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Absolution préventive

Quand Le Monde explique Le Pen et disculpe la presse

Une responsabilité de la presse dans la montée du vote Le Pen ? Que nenni ! Le Monde, dans un éditorial de novembre 2001, se livrait à un exercice d’absolution préventive. [*].

Dans l’éditorial du 5 novembre 2001, Le Monde fait état la "mauvaise surprise politique de l’automne" : un sondage qui crédite Jean-Marie Le Pen de 11 % d’intentions de vote ( Le Monde écrit "suffrages"...) à l’élection présidentielle. A qui la faute ?

Pour répondre à cette question implicite, l’éditorialiste anonyme écrit :
« Il a soixante-quatorze ans. Il est largement ignoré des médias.(...) Et il ne dit rien, ou pas grand-chose, de la situation actuelle, intérieure et internationale. (...) Silence de l’intéressé donc ; et silence des médias à son sujet. Incidemment, sa belle performance dans ce sondage tord le cou à la thèse de ceux qui affirmaient que la presse avait largement fait le jeu de Jean-Marie Le Pen en rapportant sérieusement ses gestes et propos. La presse a fait son travail, s’agissant d’un homme qui, on l’oublie trop vite, empochait 15 % des suffrages au premier tour de l’élection présidentielle de 1995... » (souligné par nous)

Pour comprendre, ce vibrant hommage de la presse, il faut se souvenir que pour Le Monde, seul existe parmi les médias, la presse ... et que, pour Le Monde, la presse, c’est Le Monde. On évite ainsi d’avoir à se demander ce qu’ont fait les autres médias et les autres journaux.

L’incidente du Monde est un bijou d’absurdité : comme si le maintien de l’audience de Le Pen quand les médias parlent peu de lui prouvait que les médias n’avaient pas favorisé son audience en le mettant en scène.

Comme si en diffusant les thèmes construits sur un modèle lepénien - sur la sécurité, sur l’Islam, sur les immigrés - certains médias ne travaillaient pas pour lui. Le Monde a raison contre Le Monde : ce n’est pas seulement en parlant de Le Pen et en flattant l’audimat avec ses performances oratoires que l’on favorise son influence … Mais "la presse a fait son travail" …

Le Pen, selon Le Monde "passait pour avoir été affaibli par la rivalité qui l’oppose au dissident Bruno Mégret". Mais qui a diffusé cette analyse ? C’est "’un homme qui, on l’oublie trop vite, empochait 15 % des suffrages au premier tour de l’élection présidentielle de 1995". Mais quel est ce "on" amnésique ?

D’où vient alors le maintien de l’influence de Le Pen ? Puisque la presse est hors de cause (et il est vrai qu’elle n’est pas aussi puissante que Le Monde affecte de le croire quand ça l’arrange), il ne reste qu’une réponse "mondiste" concevable :
« Jean-Marie Le Pen surfe sur l’absence, aux plus hauts niveaux de l’État, de réflexion générale sur l’Europe et l’islam, de vision prospective sur l’Europe et le Maghreb. Il profite du silence de ceux qui nous gouvernent. »

Comme si le verbe haut des responsables politiques, leur "réflexion générale" et leur " "vision prospective" pouvaient constituer des remèdes...

Le seul mérite de cette explication est de permettre au Monde - égal à lui-même dans son imperturbable suffisance - d’exonérer les médias et de gourmander les gouvernants qui n’ouvrent pas les perspectives que leur propose Le Monde

 
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Notes

[*Première publication : 6 novembre 2001.

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