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Les dossiers de l’audiovisuel Nº 106, 11/12 2002

"Censures visibles, censures invisibles", Présentation

Sous la direction de Patrick Champagne et Dominique Marchetti
par Patrick Champagne,

Les dossiers de l’audiovisuel Nº 106, 11/12 2002 "Censures visibles, censures invisibles".

Une présentation

La censure est un phénomène plus complexe et plus large que ce que la simple vision journalistique dominante peut en laisser paraître à travers notamment les polémiques qui surgissent périodiquement à son propos dans les médias pour la dénoncer. Pour les journalistes, la censure est, en effet, une intervention illégitime et insupportable de la part de pouvoirs externes au milieu professionnel - surtout le pouvoir politique et le pouvoir économique - parce qu’elle porterait atteinte à la libre expression et à la libre circulation des faits, des idées ou des œuvres relevant de la création artistique. Et dans la mesure où la presse prétend remplir une véritable mission « au service de la vérité et de la démocratie », elle prétend se situer du côté de la liberté et dénonce donc ce qu’elle estime être une atteinte à sa liberté et à celle de ses lecteurs.

On passera rapidement - tant la question a été surabondamment traitée - sur la censure politique surtout lorsqu’elle réductible à de la simple propagande. Elle s’est exercée sur la télévision à la fin des années 50 pour cause de guerre d’Algérie (signataires de la pétition des 121 qui furent, sur ordre du pouvoir politique, interdits de télévision par exemple, silence sur les « événements » d’Algérie et prédominance du point de vue officiel sur ceux-ci, etc.) et durant les années 60 en raison du contrôle politique total, par le pouvoir gaulliste, de l’information télévisée (émissions supprimées en raison des opinions politiques des réalisateurs ou des journalistes, contrôle étroit des journaux télévisés par le Ministère de l’information, etc.). Mais la propagande politique à la télévision était vouée à disparaître, du moins sous sa forme la plus grossière, ne serait-ce que parce qu’elle était de notoriété publique et était donc dénoncée en permanence par la presse écrite. La censure n’est jamais aussi efficace que lorsqu’elle est ignorée comme telle, c’est-à-dire lorsqu’il existe une censure sur la censure, ce qui n’est pas vraiment possible dans les sociétés de type démocratique. Le décalage entre ce qui était dit dans les journaux télévisés et ce qui était dit dans les autres médias (radios et presse écrite), qui, eux, ne subissaient pas la censure politique du Ministère de l’information, ne pouvait que s’accroître jusqu’à l’absurde comme on put le voir lors des événements de mai 68 : il avait fallu les barricades dans la rue pour que les journaux télévisés évoquent enfin les manifestations étudiantes qui, pourtant, se multipliaient depuis plusieurs semaines, et pour qu’un débat soit organisé sur la crise universitaire. En 1971, le retentissant et théâtral « Messieurs les censeurs, bonsoir ! » prononcé par le philosophe Maurice Clavel lors de l’émission politique en direct « A armes égales », et qui appartient à ces moments forts et inlassablement rappelés de la télévision, marque sans doute un point de rupture majeur et irréversible dans l’intervention directe que le pouvoir politique pensait pouvoir légitimement exercer sur ce média. Les années 70 marqueront, de fait, un relâchement progressif du pouvoir sur l’information télévisée non sans tentatives aussi brèves que brutales de reprises en mains.

A partir des années 80, avec l’emprise croissante des logiques économiques et de la publicité sur les médias audiovisuels, la logique qui tend à définir ce qui peut ou non passer à la télévision, va progressivement changer. C’est l’audimat qui tend désormais à devenir en fait le nouveau censeur. Il est l’instrument qui décide de plus en plus de ce qui peut et même de ce qui doit ou non passer en fonction principalement du niveau d’audience que parvient à générer un programme, et donc des rentrées financières pour les chaînes (qu’elles soient privées ou publiques). La censure économique ne s’exerce plus sur ce qui pourrait choquer - bien au contraire puisque ce qui n’a pas encore été « vu à la télé » a, du fait de la multiplication des chaînes commerciales, de fortes chances d’attirer de nombreux téléspectateurs (cf. par exemple les débats autour de l’émission Loft story) - mais sur les programmes à faible audience, ce qui tend à éliminer les émissions « non populaires » (émissions politiques, culturelles, etc.) ou, pour le moins à les rejeter en fin de programmes, après minuit, quand l’audience n’est plus un enjeu pour les publicitaires et donc pour les chaînes. La censure, dans les médias fortement dépendants de la publicité et de ses impératifs spécifiques, s’exerce alors de bien des manières et pèsent sur les contenus de façon insidieuse.

Paradoxalement, les journalistes qui se plaignaient, dans les années 60 de la censure (politique) qui pesait sur eux, vont à leur tour devenir des censeurs qui s’ignorent. En effet, avec le développement des médias audiovisuels, une nouvelle catégorie va se constituer, puissante avec ses puissants - les « vedettes » de télévision (animateurs, journalistes, éditorialistes, etc.) - qui, à son tour, va défendre ses intérêts spécifiques et décider de ce qu’elle estime bon, ou non, de faire passer sur leurs chaînes. Les mésaventures du réalisateur Pierre Carles, avec son film « Pas vu à la télévision » illustrent jusqu’à la caricature cette censure nouvelle médiatique. Est-ce à dire que la censure proprement politique ait totalement disparue ? En fait non, mais celle-ci a pris une forme plus cachée qui s’exerce avec la complicité objective de la nomenklatura médiatique : il existe aujourd’hui, dans les médias, une sorte de « cela-va-de-soi » politique, que certains ont désigné par l’expression « pensée unique », c’est-à-dire d’une véritable union sacrée idéologique qui ne dit pas son nom et que l’on ne transgresse pas impunément.

A suivre : Le sommaire de "Censures visibles, Censures invisibles" (et liens avec quelques articles)

 
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