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20 minutes interpelle les « gens du voyage »

En bonne parisienne, installée depuis quinze jours, pressée par le temps, j’attrape à la volée, un journal offrant gratuitement l’information en instantané. Feuilletant chacune des pages, je lis, sans trop m’arrêter sur le sens donné, comme tout un chacun aux prises de sa quotidienneté. J’assimile les lignes qui viennent insidieusement se coller dans mon inconscient pour finir par le manipuler. Sans trop d’introspection, je poursuis, la mission que je me suis imposée : « "m’informer" rapidement et en toute gratuité », lorsque je tombe sur la page 2 de 20 minutes (12 février 2004).

Un petit encart, en bas à droite, perdu au milieu de tout et de rien, presque anodin. De ces petits encarts qui ne produisent aucun effet si vous ne connaissez rien au sujet, que vous assimilez comme un bonbon sucré et dont vous ne mesurez pas les effets. De ces sucreries qui, ingérées en trop grandes quantités, entraînent de graves problèmes de santé. Un titre, un seul titre et me voilà assise les cheveux hérissés. Un titre en caractère gras, 10 mots jetant le discrédit sur toute une population qui n’a rien demandé et n’est en rien responsable des faits qui lui sont ici reprochés.

10 mots : « Nouvelles interpellations chez les gens du voyages pour blanchiment d’argent ». 10 mots qui transforment le mistral gagnant en capsule empoisonnée. Je me pose alors et m’interroge, Qu’entend-on par « Gens du voyage » ? Tous pratiquent-ils le blanchiment d’argent ? Aurait on donné le même sens à ces propos erronés s’il eut s’agit de Monsieur Dupont interpellé pour blanchiment d’argent ? Il est à supposer que le même titre présenté sous la forme suivante : « Nouvelles interpellations chez les Messieurs Dupont… » aurait quelque peu choqué.


Stigmatisation par globalisation


Quelques termes, posés là en toute légèreté, lus par un tiers des Parisiens un jeudi matin, qui laissent l’emprunte d’une image stéréotypée sur une soi-disante communauté dont la terminologie n’a que peu de prise avec la réalité. Le concept de Gens du voyage, n’est que pure invention d’une société dominante face à des individus dominés, face à une minorité que personne ne parvient à identifier, ranger et maîtriser. Une minorité qui a pour seule spécificité d’être composée de milliers d’individualités porteuses d’une histoire, d’un présent, d’un futur et d’un passé qui se conjuguent tout à la fois au pluriel comme au singulier. Une société, ou plus exactement, sans tomber dans les travers de la généralité, quelques penseurs « experts » d’une question qui n’aurait peut-être jamais du être expertisée, ont décidé de résumer en un mot une réalité pluriel. Mais voilà, « les Gens du Voyage » échappent au visible, pour poser la question de l’invisibilité. Alors qui sont « ces Gens du Voyage » ? Est-ce moi qui ait déménagé des dizaines de fois et supporte mal la sédentarité ? Est-ce lui qui me regarde dans le métro et effectue tout les matins le même trajet ?

Non bien sur ! Le malheur est que dans l’esprit de tous, ils sont bien identifiés, ce sont ceux croisés sur le bord des routes, avec leurs « belles » voitures et leurs « grosses » caravanes. Les premiers visés par une société qui tend à basculer de l’autre côté de la liberté et qui, bien que français, les tient à jamais pour étrangers.

Il est juste une information non vérifiée ou oubliée : seulement 1% des « Tsiganes » voyagent. Les autres ce peut être toi, moi, en toute simplicité. Des êtres humains dans leur grandeur et leur humanité, invisibles, discrets qui n’éprouvent pas le besoin d’être repérés ou préfèrent parfois cacher leur appartenance par peur d’être stigmatisés. Avant d’être Tsiganes ou gens du voyage, ils sont surtout Gitans, Manouches ou Roms. Mais plus encore et par-dessus tout, ils sont tout simplement. La seule ligne de démarcation entre eux et la société, c’est qu’à la lecture d’un seul titre un matin de février, ils deviennent tous suspects du blanchiment d’argent pratiqué par quelques personnes, vivant parmi d’autres, en caravane. Plus encore, ils sont les récidivistes d’un méfait qu’ils n’ont pas commis et ne commettront certainement jamais, d’une histoire dont ils n’ont certainement jamais entendu parlé puisque il est bien là question de « Nouvelles interpellations ».

Voilà comment une information posée là sur du papier, se transforme en un discours globalisant, incriminant des dizaines, des milliers d’êtres humains totalement étrangers aux faits décriés. Un titre qui laisse à penser que le vagabond devient le reflet fantasmé d’une société en train de sombrer dans l’insécurité, dont la définition même mériterait d’être interrogée. Un titre qui fait la part belle à la politique de Sarkozy et ses amis. Un titre qui pousse tout à chacun en à se méfier « des Gens du voyage » assimilés aux champs du délit et de la criminalité.

Un titre qui s’entrecroise dans mon esprit avec les mots d’un gitan encore aujourd’hui voyageur, prononcés un matin de juillet : « N’oublie jamais que nous sommes le premier fusible entre l’autoritarisme et la liberté, si nous sautons, c’est la société qui saute après »…


Séverine Lhez

 
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