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Tribune libre

"On" veut nous apprendre la guerre de notre civilisation mondiale

par Kaafou,

« Ce soir alors que depuis trois nuits nous dormons tous les nerfs à vif et l’esprit tourmenté "on" nous raconte avec une mise en scène minutieuse comment il faut regarder notre monde. » : le 14 septembre 2001, Kaafou rédige et nous envoie cette tribune libre [*].

Pour la première fois de ma vie, j’écris le mot "on" en me demandant de qui je parle. Et à qui je parle aussi. Ce soir alors que depuis trois nuits nous dormons tous les nerfs à vif et l’esprit tourmenté "on" nous raconte avec une mise en scène minutieuse comment il faut regarder notre monde. Quelqu’un parle dans mon petit écran et derrière sa voix "on" peut entendre une musique, des mesures qui ne sont pas sans me rappeler chacun des films d’épouvante que j’ai pu visionner. "On" nous parle des terroristes, d’enturbannés et de barbus. "On" nous parle de notre folie. Le monde entier semble différent. La fumée d’émotions et de chairs qui nous surplombe achève notre indifférence et brûle nos yeux. "On" nous montre des photos de terroristes esthétiquement posées contre des pierres. Des percussions rythment la vie derrière la voix off. "On" nous passe sur tous les tubes cathodiques, sur toutes les bandes passantes, sur toutes les fréquences du monde un message sordide et insolent... le FILM des évènements. Le cinéma vous faisait-il encore rêver qu’avant-hier vous a fait perdre le rose de votre vie. Maintenant nous sommes tous des américains. L’Islam est déjà un PAYS, "on" voudrait en faire une patrie. Une patrie démente qui croirait vraiment en ce vieux mensonge : " DULCE ET DECORUM EST PRO PATRIA MORI ". "On" utilise la plus vieille arme du monde, celle des pires -ismes, le récit. Les anciens temps, qui dans les anciens testaments nous étaient racontés sont devenus notre présent et notre histoire nous éclabousse.

La parole est passée, le nouvel évangile est écrit. "On" ne sait pas encore qui sont les apôtres et comment le récit sera transmis, quelle ferveur immense l’animera mais les victimes, les lâches, les soldats et les héros sont désignés. Il nous reste à savoir qui est qui. "On" nous montre des avions bombardant le Soudan après nous avoir montré un vieil homme donner son sang. "On" nous demande de ne pas tout confondre alors même qu’ "on" nous avoue qu’il n’y a plus de GENTILS. "On" nous dit que nous sommes tous des ENFANTS qu’il faut soigner contre le MAL et "on" nous rappelle de penser aux adolescents et à leur participation sensible à notre monde. A la fin de nos émissions les génériques sont succincts, les auteurs... tout le monde s’en moque, tout le monde a honte du packaging sans lequel " on " ne voit rien ; et une adolescente, encore, banalement, remarque la ressemblance de notre extermination avec un jeu vidéo interdit. Comme certains croient à la vie, les tueurs croient à un dieu. La logique aurait-elle été religieusement humaine qu’ils l’auraient tout de même écartée. L’oeil du monde est grand ouvert et un tableau souiri que j’ai offert à un ami américain il y a quelques mois me revient en mémoire. " On " y voit un oeil fauve, écorché et paralysé en une ouverture béante embrasser un chaos de liquides, de boues, de biles et de sangs. La foi préconisée par des aveugles induit que l’"on" devienne des kamikazes de l’esprit. "On" est encore une fois dans la situation insoutenable ou l’ "on" doit jeter contre une tour pleine de solitaires notre identité fondamentale, notre seule appartenance indubitable : l’humanité. Chacun d’entre nous a un fusil sur la tempe et doit auto-détruire sa vision, son doudou, de la vie. Les milliers de morts sous les décombres sont autant d’éclats d’âmes suicidées. "On" est tous des américains. Et les américains sont abominablement meurtris. Comment puis-je dire que ces américains sont humains et qu’un carnage les démolit ? Qui entend avec moi qu’ « on" nous dit que l’humain est pourri ? Les uns s’acharnent contre cette fatalité, les autres désespèrent de ne pouvoir s’en laver les mains, certains œuvrent dans le silence et d’autres ne font plus aucun bruit. Mais partout "on" se rend compte qu’ " on " arrache notre espérance, partout "on" a peur de la furie des armes et tous hormis les morts "on" dessine le mot guerre. "On" pleure, "on" rit jaune, "on" creuse, "on" se tait. "On" débat, "on" rassure, "on" combat, "on" inquiète. "On" assure de son soutient, de son unité, de sa force et "on" se déclare innocent. " On " cherche un bouc-lier émissaire, un couvercle à cette maladie. "On" est tous américains, "on" a tous des tas d’excuses. "On" demande tous pardon et cet ON qui me hante chaque matin depuis trois nuits me ressemble, te ressemble, leur ressemble, nous ressemble ; je ne l’avais jamais vu dans un miroir, et il me dit pourtant qu’il n’y a plus d’aujourd’hui.

Merci

 
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Notes

[*Les articles présentés comme des tribunes n’engagent pas nécessairement la responsabilité d’Acrimed

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