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« Appel des 451 », pour agir et réfléchir autour des métiers du livre

Nous publions, après autorisation, cet Appel des 451, écrit par le collectif des 451,
Une version en a été publiée dans Le Monde daté du jeudi 6 septembre 2012. La version complète publiée ici est en ligne sur le blog « les451.noblogs.org » où figurent notamment la liste des signataires et les initiatives prévues. Merci de s’y reporter. À suivre, donc (Acrimed)

Appel des 451,
pour la constitution d’un groupe d’action et de réflexions
autour des métiers du livre

Nous [1] avons commencé à nous réunir depuis quelque temps pour discuter ensemble de la situation présente et à venir du livre et de ses métiers. Pris dans une organisation sociale qui sépare les activités, partis d’un sentiment commun – fondé sur des expériences diverses – d’une dégradation accélérée des manières de lire, produire, partager et vendre des livres, nous considérons aujourd’hui que la question ne se limite pas à ce secteur, et cherchons des solutions collectives à une situation sociale que nous refusons d’accepter.

L’industrie du livre vit en grande partie grâce à la précarité qu’acceptent nombre de ses travailleurs, par nécessité, passion ou engagement politique. Pendant que ceux-ci s’efforcent de diffuser des idées ou des images susceptibles de décaler nos points de vue sur le monde, d’autres ont bien compris que le livre est surtout une marchandise avec laquelle il est possible d’engranger des profits conséquents. Sachant autant s’approprier les grands principes d’indépendance ou de démocratie culturelle que pratiquer le déferlement publicitaire, l’exploitation salariale et la diversité du monopole, les Leclerc, Fnac, Amazon, Lagardère et autres grands groupes financiers veulent nous faire perdre de vue l’une des dimensions essentielles du livre : un lien, une rencontre.

Pendant ce temps, qu’il s’agisse des professions symboliquement reconnues ou des petits boulots indispensables à toute chaîne économique, culturelle et sociale, les divers métiers du livre sont disqualifiés et remplacés par des opérations techniques, à côté desquelles prendre le temps devient inconcevable. L’industrie du livre n’aurait-elle en effet besoin que de consommateurs impulsifs, de réseauteurs d’opinion et autres intérimaires malléables ? Beaucoup d’entre nous se trouvent ainsi enrôlés dans des logiques marchandes, dépossédés de toute pensée collective ou de perspectives d’émancipation sociale – aujourd’hui terriblement absentes de l’espace public.

Contrainte par le critère du succès, la production d’essais, de littérature ou de poésie s’appauvrit, les fonds de librairie ou de bibliothèque s’épuisent. La valeur d’un livre devient donc fonction de ses chiffres de vente et non de son contenu : il ne sera bientôt plus possible de lire que ce qui marche. Or, pendant que le PDG d’Amazon déclare que « les seules personnes nécessaires dans l’édition sont maintenant le lecteur et l’écrivain [2] », certaines personnes continuent de travailler avec des livres [3], des librairies, des imprimeries, des bibliothèques ou des maisons d’édition à échelle humaine. Malgré notre envie de résister, nous sommes, comme l’immense majorité, cernés par le tout-informatique, les logiques gestionnaires et les fins de mois difficiles. Nous sommes également embarqués dans une pseudo démocratisation de la culture, qui continue de se faire par le bas, et se réduit à l’appauvrissement et l’uniformisation des idées et des imaginaires, pour correspondre au marché et à sa rationalité. Étourdis, nous tentons de rester dans le coup : on fait avec les logiciels, les commandes en ligne, les correcteurs automatiques, les délocalisations, l’avalanche de nouveautés creuses, les menaces des banques, la hausse des loyers et les numérisations sauvages.

Cependant, nous ne pouvons nous résoudre à réduire le livre et son contenu à un flux d’informations numériques et cliquables ad nauseam  ; ce que nous produisons, partageons et vendons est avant tout un objet social, politique et poétique. Même dans son aspect le plus humble, de divertissement ou de plaisir, nous tenons à ce qu’il reste entouré d’humains. Nous rejetons clairement le modèle de société que l’on nous propose, quelque part entre l’écran et la grande surface, avec ses bip-bip, ses néons, et ses écouteurs grésillants, et qui tend à conquérir toutes les professions. Car en pensant à l’actualité des métiers du livre, nous pensons également à tous ceux qui vivent des situations trop similaires pour être anecdotiques : les médecins segmentent leurs actes pour mieux comptabiliser, les travailleurs sociaux s’épuisent à remplir des grilles d’évaluation, les charpentiers ne peuvent plus planter un clou qui ne soit ordonné par ordinateur, les bergers sont sommés d’équiper leurs brebis de puces électroniques, les mécaniciens obéissent à leur valise informatique, et le cartable électronique dans les collèges, c’est pour tout à l’heure.

La liste est si longue que nous devons nous regrouper, et ainsi enrayer cette machine du progrès aveugle. Plutôt que d’attendre la prochaine mesure européenne de rigueur ou la énième attaque du ministère de la Culture contre la chaîne des métiers du livre, nous préférons nous organiser dès maintenant. Par exemple, en trouvant des alternatives, en créant des coopératives et des mutuelles d’achat, en nous unissant pour de meilleures conditions salariales, ou bien encore en inventant des lieux et des pratiques qui conviennent davantage à notre vision du monde et à la société dans laquelle nous désirons vivre.

C’est parce que nous prenons la mesure du désastre en cours que nous sommes optimistes : tout est à construire. Avant tout, nous voulons cesser de nous rejeter éternellement la faute les uns sur les autres et couper court à la résignation et au défaitisme ambiants. Nous lançons donc un appel à tou.te.s celles et ceux qui se sentent concerné.e.s à se rencontrer, en vue d’échanger sur nos difficultés et nos besoins, nos envies et nos projets.

Vous êtes invité.e.s à une première session nationale de discussions, en vue de partager des réflexions, d’élaborer des groupes de travail ou de préparer des actions communes [4] à Montreuil, le week-end du 12 et 13 janvier 2013, à la Parole errante [5].

Voir la liste des signataires (ainsi que l’appel en .pdf) sur le blog les451.noblogs.org »(Acrimed)

Pour vous tenir informé.e.s, contacter et participer 

- Blog : les451.noblogs.org
- Adresse mail  : les451@riseup.net
- Adresse postale : Les 451 / 30, avenue Mathurin Moreau / 75019 Paris

Vous pouvez ajouter votre signature si vous soutenez ce texte, en envoyant vos noms, prénoms et métier à l’une des adresses (mail ou postale) indiquées ci-dessus.

 
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Notes

[1Auteur.e.s, éditeur.trice.s, maquettistes, graphistes, correcteur.trice.s, imprimeur.euse.s, diffuseur.euse.s, distributeur.trice.s, libraires, livreur.euse.s, manutentionnaires, traducteur.trice.s, illustrateur.trice.s, bibliothécaires, archivistes…

[2Le Monde, 21 octobre 2011.

[3Un ami paysan nous racontait : «  Avant, il y avait la tomate. Puis, ils ont fabriqué la tomate de merde. Et au lieu d’appeler la tomate de merde “tomate de merde”, ils l’ont appelée “tomate”,  tandis que la tomate, celle qui avait un goût de tomate et qui était cultivée en tant que telle, est devenue “tomate bio”. À partir de là, c’était foutu. » Aussi nous refusons d’emblée le terme de « livre numérique » : un fichier de données informatiques téléchargées sur une tablette ne sera jamais un livre.

[4Les thèmes jusqu’ici retenus sont : 1. Conditions de travail dans les métiers du livre, 2. Vente en ligne et numérisation, 3. De l’auteur au lecteur : métiers et savoir-faire dans la chaîne du livre, 4. L’économie du livre : entre partage et profits (associations, commerces, coopératives, mutuelles d’achat, bibliothèques…), 5. Quels lieux pour le livre ? D’autres thèmes peuvent être proposés par qui le souhaite ; un programme sera bientôt disponible.

[59, rue François Debergue, 93100 Montreuil, métro Croix de Chavaux.

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