À peine terminée l’intervention d’Emmanuel Macron, le flot des commentaires a repris son cours sur les chaînes d’information. Comme à leur habitude, les éditorialistes de BFM-TV ont rivalisé de déférence à l’égard de l’intervention présidentielle. Des propos aussitôt épinglés sur les réseaux sociaux [1]. Ainsi Ruth Elkrief, applaudit-elle « une allocution très carrée, très précise ». L’extase semble totale :
Un ton empathique, un ton humble, un ton qui se veut très proche de tous les Français y compris ceux qui traversent les plus grandes difficultés sociales et économiques, et une forme d’humilité encore une fois. Il y a une manière d’être beaucoup plus proche des Français. Et il y a un horizon.
L’inoxydable Alain Duhamel (toujours chroniqueur à Libération) est lui aussi enthousiaste :
Pour dire les choses carrément, je pense que c’est son meilleur discours depuis le début, c’est en tout cas de loin le plus humain […] Il y avait un ton, il y avait des réponses, et il y avait un calendrier.
Puis c’est au tour d’Anna Cabana (éditorialiste au Journal du dimanche) de se livrer au panégyrique :
Dans la tonalité, précisément, l’espoir renaît. Dans ses précédentes allocutions, il était très tragédien. Pour la première fois ce soir, c’est ça qui dans la musique même de son discours change du tout au tout, il nous parle de jours heureux à venir. C’est du lyrisme souriant.
Dans un genre moins lyrique, Bruno Jeudy, éditorialiste politique de la chaîne et rédacteur en chef à Paris Match), se joint aux louanges : « On a gagné en concret, en lisibilité, en style un peu plus direct […] à mon sens c’était sans doute sa meilleure prestation ».
Apolline de Malherbe a également son mot à dire :
C’était un ton extrêmement humble, d’abord assez naturel : il était assez franc, il était assez vrai et il s’adressait effectivement au quotidien de tous les Français […] On a un peu le sentiment du Paul Valéry qui dit que les civilisations sont mortelles, nous sommes vulnérables.
Même musique le lendemain matin, dans la chronique de Christophe Barbier. L’éditorialiste (qui officie également à L’Express) manie sans complexe la brosse à reluire : « Il a été précis, c’est un chef, il a écouté pendant une semaine, il a tranché […] On a eu aussi un président dans l’empathie ; on a eu un président chef. »
Dans la presse également
La presse écrite n’est pas en reste : les éditocrates y ont réservé un accueil au moins aussi féroce à l’intervention d’Emmanuel Macron.
Ainsi l’éditorial de Libération, intitulé sobrement « Espérance », débute sur une note de poésie : « Pas de printemps pour les Français. Mais un rayon d’espoir, néanmoins ». Pour Laurent Joffrin l’intervention présidentielle était « à la fois humble et précise » avec à la clé un « calendrier rationnel ». « Le gouvernement est doté d’un plan cohérent ». Emmanuel Macron est KO.
En toute originalité, l’éditorial du Monde s’intitule quant à lui « L’espoir et l’humilité ». Avec, comme on peut l’imaginer, des mots très durs pour la prestation présidentielle :
Modeste, il a reconnu son impuissance à prévoir la fin de l’épidémie, dans la mesure où l’immunité collective est très loin d’être acquise. Humain, il a marqué sa compassion et sa reconnaissance envers les Français, qui, par leur discipline et leur engagement, ont fait que le pays a tenu.
Même musique au Figaro qui évoque une intervention « plus précise que les précédentes » (14/04). « L’aurore est encore loin, mais la nuit un peu moins obscure ». Pastichant Victor Hugo sans doute [2]. Le Parisien étale quant à lui une double-page sans complaisance sur l’intervention présidentielle :
L’éditorial va droit au but : « Emmanuel Macron est passé du lyrique au pragmatique. Les Français avaient des questions. Il leur a donné des réponses. » Difficile de se relever après une telle mise en cause.
Dans la presse régionale, le son de cloche est le même, décliné en différentes nuances [3]. Dans Ouest-France, Stéphane Vernay est impitoyable : « la quatrième allocution a été la bonne. Enfin. Clair, le président a répondu hier aux questions que nous nous posons tous ». Pour Alain Dusart, de L’Est Républicain, « c’est sa meilleure intervention dans cette crise inédite ». Et de noter, cinglant, que dans cette séance de « câlinothérapie et admettons-le d’autocongratulation, le ton est humble et rassembleur ».
Pour Florence Chédotal, de La Montagne, « pas de sang, ni de sueur ou de larmes pour un discours davantage empreint d’humanité que d’ordinaire. Le ton, celui de l’empathie et de l’humilité ». Laurent Bodin livre enfin dans L’Alsace un constat sans appel : « maintenir l’espoir sans occulter la gravité de la situation et les incertitudes de l’avenir, tel est le délicat exercice auquel s’est plié le chef de l’État en cette fin de week-end pascal ».
Ainsi la majorité de l’éditocratie met-elle (une fois de plus) en scène son admiration vis-à-vis de l’autorité. Autant de discours lénifiants érigeant artificiellement la statue d’un président, symbole de stabilité, d’autorité et d’humilité face à la crise actuelle.
Pourtant chaque jour davantage, la déconnexion apparaît évidente entre cette bulle médiatique et la majorité de la population. Car la défiance va croissant à l’égard de la politique gouvernementale, du moins si l’on en croit les sondages et autres « baromètres ». Est-ce si surprenant, compte tenu des ratés, des contradictions, et de la grande confusion des annonces du gouvernement face à la crise du Covid-19 ?
Mais qu’importe : trop empressés de jouer leur rôle de sentinelle de l’ordre social, les hauts gradés de l’état-major médiatique continuent d’écarter les critiques d’un revers de main. Un état-major, faut-il le préciser, fait lui aussi l’objet d’une défiance sans précédent… comment s’en étonner ?
Frédéric Lemaire