Premier acte : Natacha Polony reçoit Alain Finkielkraut
Le 13 novembre 2015, aux Bains Douches (« haut lieu des nuits parisiennes »), dans « son » émission intitulée (sans aucun narcissisme) « Polonium » sur Paris Première, Natacha Polony reçoit Alain Finkielkraut… qu’elle avait déjà interrogé dans « On n’est pas couchés » sur France 2 le 26 octobre 2013.
Avec une certaine familiarité :
- Natacha Polony : Bonsoir Alain.
- Alain Finkielkraut : Bonsoir Natacha.
- Natacha Polony : Vous allez bien ?
… Suivie à partir de 18’26’’ d’une déclaration de chaude amitié :
- Natacha Polony : Sans aller dans un optimisme béat, qu’est-ce que vous pourriez nous dire de cette époque qui soit positif ? Qu’est-ce que vous aimez dans cette époque, quels sont quand même les progrès ? Il y en a bien ?
- Alain Finkielkraut : Vous, vous je vous aime. Vous êtes, vous êtes, vous êtes très agréable.
Juste retour de flamme puisque Natacha Polony avait déclaré la sienne à Alain Finkielkraut dans un article qu’elle lui avait consacré, paru dans Causeur en mai 2014, tandis qu’[Alain Finkielkraut avait reçu Natacha Polony dans « son » émission, « Répliques », sur France Culture le 7 avril 2007. Une longue complicité donc.
Deuxième acte : Natacha Polony débat avec Alain Minc
Le 27 novembre 2015, Natacha Polony et Alain Minc débattent dans Marianne, un hebdomadaire où Natacha Polony a exercé ses talents de journaliste de 2002 à 2009.
Ils s’étaient déjà rencontrés le 21 septembre 2012 dans « On n’est pas couchés » sur France 2. À l’époque Natacha Polony était chroniqueuse et Alain Minc faisait la promotion de son dernier chef-d’œuvre. Non sans étonnement, nous avions noté : « L’entretien ne se passe pas comme prévu, c’est-à-dire comme dans les autres médias. L’essayiste doit faire face à un flot de questions embarrassantes et de remarques incommodantes de la part des deux chroniqueurs du plateau : Natacha Polony et Aymeric Caron. Pour une fois qu’Alain Minc est mis en difficulté, ne boudons pas notre plaisir. Mais sans oublier de nous demander, une fois encore, pourquoi inviter cette fausse grandeur, alors que des auteurs, souvent plus compétents, ne le sont jamais ? » Nous aurions dû relever alors que le genre de l’émission (où il convient de « faire polémique », comme dit la langue médiatique) favorisait un tel écart. Trois ans plus tard, dans Marianne, Alain Minc et Natacha Polony sont devenus ce qu’ils étaient déjà dans « On n’est pas couché », à savoir des « adversaires complices » [2] qui, d’accord sur l’essentiel, cultivent le narcissisme des petites différences pour le plus grand bonheur des magazines. Ce qui permet à Marianne d’écrire : « Tout les oppose et pourtant. D’un côté, Minc le "libéral", de l’autre, Polony la "souverainiste". Malgré leurs nombreux désaccords, les deux essayistes ont pris le temps de l’échange, dans un débat sans langue de bois. »
Troisième acte : Alain Minc débat avec Alain Finkielkraut
Le 28 novembre 2015, Alain Finkielkraut, qui avait reçu Alain Minc dans « son » émission « Répliques » sur France Culture le 6 mars 2010, débat avec son ancien invité dans Challenges. En 2010, le thème du débat était : « Quelle leçon tirer de la crise ? » ; en 2015, le thème est novateur : « Après les attentats, le modèle français est-il en danger ? » Un thème à la mesure de la démesure que les journalistes de Challenges à l’affût d’une montée d’adrénaline, mettent pesamment en scène : « Il y a là, entre vous, un vrai désaccord : Alain Finkielkraut partisan de l’assimilation ; Alain Minc partisan de l’intégration et de la discrimination positive… »
Quatrième acte : Alain Finkielkraut invite Alain Minc et Natacha Polony
Le 26 décembre 2015, dans « son » émission « Répliques », Alain Finkielkraut offre aux auditeurs de France Culture le plus beau cadeau de Noël imaginable en recevant Alain Minc et Natacha Polony. Le trio est enfin réuni !
Le thème de l’émission est « L’identité de la France », et la présentation de l’émission faite par Alain Finkielkraut laisse perplexe :
[…] Née depuis peu, l’identité nationale s’est invitée dans le débat [souligné par nous]. Les Français dont Valéry disait avec humour “qu’ils avaient pour spécialité le sens de l’universel”, redécouvrent la particularité et la vulnérabilité de leur civilisation. De ce tournant et de ce tourment témoignent le livre d’Alain Minc, Un Français de tant de souches, et celui de Natacha Polony, Nous sommes la France, je voudrais donc leur poser pour commencer la question suivante : Que s’est-il passé ? Comment expliquer que la France soit devenue pour vous et pour nous tous un sujet d’inquiétude et un thème de réflexion ?
On se le demande en effet !
« Né depuis peu » le débat sur l’identité nationale ? Alain Finkielkraut – abus de modestie ? – semble oublier qu’il est l’un des promoteurs de sa mise à l’agenda médiatique, comme le montre un bref inventaire des thèmes traités dans « Répliques », qu’on lira en suivant la note [3].
« Né depuis peu » le débat sur l’identité nationale ? L’essayisme triomphe de tout, même des études les plus sérieuses ! Comment ignorer ou oublier que, en 1986 et 1987 (et à titre posthume), soit près de trente ans avant que l’éditorialisme ne s’empare du débat, ont été publiés les trois volumes de L’Identité de la France (titre que Finkielkraut reprend donc sans en mentionner l’origine) de l’historien Fernand Braudel ?
« Vous connaissez parfaitement mon raisonnement » déclare ingénument Natacha Polony à Alain Minc au cours de l’émission « Répliques » (à 41’27’’). Comment pourrait-il en être autrement quand on se rencontre assidûment ? Avec cette conséquence (effet de la circulation circulaire d’un petit cercle d’individus médiatiques ressassant les mêmes réponses aux mêmes « débats ») : la plupart des lecteurs, auditeurs et téléspectateurs connaissent d’avance le texte prononcé par ces individus interchangeables, à l’occasion de « débats vraiment faux, qu’on reconnaît tout de suite comme tels », comme l’indiquait Pierre Bourdieu qui ajoutait : « Quand vous voyez, à la télévision, Alain Minc et Attali, Alain Minc et Sorman, Ferry et Finkielkraut, Julliard et Imbert..., ce sont des compères » [4]. Liste ouverte, à laquelle on peut ajouter Alain Minc et Natacha Polony, Alain Minc et Alain Finkielkraut, Alain Finkielkraut et Natacha Polony.
Denis Souchon (avec Henri Maler)