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Voile « islamique », gros titres et numérologie

Les Dernières Nouvelles d’Alsace, superbe région ostensiblement exclue de la laïcité, voilent ostensiblement la réalité.


Les Dernières Nouvelles d’Alsace
du 27 juillet 2005 rendent compte d’une décision du Tribunal Administratif de Strasbourg concernant des recours contre des exclusions d’élèves musulmanes pour port de voile. Le titre, en page Région 2, racoleur, en caractères gras, de 1,5 cm de haut, annonce : « Port du voile à l’école : les exclusions confirmées » !

Puis, le journal détaille la décision : « Le tribunal administratif de Strasbourg a validé lundi l’exclusion prononcée contre douze élèves qui avaient refusé d’enlever leur foulard islamique. L’application de la loi du 15 mars 2004 prohibant dans les collèges et lycées publics le « port de signes et tenues » religieux avait provoqué l’exclusion d’une vingtaine de collégiennes et lycéennes musulmanes dès la rentrée 2004 en Alsace. Pour les 8 autres, c’est comme disait une pub du loto : 100% des gagnants (et des perdants) ont joué...


«  Douze d’entre elles. [8 exclues donc, n’ont pas déposé de recours] avaient intenté un recours devant le tribunal administratif de Strasbourg en juin 2005. Dans douze arrêts rendus lundi, le tribunal rejette la validité des recours contre toutes les décisions d’expulsion prises par le recteur de l’académie. » « Expulsion » ? Le choix de ce terme qui d’ordinaire s’applique notamment aux immigrés « sans papiers », à la place de celui d’ « exclusion » qui seul conviendrait ici, dit assez quel inconscient tient la plume du rédacteur !

Le papier se poursuit ainsi : « Cependant, considérant que les proviseurs n’avaient pas à exclure de l’accès aux cours les élèves pendant la période de transition et de dialogue prévue par la loi, le tribunal a annulé les décisions d’exclusion prises par les proviseurs et principaux pour sept d’entre elles et condamné l’Etat à verser des indemnités de 300 à 770 € aux plaignants. Le lycée René-Cassin (Strasbourg) a également été condamné à verser 200 € à deux plaignantes.  »

Quiconque maîtrise la soustraction (12-7) et se souvient encore du titre en gras  : « les exclusions confirmées », s’interroge. Si 12-7 font encore 5, pourquoi titrer sur « les exclusions confirmées » ? « Des exclusions », (5 ?) ne serait-il pas plus exact ? A moins que ne s’exprime ainsi la déception du journaliste, aidé par l’AFP, comme l’indique la signature « P.F. (avec AFP) » ? Pour plagier Freud, faut- il dire que « Tout titre (en gras) est la réalisation d’un désir ? ».

La lecture de la suite de l’article accroît la perplexité : « Dans onze arrêts, le tribunal a estimé que le fait que ces élèves n’aient adopté « aucune attitude prosélyte est sans incidence sur la légalité de la décision ». 12, 7,11...on s’y perd un peu, mais on s’accroche à la lecture : « Le tribunal a également annulé les règlements intérieurs des lycées Marc-Bloch (Bischheim) et René-Cassin (Strasbourg) qui interdisaient le port des couvre-chefs dans tout l’établissement. Les juges ont estimé que les proviseurs ont « excédé l’étendue » de leurs pouvoirs. » Malgré le coq-à-l’âne, on persiste à lire, tout en rêvant d’un autre titre possible de l’article : « Deux proviseurs condamnés pour excès de pouvoir ».

Et on revient à la réalité de l’article : « Collèges de Thann : motif d’exclusion « erroné ». »

Le mot mis entre guillemets doit être extrait du jugement de Tribunal administratif, mais « illégal » aurait été plus juste au vu de ce qui suit :

« Le tribunal, suivant l’avis du commissaire du gouvernement, a confirmé l’interdiction du couvre-chef à l’intérieur des bâtiments scolaires, qui selon les juges « est de nature à préserver le bon ordre au sein de l’établissement et en particulier le respect des règles de sécurité, d’hygiène et de civilité entre les différents membres de la communauté scolaire » et ne porte pas « une atteinte disproportionnée [sic] au droit au respect de la vie privée ». D’autre part, le tribunal administratif a annulé l’exclusion définitive prononcée par le rectorat à l’encontre de la petite Hilal de Thann, exclue du collège Faesch après l’avoir été du collège Walch, lors de l’année scolaire 2003-2004. » C’est l’explication du onze précédent.

Pourquoi ne pas avoir titré ou sous-titré : « Le Recteur condamné pour exclusion illégale » ? En effet : « L’arrêt précise qu’à cette époque, avant la loi du 15 mars 2004, « aucune disposition légale ou réglementaire ne l’empêchait de porter son foulard dès lors qu’elle n’avait causé aucun trouble à l’ordre public » et estime ainsi que le motif de l’exclusion était « erroné ». »

L’acharnement avec lequel Les Dernières Nouvelles d’Alsace rendent compte, de façon biaisée, des décisions de justice concernant une loi d’autant plus discutable qu’elle est discutée ne saurait dissimuler que c’est la législation alsacienne elle-même qui est le plus évident des « signes religieux ostensibles ». Rappelons qu’en Alsace et en Moselle, les trois religions concordataires (catholique, protestante, juive, mais pas l’islam...) sont enseignées dans les écoles, les collèges et lycées publics et qu’une dispense est exigée pour aller en morale (dans le primaire) à la place de religion ! Mais cela Les Dernières Nouvelles d’Alsace, soudainement éprises de laïcité, préfèrent l’oublier.

Devoir de vacances : Combien d’élèves musulmanes ont-elles été exclues en Alsace ? Une vingtaine ? Douze ? Onze ? Cinq ? Question subsidiaire : la France (et l’Alsace, en particulier, où la loi de 1905 ne s’applique pas) était-elle vraiment menacée dans son identité laïque par quelques dizaines de jeunes filles ? La réponse est à envoyer à Acrimed et aux DNA qui à défaut de féliciter l’auteur de l’article, offriront peut-être un abonnement d’un (meilleur) jour à l’heureux élu !

Valentin Guyot


Numérologie : suite.
Les DNA du 8 septembre publient une brève sur l’application de la loi du 15 mars 2004 sur les « signes ostensibles ». Titre neutre : « Rentrée ». Puis, un sous-titre qui semble introduire une régate sans vent : « Voile : dans le calme ». Mais on comprend vite qu’il s’agit d’une autre navigation, non sans écueils : « Loin des tumultes de l’an dernier, la loi sur le port des signes religieux ostensibles à l’école s’applique toujours sans incident à cette rentrée, en Alsace. Une seule jeune fille s’est présentée voilée, le jour de la rentrée, au lycée Mermoz de St-Louis, avant de se mettre rapidement en conformité avec la loi. Dans six collèges du Haut-Rhin, quatre collèges et un lycée du Bas-Rhin, des parents ou autres membres de la famille d’élèves ont annoncé au chef d’établissement que les jeunes filles ne viendraient pas. Porteurs d’une lettre expliquant leur refus de se soumettre à la loi, ils ont demandé l’inscription des élèves au CNED (enseignement à distance). »

On admirera le laconisme avec lequel le quotidien expédie le fait qu’en Alsace, où les signes religieux catholique, protestant, juif sont plus qu’ostensibles, ostentatoires même, et dans l’école publique en particulier, au moins 11 jeunes filles, dès la première semaine de cours, sont exclues, sans même qu’il y ait besoin d’un Conseil de discipline, de l’Education Nationale. Quoi qu’on pense de cette loi, on ne peut qu’être frappé par l’insensibilité manifestée à l’égard de cette situation de souffrance d’adolescentes.

 
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