout diagnostic sur la coïncidence entre l’annonce du divorce et la journée de mobilisation. Philippe Val se risque à émettre un soupçon, en s’étonnant de la liaison entre le calendrier social et politique d’un côté, et les aléas de la vie sentimentale des responsables politiques de l’autre : « L’un c’est le jour des grèves, l’autre [Ségolène Royal] c’est le jour des législatives… » Mais il se fait reprendre par BHL : « Je crois qu’il ne faut pas être trop paranoïaque sur le calendrier, Philippe Val. (…) Et dire que Sarkozy a annoncé son divorce pour casser les grèves des régimes spéciaux… » « Oui, c’est vrai… », insiste Christine Ockrent. Et Philippe Val, embêté d’avoir émis l’hypothèse d’un complot, alors qu’il en pourfend les théoriciens, réels ou imaginaires, essaye d’atténuer son propos : « Non, mais le hasard fait bien les choses. » Pas satisfait par le manque de docilité de son nouveau poulain, BHL, l’index tendu et le regard impérieux, affirme : « Je ne crois pas. » Val, penaud : « Non, mais c’est vrai, ça n’a aucune importance. » Qu’est ce qui n’a aucune importance ? Que les médias se soient précipités sur l’annonce du divorce plutôt que de privilégier l’information sur les grèves ?

Mathias Reymond

(avec Denis et Henri)

 
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Notes

[1Le lendemain, 19 octobre, session de rattrapage. Le quotidien de « gauche » publie la « Une » à laquelle nous avions échappé la veille avec pour titre : « Divorce social ».

[2Le soir-même dans le « Grand Journal » de Canal +, le même Aphatie récidive en insistant lourdement sur ce divorce pour obtenir des réponses d’un Laurent Fabius qui s’y refuse.

[3Tous les quotidiens régionaux n’ont pas suivi, certains privilégiant la mobilisation sociale et d’autres... les actualités locales.

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