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En bref

Retraites : mépris de classe dans les médias

par Maxime Friot,

À en croire certains commentateurs, la réforme des retraites repose sur des fondements rationnels et devrait donc convaincre tout esprit raisonnable. Aussi ces commentateurs sont-ils désarçonnés par une contestation imperméable à la « pédagogie » du gouvernement et de ses relais médiatiques. Jusqu’au mépris de classe ?

Début janvier, nous repérions déjà le procédé argumentatif dans un édito de L’Éclair des Pyrénées (2/01) : « Pour vaincre les réticences, on peut faire parfois le pari de la raison et de l’intelligence. »

Pari perdu. Quelques jours plus tard (13/01), c’est le directeur de la rédaction du Figaro Magazine (et par ailleurs chroniqueur sur France Inter), Guillaume Roquette, qui joue la même partition, un ton au-dessus. Perplexité d’abord : « Les justifications d’un allongement de la vie professionnelle » sont contestées alors qu’elles sont « incontestables » ; « une nette majorité de nos compatriotes persiste à se montrer hostile au projet » alors que les arguments en sa faveur sont « rationnels ». D’où cette question pleine de bon sens : « Les Français sont-ils idiots ? » Et la réponse, toute en pondération : « tête dans le sable », « nihilisme », « pessimisme foncier », « irresponsable ».

Un peu plus tard, « les Français » n’étant toujours pas sortis de leur caverne, ce sont cette fois « Les Informés » qui s’y mettent (Franceinfo, 26/01). Les informés parlent aux non-informés :

– Jean-François Achilli : Je m’adresse maintenant à la spécialiste de la communication politique, Charlotte Euzen. Franchement, est-ce qu’il n’y a pas aujourd’hui un problème de compréhension de cette réforme des retraites ? Nous avons eu une valse des chiffres, au départ, une explication, une pédagogie totalement absente, aujourd’hui une cascade de situations personnelles : plus personne ne comprend rien à cette réforme !

– Charlotte Euzen : Je vois deux points : […] la pédagogie a existé mais elle a été trop sophistiquée ; […] en fait, ce texte personne ne le connaît réellement. […]

– J.-F. A. : Vous diriez, Charlotte qu’on est parti d’un texte supposément de raison, pour verser dans un registre... de l’émotion nationale, là-dessus ? Nous sommes dans l’émotion !

– C. E. : Ben on est exactement dans la bataille de l’émotion, avec un gouvernement qui essaie de convaincre rationnellement, mais avec un discours extrêmement... moi j’employais le mot de sophistiqué, mais c’est-à-dire...

– J.-F. A. : Vous voulez dire compliqué ?

– C. E. : Compliqué, en tout cas, qui cherche à convaincre sur la raison, alors qu’on a, en face, des gens qui sont heurtés profondément par cette réforme et donc qui ne peuvent pas entendre les arguments du gouvernement.


Notre « Lexique pour temps de grève » proposait dès sa première mouture (2003) la définition suivante de la « pédagogie » : « Devoir qui, pour les journalistes communicants, s’impose au gouvernement (plus encore qu’aux enseignants...). Ainsi, le gouvernement fait preuve (ou doit faire preuve...) de "pédagogie". Tant il est vrai qu’il s’adresse, comme nos grands éditorialistes, à un peuple d’enfants qu’il faut instruire patiemment. » Quelques réformes des retraites plus tard, on n’a malheureusement pas à en changer une ligne.

Nous laisserons le mot de la fin à Nathalie Saint-Cricq (« C l’hebdo », France 5, 4/02) : « Peut-être que nous, on veut toujours […] avoir une sorte de mère, de nourrice. On n’est peut-être pas, comme les pays du Nord, capables de voir quelqu’un qui est pas spécialement séduisant et qui nous emmène dans une réforme. » Ça doit être ça.


Maxime Friot

 
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