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Mercato 2021 : la stratégie du chaos

par Thibault Roques,

On n’en finirait pas de recenser les mouvements impétueux et (im)prévisibles des journalistes en vue survenus pendant l’été. Certains salueront l’incroyable plasticité du champ médiatique, prêt à accueillir partout et tout le temps les commentateurs les plus chevronnés comme les éditorialistes les plus roués. D’autres retiendront que ce jeu de chaises musicales contribue surtout à éroder un peu plus la confiance dans les médias : que peut-on encore escompter d’un univers où les hérauts médiatiques paraissent plus que jamais interchangeables ? Quels enseignements tirer de ce tourbillon sans rime ni raison ? Retour sur les mouvements les plus marquants – départs fracassants, arrivées tonitruantes et recrues pleines d’audace – du dernier ballet médiatique estival.

Europe 1, la fuite des cerveaux ?


Après le grand ménage opéré sur Europe 1 à la veille de l’été, nul ne peut plus ignorer l’emprise de Vincent Bolloré sur les grands médias. Exit, donc, Patrick Cohen et le rendez-vous quotidien, « Europe Midi », qu’il animait depuis un an. Et retour à Radio France mais cette fois-ci sur France Culture, à la tête de l’émission dominicale « Esprit public » après ses années de matinalier à France Inter. Ajoutons que pour les inconditionnels de notre modeste « producteur de vérité », il sera plus que jamais présent dans « C à vous », avec un temps d’antenne accru, ainsi que sur France 2, pour des « mises au point sur l’actualité du moment » dans le 20h du week-end.

Comme lui, Thomas Sotto s’accommode fort bien des va-et-vient entre le service public et les médias privés puisqu’il anime désormais quotidiennement « Télématin » sur France 2 et chaque dimanche « Hors Pistes » sur France Inter après des passages remarqués par BFM-TV, Europe 1, M6 et RTL notamment.

Année électorale oblige, les médias ont redoublé d’efforts et d’idées pour mettre la politique et les politiques à l’honneur. Ils ont naturellement cru bon d’attirer le meilleur d’entre eux : Manuel Valls. Riche idée en effet que de miser sur cet éternel revenant revenu de tout, afin que chacun profite de la justesse de ses analyses chaque semaine tant sur RMC face à Apolline de Malherbe que sur BFM-TV où il débattra face à… Alain Duhamel. Un cocktail de nouveauté, d’originalité et d’impertinence à ne pas rater.

Pour les amateurs de valeurs sûres, Yves Calvi sera toujours là. Après s’être démultiplié à la télévision et à la radio, il officiera désormais sur BFM-TV et proposera une double dose de poil à gratter et d’expertise dans sa nouvelle émission au titre suggestif « Calvi 3D ».

Natacha Polony sera également de la fête sur la chaîne d’information en continu : Marianne devient « partenaire » de l’émission dominicale « BFM Politique » et sa directrice présente désormais « Polonews », émission vespérale destinée à concurrencer CNews à « L’heure des Pros ». Après « Polonium » et « Polony TV », la journaliste a décidément de la ressource. De quoi oublier ses déboires à Marianne, où une motion de défiance a récemment été votée contre elle… à moins qu’elle ne compte sur le service public pour se relancer ; car en bonne éditocrate, elle passe allègrement du public au privé, de la télé à la radio sans oublier la presse écrite. Manifestement dotée d’un sens aigu du (dé)placement, elle aurait eu tort de ne pas profiter des largesses de France Inter, qui semble avoir définitivement perdu sa boussole.


Sur France Inter, de l’audace, encore de l’audace…


La radio de service public nous avait certes réservé quelques surprises ces dernières années, par exemple en recrutant un Nagui animant déjà plusieurs émissions sur France 2, après avoir été au cœur de l’affaire des animateurs-producteurs à France Télévisions ; avant cela, en nommant à sa tête un Philippe Val, dont le « management » lorgnait plus vers le sarkozysme que le progressisme. Aujourd’hui, Inter n’a plus froid aux yeux et « ose » l’arrivée, en lieu et place d’une chronique « environnement », d’un panel de chroniqueurs pour le moins inattendu. La manœuvre a fait grand bruit et permet de rompre – enfin ! – avec tous les archaïsmes et les missions rétrogrades liés à une grande chaîne de service public. Ainsi, ils sont désormais cinq à égayer nos réveils : l’omniprésente Natacha Polony, susmentionnée ; Alexandre Devecchio, rédacteur en chef adjoint au Figaro et en charge de sa déclinaison extrême droitière « Figarovox » ; Étienne Gernelle, patron du Point ayant également son rond de serviette sur BFM-TV comme sur LCI ; Cécile Duflot, ancienne ministre du Logement aujourd’hui directrice générale de l’ONG Oxfam, peut-être en mal de visibilité médiatique ; et Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des Femmes.

Ces chassés-croisés et autres parachutages semblent obéir à une logique qui s’impose à tous les acteurs du microcosme médiatique : qu’importe la ligne éditoriale, pourvu qu’ils aient des postes. Car France Inter, décidément très en verve en cette rentrée, a redoublé d’audace : elle a aussi fait appel pour le « 5-7 » aux services d’Hubert Coudurier, certes moins en vue que nos cinq fantastiques du « 7-9 », mais dont la famille dirige Le Télégramme depuis quatre générations et auteur d’un opus élogieux… du quinquennat Sarkozy.


***


À l’heure de la confusion généralisée, le marché des transferts nous a encore offert cette année quelques belles illustrations de ces mouvements intempestifs qui déplacent les lignes sans rien changer aux jeux médiatiques et à leur inconséquence… si ce n’est en la renforçant. Comment s’étonner que la suspicion à l’endroit des médias et de ceux qui les font ne cesse de croître quand grenouillent dans les eaux sales du petit bassin médiatique toujours les mêmes, apparemment insubmersibles, pareils à de simples marques déclinées sur des supports toujours plus nombreux ? Au péril du pluralisme et de l’enquête journalistique, les mercenaires du commentaire ont assurément de beaux jours devant eux.


Thibault Roques

 
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