Il y a 75 ans naissait l’Agence France Presse. Quel avenir pour la troisième agence mondiale face aux atteintes au statut ?
En plein mois d’août 1944 à Paris, une poignée de journalistes résistants prenaient d’assaut l’OFI, une officine aux ordres de Vichy. Ils venaient de créer l’Agence France Presse les armes à la main pour libérer l’information aux mains de la collaboration et de l’occupant nazi.
En 1957, le statut de l’indépendance, soutenu par les personnels et leurs organisations syndicales était voté à l’unanimité par les élus du peuple. Des hommes comme Jean Marin, symbolisant la France qui avait dit NON, étaient alors aux commandes pour donner ses lettres de noblesse à l’AFP et développer son assise mondiale pour faire jeu égal avec la concurrence anglo-saxonne et maintenir une vision franco-européenne du monde. Les retombées du programme du Conseil National de la Résistance (CNR) -« les Jours heureux »- qui prônait une presse libérée des patrons collaborationnistes et des chaînes de l’argent permettaient au pluralisme et aux débats d’idées de s’installer. L’AFP devait en bénéficier.
Parallèlement, les acquis sociaux pour les salariés allaient croitre après les grands mouvements de 1968. Dans la foulée, le poids des syndicats faisait de la Place de la Bourse un des points de référence pour les conquêtes dans la presse de l’époque (acquis salariaux, plan de carrière, droits syndicaux etc.).
Vient le temps du néo-libéralisme avec son cortège antisocial et l’accélération des concentrations des médias, la main-mise sur la presse des oligarques liés aux pouvoirs politiques et son corollaire, l’agrégation des contenus et contenants. L’AFP et son personnel allaient en ressentir les effets avec l’arrivée de PDG venant de l’énarchie : crise avec le plan Pigeat menaçant l’emploi, premières attaques frontales contre le statut avec Giuily, puis Eveno et enfin Louette, futur dirigeant d’Orange et désormais homme lige de LVMH à la tête des Echos. Les plans de départs pour réduire la masse salariale désignée comme la variable d’ajustement vont frapper les équipes Place de la Bourse.
Dans la dernière décennie, des coups portés par le PDG Hoog à l’instigation des dirigeants de la presse, de l’Etat et de la commission de Bruxelles vont aboutir à un fort recul social : gel des salaires, refonte négative des acquis des personnels sous prétexte de rationalisation et de modernisation. Les droits syndicaux sont visés.
Aujourd’hui, 75 ans après la création de l’AFP, le plan du PDG Fabrice Fries, installé par le pouvoir politique, engage l’agence sur une voie aux antipodes de l’action libératrice des journalistes résistants de 1944.
L’actuel PDG a lancé un plan de départ de dizaines de salariés qui va affecter tous les secteurs de l’agence. La couverture, française et mondiale, qui fonde le travail de l’agence, consistant en une collecte et diffusion d’une information hiérarchisée et vérifiée va être grandement fragilisée par cette réduction drastique des effectifs.
Parallèlement, sous prétexte de gagner de nouveaux clients, la politique rédactionnelle s’est engagée sur une pente dangereuse, privilégiant ce qui est censé se vendre (les infos people, le divertissement, l’anecdotique), mais aussi en sacrifiant certains sujets d’actualité, délaissant par exemple l’Amérique latine en français, l’Afrique et l’Europe de l’Est, forçant parfois le trait sur telle ou telle question, au prix de l’approximation voire de la désinformation (comme la fausse nouvelle, au prix de la crédibilité de l’agence, de l’arrestation d’un des criminels présumés les plus recherchés de France, Xavier Dupont de Ligonnès).
Venant de Publicis, l’actuel PDG ne jure que par la rentabilité de l’agence, confondant information et communication. En l’occurrence, le cheval de Troie de la marchandisation de l’agence s’appelle AFP-Services, filiale à 100% de la maison-mère.
Il est urgent, il est même vital de mettre un coup d’arrêt à ces orientations qui mettent en danger l’impartialité et l’indépendance rédactionnelle de l’agence. Le statut de l’agence établissait un délicat équilibre entre indépendance et mission de service public traduisant la volonté des fondateurs de l’agence de doter la France d’un organe de presse indépendant capable de rivaliser avec les agences anglo-saxonnes et de diffuser dans le monde une autre vision de l’actualité. Cette préoccupation essentielle a peu à peu laissé place aux seuls diktats de Bercy. L’AFP est gravement menacée dans ses fondements par la politique actuelle : la disparition de l’agence actuelle serait-elle programmée ?
En conséquence, nous en appelons solennellement au Conseil d’administration, - à la représentativité élargie depuis cinq ans - et aux élus de la Nation. Si l’AFP doit continuer de s’adapter, d’évoluer dans un monde en perpétuel mouvement, comme elle n’a cessé de le faire, elle doit absolument préserver sa raison d’être : assurer une couverture complète et impartiale de l’actualité, maintenir à un haut niveau le label de qualité reconnu par tous.
Cela passe aussi par des moyens financiers de nature à pérenniser sa place de troisième agence mondiale, alors même que le gouvernement du jour et ceux qui l’ont précédé ne respectent pas leurs engagements permettant à l’AFP de mener à bien la Mission d’Intérêt Général (MIG) qui lui est statutairement confiée.
Cet appel a été rédigé par plusieurs anciens.
Le 17/10/2019
À ce jour, le texte a reçu l’appui de cinquante premiers signataires dont les noms suivent :
J. Badaoui, A. Bergier, A. Berrada, G. Berniere, S. Bloch, JP. Bousquet, JM. Cadiot, JJ. Cazau, JJC. Chapon, A. Chapoy, JCC. Chauviere, L. Chevalier, F. Christophe, JP. Cottereau, C. Courcol, E. Darcourt, L. Delavaux, JC. Delmas, R.Dewaele, V. Drouin, F. Fernandez, J. Gamblin, J. Ghanem, G. Gueguen, N. Harrison, E. Jourand, P. Kamenka, D. Kochko, A. Khoury, C. Legourreriec, YC. Llorca, M. Maklouf, H. Malawany, T. Malle, C. Martinat, T. Masure, D. Meyer, M. Mochet, G. Nexon, JM. Prilot, J. Raffaelli, JM. Riba, C. Saint-André, D. Saltron, C. Sicurani, G. Sevestre, P. Thebault, E. Thome, J. Weber, F. Wilkowski-Dehove, E. Zingg