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Régulations et dérégulations libérales des médias audiovisuels (2)

par Philippe Boure,

Des régulations libérales de l’audiovisuel par des autorités administratives indépendantes(dont il est question dans la première partie de cet article) à l’autorégulation des groupes privés ?

II. Nouvelles régulations ou nouvelles dérégulations ?

La régulation de la communication audiovisuelle par des autorités administratives indépendantes marque le début de l’abandon par les Etats de l’exercice de leur autorité réglementaire sur le secteur des médias audiovisuels. D’inspiration libérale, ce procédé de contrôle semble aujourd’hui être remis en cause par les acteurs du secteur audiovisuel (1) qui souhaitent arriver à une autorégulation de leur secteur (2).

Les transformations actuelles du monde médiatique marquent une révolution importante de la structure du secteur par la naissance de géants de la communication. A ce phénomène vient s’ajouter une convergence sans cesse accrue entre les différents médias qui augmente la puissance de ces empires médiatiques et favorise la restructuration du marché de la communication.

Face aux Etats se dressent désormais de véritables empires dont la puissance médiatique est telle qu’ils contrôlent l’espace public mondial [1]. La convergence des médias, si elle n’est pas un phénomène nouveau, s’est considérablement accélérée au cours de cette dernière décennie avec l’évolution importante des technologies.

1. Convergence et nouveaux services

- La convergence des médias - . La notion de convergence au centre des débats sur la régulation du secteur audiovisuel. Par convergence, on entend le rapprochement effectué entre l’informatique et les télécommunications qui a débuté au cours des années 60. Avec le développement du réseau Internet, les possibilités offertes aux opérateurs semblent devenir infinies grâce à la technique numérique. Cette dernière a permis la compression des données et a ainsi presque annihilé la contrainte liée à la pénurie des ressources, ce grâce à la numérisation des données, à la généralisation progressive des capacités à haut débit, et au développement de l’interactivité. Cette convergence permet de proposer aux citoyens de nouveaux services et une multiplication de l’offre.

- Les nouveaux services associés à l’audiovisuel -. L’utilisation de la technologie numérique rend possible de nombreux services qui étaient il y a peu, à peine imaginables. Ainsi, par exemple, nous avons pu assister à l’arrivée du paiement à la séance [2], du guide électronique de programmes [3], du commerce électronique [4]. Toutes ces innovations remettent en question le comportement du téléspectateur qui de récepteur passif d’une information devient acteur de la programmation des chaînes de télévision.

Ils remettent aussi directement en question la régulation par une AAI de type Conseil Supérieur de l’Audiovisuel du secteur concerné. En effet, l’individu participant directement à la programmation des émissions qu’il souhaite regarder, il n’apparaîtrait pas nécessaire qu’une instance administrative vienne contrôler cette programmation individualisée. D’ailleurs, il apparaît difficile voire impossible de contrôler ce genre de consommation audiovisuelle du fait même de son individualisation. Le téléspectateur « adulte » doit-il voir son choix limité par la volonté directe ou indirecte de l’Etat ?

- Une multiplication « à l’infinie » de l’offre audiovisuelle -. Une des justifications de la régulation audiovisuelle vient du fait de la rareté des fréquences disponibles. Or, le développement des techniques actuelles comme la télévision numérique terrestre et Internet rendent obsolète cette justification.

Même si la télévision par Internet est encore limitée aujourd’hui du fait du manque de rapidité de diffusion des images et du son par le réseau, nous ne pouvons qu’établir une double constatation : le nombre des chaînes de « télévision » présentes sur Internet ne cesse de croître à l’instar des progrès en matière de compression numérique, des messages diffusés et la vitesse de transmission de ces messages qui ne cessent de s’accélérer. Tout laisse à croire, comme l’affirment Rémy Le Champion et Benoît Danard [5] que « le secteur de l’audiovisuel connaît un tournant majeur. La décennie quatre-vingt a légué un avant-goût de la télévision d’abondance, mais la véritable abondance est encore à venir ». D’ores et déjà, cette abondance remet lourdement en cause le processus de régulation tel que nous le connaissions avec la télévision de « pénurie ».

2. Concentrations, internet et dérégulations.

- Des géants de la Communication opposés à la régulation traditionnelle- Il ne s’agit pas de revenir sur la constitution des groupes de communication audiovisuelle telle que nous l’avons présentée auparavant. Toutefois, à l’instar de Pierre Bourdieu, nous ne pouvons que constater de la puissance croissante des « nouveaux maîtres de monde » [6].

Le mouvement de concentration et d’intégration dans l’économie des médias a commencé très tôt aux Etats Unis d’Amérique. Dés le début des années 80, le Congrès américain a encouragé la concentration tant horizontale que verticale avec l’adoption d’une réglementation qui se substitua à des dispositions de nature à bloquer cette concentration. S’en est ensuite suivi un phénomène d’internationalisation des activités des différents groupes. Alors que l’activité des compagnies américaines se concentre essentiellement sur l’exportation des contenus, celle des groupes européens se caractérise par l’acquisition de structures de diffusion dans les pays voisins.

Désormais, nous assistons à une synthèse des différents médias au profit des groupes financièrement et technologiquement les plus puissants.

- Internet et la mise en place de nouveaux acteurs tout puissant - Le fulgurant développement de l’Internet, d’abord au Etats Unis puis en Europe est sur le point de modifier la donne de l’économie mondiale des médias en offrant une possibilité de convergence numérique de l’ensemble des médias audiovisuels au sein d’un même support. L’arrivée des nouveaux acteurs que sont les compagnies internet, les cablô-opérateurs et les compagnies de télécommunication remettent directement en cause la hiérarchie des groupes de communication traditionnelle. Or, ces nouvelles compagnies sont portées tant par une maîtrise des nouvelles technologies que par le fort sentiment d’indépendance et de liberté qui caractérise le réseau Internet. Ainsi, ces compagnies ne peuvent accepter de se soumettre d’elles-mêmes à des règles contraignantes en matière d’offre audiovisuelle comme en avaient finalement pris l’habitude les groupes de médias traditionnels. Faut-il rappeler que la plupart des opérateurs audiovisuels privés ont bénéficié, au départ tout du moins, de la régulation audiovisuelle pour acquérir leur liberté en s’extrayant de la domination étatique. Le vent ultralibéral dont profitent autant qu’elles le favorisent les nouvelles entreprises du monde médiatique est reçu par les entreprises médiatiques audiovisuelles comme une opportunité d’échapper à toutes contraintes hors de celles imposées par le marché lui même. Ce phénomène est d’autant plus exacerbé que les « nouveaux médias » planent comme une menace réelle sur les groupes audiovisuels traditionnels.

 Les groupes télématiques « maîtres » d’une économie des médias en mutation. La prise de contrôle de Time Warner, premier groupe mondial de communication par America Online, premier fournisseur d’accès à Internet est significative du bouleversement de l’économie mondiale des médias. Les entreprises qui dominent le marché de l’internet s’affairent à fusionner avec les groupes de communication audiovisuelle afin de prendre le contrôle de leurs catalogues d’œuvres. Internet correspond à un vecteur communicationnel nouveau qui souffre jusqu’à présent d’un manque de contenu qualitatif. L’originalité de ces fusions- acquisitions provient du fait que ce sont les « nouvelles entreprises » qui reprennent les entreprises traditionnelles alors même que nous pouvions penser que ces dernières retourneraient à leur avantage la situation du marché. En investissant dans le contenu, les entreprises d’accès à l’internet transforment totalement le marché audiovisuel, tant dans sa structure que dans l’offre qui s’en suit.

Les géants de la nouvelle communication mondiale [7] proviennent d’une industrie neuve, portée par le vent libéral qui est le corollaire de leurs activités. Dès lors, ils rejettent de manière systématique et inconditionnelle toutes les réglementations. Ainsi, aux Etats-Unis d’Amérique, ces groupes font appel au Premier amendement de la Constitution afin de préserver leur indépendance.

Conclusion provisoire : dérégulation et autorégulation libérales

Le secteur audiovisuel ne peut plus être pensé au niveau d’un Etat. Telle devrait être la conclusion de l’étude sur la transformation d’un marché mondialisé. Chaque Etat se retrouve désormais à tenter de réguler des informations qui ne proviennent pas de son territoire, et qui, bien que tombant sous le coup de la loi nationale du pays où elles sont reçues, échappent à toute sanction pénale ou administrative dans le pays d’où elles sont émises.

Devant l’incompétence technique et juridique nationale, les géants de la communication mondiale tentent d’imposer l’idée selon laquelle ils sont les seuls à même de réguler les nouveaux médias. Nous assistons à la troisième phase de la libéralisation des contenus audiovisuels. D’une situation où la communication audiovisuelle était régie par l’Etat nous arrivons à une situation où les entreprises de services audiovisuels s’autorégulent. La régulation du secteur audiovisuel par une AAI n’aura été qu’un sas de décompression entre les deux étapes qui devraient permettre le passage de la régulation audiovisuelle de la sphère publique à la sphère privée.

Ce phénomène est déjà devenu une réalité dans certains pays comme le Canada qui s’est prononcé contre le principe même d’une régulation étatique de l’Internet. En France, nous assistons peu à peu à la mise en place d’une solution égale avec d’une part le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel qui est reconnu incompétent en la matière et d’autre part la production de rapports publics qui s’inscrivent dans une démarche de libéralisation par une non régulation de l’Internet. La lecture du rapport Paul [8] qui a pour titre « Du droit et des libertés sur Internet » illustre parfaitement ce phénomène de l’abandon programmé de la puissance régalienne sur la communication audiovisuelle. Sous couvert de ne pas assister à la « démission de l’Etat » en la matière, le rapporteur propose la création d’une association de type Loi 1901 dénommée le « Forum des Droits » et une responsabilisation des acteurs de l’internet. La régulation d’un média par ses acteurs, assistés d’une structure privée comme peut l’être une association de type loi 1901, est caractéristique de l’abandon par l’Etat et par son administration de la régulation du secteur.

Dans ce contexte, nous nous devons de réfléchir à la forme de contrôle, ou d’absence de contrôle que nous souhaitons voir appliquer aux médias audiovisuels dans leur ensemble.

Philippe Boure (2001)

 
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Notes

[1Sur ce point : et R. De La Beaume, Les nouveaux Maîtres du monde, Paris, Belfond, 1995 ; J.-J.Bertolus, Les Médias-maîtres : qui contrôle l’information ? , Paris, Editions du Seuil, 2000

[2Le paiement à la séance signifie que l’offre de contenus est présentée au téléspectateur par une application interactive. L’individu achète le programme en acquérant les droits permettant de le désembrouiller. Le diffuseur a connaissance exacte du nombre de personne ayant « acheté » le programme et peut donc rémunérer les ayants droit en conséquence.

[3Le téléspectateur, par le biais d’un logiciel peut avoir accès à l’ensemble des informations sur les programmes qui sont diffusés. Il permet également la diffusion d’informations telles que magazines multimédias, pages internet, ainsi qu’à des informations complémentaires sur les programmes diffusés. De surcroît, la publicité fait aussi partie de ce nouveau service, le téléspectateur pouvant se rendre par exemple sur le site Internet du produit mis en scène par le message publicitaire.

[4Le commerce électronique permet au téléspectateur d’acheter un produit en le réglant avec une carte bancaire.

[5« Télévision de pénurie, télévision d’abondance », Rémy Le Champion et Benoît Danard, op. cit.

[6Pierre Bourdieu, discours du 11 octobre 1999 adressé aux « maîtres du monde » reproduit dans Libération du 12 octobre 1999.

[7Sur ce point, Cf. « Stratégies des groupes multimédias », Dossiers de l’audiovisuel N°94, novembre-décembre 2000

[8« Du droit et des libertés sur l’internet », Rapport au Premier Ministre de la Mission présidée par Christian Paul, député, Mai 2000.

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