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EN BREF

Sur France inter, plutôt le Front national que le Front populaire

par Julien Salingue,

Service public ou service après-vente de l’extrême-droite ?

Pendant l’été, les auditeurs de France inter peuvent, chaque midi, écouter « Le débat de midi », émission de près d’une heure animée par Thomas Chauvineau. Les thèmes sont variés : « Obama a-t-il fait un bon président ? » (4 juillet) ; « Comment vivre avec la menace terroriste ? » (15 juillet) ; « La bisexualité est-elle passée dans les mœurs ? » (19 juillet) ; « Le Brexit peut-il sauver l’Europe ? » (20 juillet) ; etc. Pour chaque thème, l’émission reçoit plusieurs invités : journalistes, universitaires, responsables politiques ou associatifs, etc.

Ce lundi 8 août 2016, l’intitulé du « Débat de midi » était le suivant : « Que reste-t-il du Front populaire ? ». Quatre invités : François Reynaert (journaliste à L’Obs), Nicole Masson (historienne), Jean Vigreux (historien) et… Florian Philippot !



Le vice-président du Front national est donc le seul responsable politique invité à l’occasion d’une émission qui se propose de répondre à la question suivante [1] : « L’esprit du Front populaire anime-t-il toujours la vie politique française ? ». L’espace d’un instant, nous avons cru à une mauvaise plaisanterie. Car si nous ne sommes pas de ceux qui pensent qu’il faut bannir le Front national des antennes, y compris celles du service public [2], inviter un représentant de l’extrême-droite pour évoquer la mémoire et l’héritage du Front populaire est pour le moins surprenant, pour ne pas dire ahurissant.

Est-ce parce qu’aucun responsable politique de gauche, ou du Parti socialiste, n’était disponible ? Nous nous permettons d’en douter. S’agissait-il d’évoquer avec Florian Philippot les manifestations fascistes de février 1934, qui entrainèrent une riposte posant les jalons de l’union de la gauche qui débouchera deux ans plus tard sur la victoire électorale du Front populaire ? À l’écoute de l’émission, de toute évidence, non. Seule hypothèse crédible à nos yeux : certains journalistes du service public radiophonique ont attrapé un méchant coup de soleil.

Nous n’avons pas été les seuls à relever cette incongruité, et nombre d’internautes ont fait part de leur stupéfaction, voire de leur colère. Thomas Chauvineau évoque à l’antenne ces messages, en lisant trois d’entre eux, de toute évidence choisis au hasard : « Tiens c’est Thomas Chauvineau le malade mental qui invite des fachos pour parler du Front populaire sur France inter » ; « En raison de la présence de Florian Philippot à France inter, l’émission de Thomas Chauvineau sera rebaptisée "Le Démon de midi" » ; « Faut-il être ignorant et opportuniste pour inviter un facho pour parler du Front populaire ? Thomas Chauvineau est ambitieux ou illettré ».

Tourner en dérision les critiques en choisissant les plus caricaturales d’entre elles est ici, comme bien souvent, un moyen commode d’éviter le débat de fond. Car cette invitation n’est malheureusement pas un incident, et participe d’un phénomène que nous avons déjà eu l’occasion d’analyser [3] : la légitimation, par les grands médias, des discours et postures du FN, ici celle consistant à se poser comme le seul parti défendant réellement les intérêts du « peuple », quitte à surfer sur la confusion idéologique en se revendiquant d’intellectuels ou de dirigeants politiques n’ayant rien à voir, de près ou de loin, avec l’extrême-droite.

Car Thomas Chauvineau, loin de contester cette posture, tend à lui apporter du crédit, en citant par exemple un tract du FN affirmant que « Léon Blum voterait Front national », ainsi que les fréquentes références à Jaurès chez plusieurs dirigeants frontistes. Tout juste évoquera-t-il timidement « une stratégie de communication évidente » de la part du FN, tout en laissant Florian Philippot développer tranquillement son discours consistant à se poser en héritier du Front populaire [4].

Le service public se muant en service après-vente des outrances du Front national ? Ainsi semble aller la vie médiatique dans la France de 2016.


Julien Salingue



Post-Scriptum. Nous ne pouvons nous empêcher de signaler ce lapsus du journaliste de France inter : « Est-ce que vous pensez sérieusement Florian Philippot que Léon Blum aurait voté le Front populaire… le Front euh… le Front national ? » Confusion, quand tu nous tiens…

 
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Notes

[1Présentation de l’émission sur le site de France inter.

[4C’est ainsi que lorsque le vice-président du Front national affirme que son parti s’est « battu dès la première seconde contre la Loi El Khomri », personne ne réagit. Alors que les choses ne sont pas aussi simples, comme en témoigne par exemple cet article du Monde évoquant le « grand écart » du FN sur la Loi Travail.

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