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Affrontements et meurtres à Perpignan : le poids des mots

par Muriel Brandily,

Dimanche 22 mai, Mohamed Bey Bachir a été lynché à Perpignan par ce que de nombreux médias ont appelé, comme si cette désignation était anodine, un « groupe de gitans ». Après les arrestations survenues dans les jours suivants et après la manifestation en hommage à la mémoire de Mohamed Bey Bachir du samedi 28 mai, un autre homme, Driss Ghaib, a été assassiné par balles le dimanche 29 dans la soirée. De très violents affrontements ont suivi l’annonce de ce meurtre. Et Libération a enquêté...

Semblable à tant d’autres du même genre que l’on a pu lire dans la presse, un article paru dans Libération du 30 mai, rend compte de l’état de la ville de Perpignan après une nuit d’affrontements plusieurs blessés par balles ou arme blanche. Le titre et le sous-titre - « Heurts avec la police hier après une semaine de tension entre Arabes et gitans. Le meurtre d’un deuxième Maghrébin ébranle Perpignan » - renvoient les victimes et les acteurs de ce conflit à la seule chose qui semble compter pour eux : leur « camp ». Au risque d’accréditer (voire de conforter), sans les mentionner comme tels, les représentations, les a priori et les rancoeurs des acteurs et victimes des affrontements meurtriers de ces derniers jours. Hésitant entre « Arabe », « communauté arabe », « Maghrébin », « jeune Maghrébin », « Arabes » avec des guillemets dans le texte (une seule fois) pour qualifier le premier « camp », l’auteur de l’article ne donne même pas l’identité de la deuxième victime des affrontements de ce week-end (ou ne précise pas qu’elle n’est pas connue à l’heure où il écrit). Ce jeune homme a disparu derrière son appartenance ethnique : « le meurtre d’un autre Maghrébin ».

Pas une seule fois dans l’article, les acteurs du conflit ne seront présentés comme étant d’origine maghrébine, ou arabe (ce qui n’est pas la même chose) ou gitane. Quant à présenter comme des Français, comme ils le sont vraisemblablement, la plupart des protagonistes du conflit, mieux vaut ne pas y compter ! Ils SONT arabes et/ou maghrébins ou gitans. Leur origine est devenue leur essence. Même si l’auteur nous apprend que les “gitans” sont sédentarisés et qu’ils cohabitent depuis cinquante ans (!) avec ceux que le journaliste appelle les Arabes.

Sans doute dénuée d’intention maligne, cette reprise sans distance des préjugés qu’il faudrait expliquer, cautionne les visions ethnocentristes et communautaristes des acteurs de ce conflit. Les propos haineux et racistes, qui ne passeraient peut-être pas au journal de 13 heures de TF1 sont relayés sans recul [1].

- « [...] hier, où les femmes gitanes étaient enfermées chez elles. « Depuis une semaine, c’est affreux, nos femmes n’osent plus sortir faire les courses, c’est nous qui sommes obligés de les faire ! » Ainsi parle un groupe de vieux gitans catalans, rassemblés à l’ombre de la place Puig. »

- « « On vit dans la peur, explique un jeune père de trois enfants. Les Arabes nous ont pris en otages. Mes enfants sont traumatisés, ils ne dorment plus et ne vont plus à l’école. Mais s’ils viennent toucher à un de leurs cheveux, je les tue ! » [...] Saïd ne cache pas sa colère : « Les gitans, ils ne travaillent pas et ils ont tous des bagnoles à 40 000 euros. » Mustapha ajoute : « Ici, les gitans n’ont pas peur de la police, c’est la police qui a peur d’eux. Il y a quatre ans, ils ont tué avec une hache un Algérien. Le gitan qui a fait ça, il est déjà dehors ! » »

Même les lieux sont qualifiés : ainsi nous parle-t-on de « ruelles gitanes » comme on évoquerait une « banlieue blanche de Johannesburg ».

L’envoyé spécial de Libération a pris bien soin de demander des explications « rationnelles » à ce déploiement de violence meurtrière à un universitaire perpignanais, qui explique que le premier meurtre n’était pas raciste, mais qu’il a « provoqué un repli communautariste terrifiant, avec en toile de fond un quartier où tous les exclus sont ghettoïsés depuis des décennies ». Mais le même envoyé spécial aura contribué par sa reprise textuelle de propos haineux qui figent, comme ils semblent le faire eux-mêmes, les acteurs de ce conflit dans leur origine, à cautionner une vision du monde communautariste et excluante.

Muriel Brandily

 
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Notes

[1Et l’information selon laquelle l’auteur du meurtre perpétré à la hache serait sorti de prison n’est pas vérifiée

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