À en juger par l’exaltation du présentateur qui en introduisit la diffusion (et par son commentaire en voix-off), il ne s’agissait, avec ce reportage, que de nous montrer, « l’envers du décor », les difficultés des métiers du journalisme et les sacrifices consentis par les télévisions pour faire vivre « L’Événement » : une explication de l‘interminable flux que les chaines infos et hertziennes ont déversé avec cette passation. Mais le résultat, imprévu, est un reportage qui à force de souffler du vent sur du vent révèle les ressorts et les coûts de la vacuité : au risque de devenir burlesque, s’il ne fournissait pas, malgré tout, des informations ahurissantes et instructives sur la préparation, les coûts et les dispositifs.
– Très tôt pour pas grand-chose - Que nous apprend ce reportage ? D’abord que trois heures avant le départ du monarque républicain, les journalistes campaient déjà devant son domicile : « Nous sommes un certain nombre à nous être levés dès potron-minet non pas pour assister au lever de François Hollande, mais à la sortie de son domicile », nous « révèle » une journaliste-planton, de corvée de prise d’antenne, mais… « Que se passe-t-il ?… Eh bien pas grand-chose ». Et la voix off du reportage de confirmer, sans la moindre ironie : « Pas grand-chose et pour cause ». Ainsi « les journalistes ont commencé leur direct trois heures avant » : un lever dès « potron-minet » justifié par l’impérieuse nécessité de « ne pas rater la première image de la journée marathon » ! Trois heures d’attente devant pas grand-chose pour ne pas rater le presque rien ! Quelle abnégation ! Un journaliste sur place évoque une « bataille sur le positionnement » entre les équipes présentes sur place, mais garde le sourire aux lèvres, puisqu’il règne une « très bonne ambiance » puisque... « on fait de la télévision ». On se motive, la vie est belle.
– Motojournalisme à grand spectacle de rien - Si le reportage nous prive de la « première image », il nous livre cette précieuse information dont l’Histoire se souviendra : François Hollande « quitte enfin son domicile à 9 heures 47 très précisément ». Le moment est alors venu de nous montrer une séquence de la compétition de motojournalisme qui permet aux téléspectateurs avides d’émotions fortes de suivre la voiture du Président. Degré zéro de l’information et même du spectacle, si ce n’est du spectacle de la compétition entre les équipes de télévisions. Une figure désormais imposée depuis le rodéo fondateur de Benoît Duquesne interviewant en moto, mais en solo, Jacques Chirac, le soir de son élection en 1995.
– Journalisme de meute pour voir les coureurs - « En même temps », nous confie la voix off, au palais de l’Élysée, s’effectue la « distribution de badges » nécessaires pour entrer dans la cour d’honneur. Foire d’empoigne, journalisme de meute, journalisme de concurrence : « 700 journalistes accrédités pour la cour d’honneur » attendent le sésame. Pour une seule information : « ils [Hollande et Sarkozy] vont se serrer la main ». Effet de masse, effet de cour. Et que font ces journalistes, courtisans malgré eux (on l’espère…) ? « À l’intérieur, sur les toits comme au sol », ils poireautent, et scrutent « la poignée de main »… pour « l’analyser », nous dit le commentaire ! Nouvel épisode du pas grand-chose et du presque rien qui nous vaut cet aveu lucide d’un journaliste : « ça fait penser au Tour de France, on attend énormément et les coureurs passent trop, trop vite ». Quelle tristesse !
– Journalisme de trottoirs pluvieux - Il est temps de changer de décor. Plus lente, mais tout aussi solennelle, voici la séquence du passage par les Champs-Élysées, où « des équipes prennent le relais ». Il pleut. « En 2007, il faisait très chaud et donc là on a très froid », confie une reporter « complètement trempée ». Les journalistes sont en effet mouillés et éplorés. Une autre journaliste est en quête d’un micro-trottoir destiné à tromper l’attente. Elle cherche désespérément un spécimen : « quelqu’un qui était-là en 1981 ». Quand, surprise, « à cet instant François Hollande arrive » ! Vraisemblablement trop tôt pour assurer cette interview. Du coup, « le direct n’aura pas lieu », commente la voix off. La journaliste voit ses efforts anéantis. Y a des jours comme ça…
– Journalisme des grands moyens et des petits résultats - La voix off lâche fièrement un deuxième chiffre : « 200 journalistes et techniciens rien que pour TF1 et France 2 », des « avions-relais », des « traditionnels hélicoptères »… pour être « au plus près des étapes de l’investiture ». « Au plus près » ! « Coût d’une opération spéciale de ce type pour une grande chaîne près de 500 000 euros », conclut le journaliste.
Nous n’avons rien inventé. La preuve, en vidéo :
– 500 000 euros, sinon rien ? Quelle était la finalité de ce reportage, au demeurant très significatif ? Proposer une séquence de calinothérapie des journalistes réduits à analyser des poignées de main ou encore à commenter la pluie et le beau temps, après des heures d’attente et de compétition confraternelle ? Une tentative d’illustrer les dures réalités du métier et des fonctions de journalistes dont on ne sait pas exactement ce qu’ils en pensent vraiment, bien qu’ils fassent preuve, parfois, d’auto-dérision face aux tâches qui leur sont confiées ? Ou s’agissait-il de souligner leur héroïsme et de célébrer leurs sacrifices pour la noble cause de l’information et de méduser les téléspectateurs en leur montrant ce qu’il en coûte pour satisfaire l’insatiable besoin d’information qu’on leur prête ? 500 000 euros et tant de moyens pour si peu de chose. Autant, sans doute, que ce que dépensent annuellement en enquêtes sociales les principales chaînes de télévisions.
Mais il suffit de 500 000 euros pour que nous soyons rassurés : le journalisme de célébration des Princes qui nous gouvernent se porte bien. Le journalisme de révérence aussi. Par tous les temps.
Henri Maler et William Salama (avec Ricar pour la vidéo)
Nota-bene : cet homme-là est imprévisible
Notre vidéo pourtant vous a privés de l’expertise, sans laquelle ce reportage sur le journalisme de cérémonie et de remplissage ne serait qu’anecdotique. Nous sommes sur LCI, succursale de TF1. C’est donc à Catherine Nayl, directrice de l’information de TF1, qu’est revenue l’explication décisive.
Une telle opération, dit-elle, demande « énormément de préparation ». Compte-tenu de l’ampleur du dispositif et des moyens mobilisés, on l’imagine. Et pourtant, il a fallu faire face à l’imprévu : le comportement de François Hollande. L’analyste va à l’essentiel : « Il est allé au contact avec les gens, et ça ce n’est pas écrit, ce n’est pas prévu ». Or ce contact avec les gens mérite une investigation appropriée : « Il faut aller au plus près de lui pour capter ces moments-là ». Conclusion ? Faudra-t-il, la prochaine fois - dans cinq ans… - amplifier le dispositif et accroitre les dépenses pour rester au cœur de « l’événement » et pour capter « ces moments-là » ?