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Chávez antisémite ? Libération désinforme sur la désinformation version Libération

par Henri Maler,

C’est dans les pages « Rebonds » de Libération daté du 20 janvier 2006 que l’on peut lire sous la plume de Pierre Haski « directeur adjoint de la rédaction », le dernier avatar du journalisme à charge qui tente désespérément de se faire passer pour un journalisme d’information.

« Retour sur un discours d’Hugo Chavez » : tel est le titre de ce plaidoyer pour la désinformation qui, en accumulant les inexactitudes, les non-dits, les approximations et les dissimulations, plaide, en dernier recours, non pour le droit à l’erreur mais pour le droit au mensonge.

Interrogations

« Aurions-nous fabriqué un faux document qui n’existerait pas en réalité ? », interroge Pierre Haski. Non, dit-il, puisque le discours de Chavez « existe bel et bien ». C’est tenter de faire oublier que - telle était notre critique - la citation est complètement sortie de son contexte qui n’était même pas résumé.

« Aurions-nous inventé des mots que Chavez n’aurait pas prononcés ? », interroge encore Pierre Haski qui répond allègrement qu’il y a bien eu ces mots. C’est tenter de faire oublier - telle était notre critique - que ces mots, approximativement traduits, était agencés par des coupes dans la phrase prononcée qui permettaient de lui faire dire... ce que l’on voulait qu’elle dise.

Mais, réplique Pierre Haski, les coupes étaient indiquées : « Les passages de la longue phrase intégrale qui en ont été retirés l’ont été signalés par la formule classique des trois points de suspension entre parenthèses : là encore une drôle de précaution pour un prétendu « faussaire ». Convenons néanmoins qu’il aurait été préférable de publier la citation dans son intégralité. » Préférable ? Compte-tenu de la gravité de l’accusation : indispensable. Mais prenons acte, aussi réticente soit-elle, de cette ébauche d’autocritique...

« Ecartons également l’erreur de traduction qui a été avancée, et qui n’a pas tenu la route très longtemps ». C’est inexact, mais passons... Haski poursuit immédiatement : « Plus grand monde ne conteste que le chef de l’Etat vénézuélien a prononcé les paroles incriminées ». Du grand art... Mais de quels propos s’agit-il ? Personne n’a contesté que Chavez ait prononcé un discours (dont il convenait de restituer le contexte) et prononcé des phrases (dans un contexte plus limité, mais qui permettait de comprendre leur sens) et que celles-ci devaient être publiées dans leur intégralité, comme Pierre Haski le concède du bout de sa plume.

Ayant ainsi répondu à côté de la plupart des critiques, Pierre Haski poursuit : « Reste donc un problème d’interprétation  ».

Interprétations

Quelle interprétation ? « Un dérapage du président venezuelien », déclare le surtitre de l’article [1]. Les propos de Chavez auraient été, déclare Pierre Haski un peu plus loin, « interprétés dans nos colonnes comme un dérapage antisémite ». A la lettre, c’est faux. Libération n’a pas accusé Hugo Chavez d’un « dérapage ». Jean-Hébert Armengaud a accusé Hugo Chavez non seulement d’avoir tenu des propos antisémites, mais d’être lui-même antisémite.

Pour preuve tout d’abord le titre de l’article : « Le credo antisémite d’Hugo Chavez » Sur ce point, Pierre Haski affecte de battre en retraite : «  Un dérapage de langage ne suffit sans doute pas à faire un « credo antisémite », comme l’affirmait brutalement le titre du premier article de Libération, un titre plus affirmatif et plus catégorique que l’article dont on rappellera qu’il commence ainsi : « Antinéolibéral, anti-impérialiste... et antisémite ? » Le point d’interrogation a son importance. Mais l’interrogation journalistique sur les propos d’un chef d’Etat comme Hugo Chavez est légitime et nécessaire.  » C’est tenter de faire oublier un peu vite que non seulement le titre résumait « brutalement », une réponse positive que développait tout l’article, mais aussi que ce sont bel et bien des arguments antisémites qui étaient attribués à Chavez.

« Reste donc un problème d’interprétation », déclare donc Pierre Haski qui s’abrite aussitôt derrière le Centre Simon Wiesenthal : « le Centre Simon Wiesenthal de Buenos Aires, qui porte le nom du célèbre « chasseur de nazis », a, le premier, tiré la sonnette d’alarme face à un propos reprenant, faisait-il observer, « deux arguments centraux de l’antisémitisme ».  » Encore des inexactitudes. Le Centre Simon Wiesenthal n’a pas été le premier : avant lui, d’autres organismes et en particulier l’agence « Guysen Israël News »... avaient déjà prononcé leur réquisitoire. Et surtout le Centre ne s’est pas borné à « tirer la sonnette d’alarme » ou à s’inquiéter d’un vocabulaire connoté, comme l’affirme Libé un peu plus loin. Entre des déclarations antisémites avérées et des connotations antisémites éventuelles la marge peut être étroite, mais elle existe. Et entre l’éventualité et la certitude, elle est plus grande encore. Or Le Centre Simon Wiesenthal, relayé sans le moindre recul par Libération (qui a chargé la barque de ses propres « arguments »), a accusé Chavez d’avoir eu recours à des arguments antisémites, a exigé des excuses publiques (et non une simple mise au point),... et demandé à divers Etats d’interdire au Venezuela d’entrer dans le Mercosur.

Dans une affaire de ce genre chaque mot compte. Et les mots de M. le directeur adjoint pratiquent le même amalgame puisque celui-ci parvient à évoquer tantôt des connotations antisémites (attribuées sans vérification), tantôt une « vulgate antisémite ». Autant dire que Libération ne retire rien de ses imputations initiales.

Informations ?

A deux reprises au moins, Pierre Haski prétend que Libération se serait borné à transmettre des informations.

« Libération s’est fait l’écho , le 9 janvier, d’une déclaration du président vénézuélien Hugo Chavez, datant du 24 décembre, interprétée dans nos colonnes comme un dérapage antisémite  ». La deuxième partie de la phrase annule la première : l’interprétation a dévoré l’information. L’écho était en vérité un acte d’accusation.

Chavez aurait fait « une mise au point salutaire dont Libération s’est fait l’écho , ne faisant, là encore, que son travail d’information. » Ainsi l’interprétation à charge de lambeaux de phrases sorties de leur contexte relevait du « travail d’information »... Et c’est ce même « travail » qui a amené Libération à proposer un résumé le plus partiel possible de la mise au point de Chavez, en dissimulant notamment qu’elle faisait clairement allusion au « travail » de désinformation de Libération.

Une telle somme d’inexactitudes, de non-dits, d’approximations et de dissimulations, revient à justifier un gros mensonge. Ou, pour parler comme Pierre Haski, disons que le moins que l’on puisse dire est que les articles de Libération méritaient clarification. Ce n’est manifestement pas le cas.

Henri Maler
Vendredi 20 janvier, à 11h.

Cet article sera complété ultérieurement. En attendant, pour celles et ceux qui auraient la patience de le faire, nous proposons un test comparatif entre ce que dit Pierre Haski et nos propres analyses. Notamment dans les articles suivants :
- Le journalisme d’imputation : Chávez accusé d’antisémitisme
- Chávez antisémite ? Libération persiste et signe
- Lettre ouverte à Monsieur Serge July et à Madame Déontologie des journalistes de Libération

 
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Notes

[1« Après la polémique autour d’un dérapage du président vénézuélien, Libération répond. »

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