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Médias du tiers secteur : la parole est au Ravi

Né en 2003, Le Ravi, mensuel associatif de la région Paca, participe depuis bientôt quinze ans à la construction du tiers secteur dans le domaine des médias. Ses mots d’ordre : l’indépendance financière et l’enquête politique et sociale. Des choix qui, tout en lui gagnant un lectorat fidèle et croissant, faute de financement engendrent une incertitude récurrente quant à la pérennité du journal. Entretien avec un journaliste du Ravi.

Vous êtes journaliste au Ravi, pouvez-vous nous présenter votre journal ?

Le Ravi est un mensuel d’information de la région Paca, qui existe également en ligne. C’est un journal associatif, c’est-à-dire que, concrètement, nous sommes édités par une association loi 1901, La Tchatche, dédiée à l’économie sociale et solidaire. Et c’est un journal indépendant. Indépendant parce que nous n’avons pas de propriétaire, nous sommes une association ; parce que nous ne nous finançons pas par la pub, donc pas de dépendance aux annonceurs ; enfin, même si nous revendiquons des idées et un positionnement politiques, nous ne sommes d’aucun parti, ce qui nous laisse là aussi plus de liberté dans le traitement de certains sujets.

Le Ravi défend également une certaine conception du journalisme et de l’info : faire de l’enquête, en croisant les sources, les témoignages. Investiguer pour Le Ravi, ce n’est pas seulement décrire des affaires, c’est décrypter le fonctionnement de la vie locale dans tous ses aspects. Enfin, on cherche à faire entendre d’autres voix, d’autres préoccupations. Celles de toutes les personnes qui inventent de nouvelles pratiques, de nouvelles solidarités et qu’on n’entend jamais.



Qu’est-ce qui a motivé la création du journal ?

Il a été fondé en 2003 par des sociologues et urbanistes qui travaillaient sur la question du logement et de la ville, de l’aménagement du territoire, et qui avaient constaté un déficit du traitement médiatique de ces sujets : soit qu’ils n’étaient pas traités du tout, soit qu’ils ne l’étaient pas de façon satisfaisante [1]. Par ailleurs, à cette époque, la vie politique était vraiment en berne en Paca, et Le Ravi avait envie de faire bouger tout ça. Et le gros de notre travail est effectivement en lien avec les problèmes de la vie politique en Paca (l’affairisme, le clientélisme, les conflits d’intérêt…). Ces problèmes ne sont pas spécifiques à la région, ils polluent tout l’Hexagone, mais ici ils sont plus visibles, et peut-être plus anciens. Du système Deferre au système Guérini en passant par Gaudin, on retrouve les mêmes dysfonctionnements. En plus, Paca est une région pilote en ce qui concerne le FN et ses déclinaisons. Les premières mairies extrême droite, c’était en Paca. Et on sait bien qu’une des premières causes du vote FN c’est la défiance envers le système politique.

Il fallait redonner du sens à la vie démocratique et relayer toutes les initiatives qui s’y employaient. Donc on traque les failles, les mensonges, d’où qu’ils viennent. Par exemple on a enquêté sur les dessous du système Guérini et on suit de près les mairies FN. On participe aussi à la vie politique partisane : certains de nos articles ont fait du bruit et sont repris par l’opposition de gauche. Enfin on donne des clés pour comprendre les rouages de l’exercice du pouvoir, notamment avec la rubrique « Contrôle technique de la démocratie » [2] ou avec des articles comme « Un maire, à quoi ça sert ? ».



Vous êtes un média « citoyen », qu’est-ce que ça signifie exactement ?

On n’a pas envie d’être déconnectés de la vie publique, de la vie des citoyens, on veut aussi être acteur de la vie de la région. En relayant par exemple les initiatives que l’on trouve intéressantes, en leur ouvrant nos pages ou en s’y associant. En décembre dernier, on a publié un reportage sur le travail mené par les Kaps [3] dans la cité Air Bel, dans les quartiers nord de Marseille, et on a participé à Alternatiba, en juin dernier. Ce qui ne nous empêche pas de questionner aussi ceux qui nous soutiennent et de garder un regard critique, d’en pointer les limites, comme nous l’avons fait avec Anticor, une association anticorruption. On intervient également en milieu scolaire et on participe à des initiatives d’éducation populaire : on travaille sur ce que sont ou ce que devraient être les médias, ce qu’est le travail des journalistes, sur le décryptage de l’information, sur le journalisme participatif. Par exemple, on a travaillé avec des mamans du 15e arrondissement qui voulaient créer un journal sur leur quartier. Avec elles, on a travaillé sur ce qu’est un angle, sur l’écriture journalistique, etc.

En donnant aussi la parole aux hommes et aux femmes qui n’ont jamais la possibilité de s’exprimer dans les médias. Par exemple, avant la présidentielle de 2012, on avait demandé à plusieurs personnes aux caractéristiques totalement différentes (âge, sexe, profession, opinion politique) ce qu’ils feraient s’ils étaient président. En organisant enfin des débats ou en s’y associant : ces derniers mois, évidemment, on s’est beaucoup mobilisés sur le FN et l’extrême droite en général, mais il y en a eu sur l’école et les activités périscolaires, sur le logement…



Quel est votre lectorat ? Sur le plan politique, comment se situe-t-il ?

On n’a pas de données exactes, mais on a quelques éléments. Par le biais des points de distribution, on sait que 50 % de nos ventes se font sur les Bouches-du-Rhône, dont une bonne partie sur Marseille. Par les abonnements, on sait également que notre lectorat couvre toutes les classes d’âge. Et sur le plan politique, les lecteurs viennent de tous les horizons. Par exemple on est suivis par les élus, quel que soit le bord. Un questionnaire est d’ailleurs en cours d’élaboration justement pour connaître un peu mieux notre lectorat.



Quels liens avez-vous avec les autres médias associatifs ?

Nous fonctionnons non pas sur un mode concurrentiel, comme le font généralement les médias traditionnels, mais sur un mode coopératif. On travaille avec Marsactu et Radio Grenouille, une radio associative marseillaise : Marsactu s’exprime dans nos pages, et nous tenons une chronique mensuelle sur Radio Grenouille. Nous pouvons également mener des enquêtes communes.



Vous faites partie de l’association des Médias Citoyens en Paca et de la Coordination permanente des médias libres. Pouvez-nous nous en dire plus sur ces deux associations ?

Ces deux associations sont nées des difficultés rencontrées par les médias libres, financières notamment. Elles reflètent aussi l’essor de ces médias, de plus en plus nombreux.

La Coordination, créée au printemps 2014, regroupe les médias « pas pareils », c’est-à-dire des médias qui prônent une autre information que celle des médias dominants publics ou à vocation commerciale, des médias qui fonctionnent donc sur un modèle non commercial. Elle se veut un instrument permettant au tiers secteur d’exister, par l’échange d’expériences, la mise en commun de moyens et d’actions. Elle réfléchit aussi à d’autres façons d’informer et de s’informer, par le journalisme collaboratif par exemple. Enfin elle réfléchit à des pistes juridiques comme une réforme des aides à la presse.

Médias Citoyens est plus un site d’information qui reproduit les enquêtes et reportages des médias libres, en Paca mais aussi sur toute la France et à l’étranger. Les infos ne concernent pas forcément le monde de la presse, ce sont des infos générales.

Faire partie de ces associations, c’est important. Parce que c’est une façon de s’inscrire dans le mouvement des médias libres, de se revendiquer comme tel et en même temps de leur donner du poids et de la visibilité. Également parce que c’est en mutualisant nos moyens, nos expériences, nos difficultés que nous nous en sortirons. Comme je l’ai dit précédemment, nous ne sommes pas dans une logique de concurrence, mais de collaboration.



En termes d’emploi, comment fonctionnez-vous ? Avec des salariés, des bénévoles ?

Au départ, Le Ravi ne reposait que sur le bénévolat. Mais, pour s’inscrire dans la durée, on ne peut pas fonctionner que sur le bénévolat et dépendre de la bonne volonté des uns et des autres. Alors, petit à petit, des journalistes ont été embauchés. Ces embauches répondaient à un double objectif. D’une part le besoin de se professionnaliser et d’assurer un traitement de l’info plus journalistique, réalisé par des personnes maîtrisant les techniques et les canons de l’écriture et de l’enquête journalistiques, et ayant une certaine expérience aussi. D’autre part, parce que c’est normal d’être payé quand on travaille. La plupart des journalistes sont embauchés, mais on doit jongler entre CDI temps plein, CDI à temps partiel, contrats aidés. On essaie aussi de dégager un budget piges. Par contre, tout ce qui relève de l’administratif repose toujours sur le bénévolat. C’est une des grosses difficultés qu’on rencontre : concilier la volonté de rester dans les clous au niveau du droit du travail et les problèmes financiers. Mais rester dans les clous est une priorité : on ne peut pas dénoncer les agissements des patrons et se comporter in fine de la même façon.



Justement, si vous n’êtes pas financés par la pub, quelles sont vos ressources financières ?

On a deux sources principales de financement. D’abord par les ventes, en kiosque et par abonnements, qui représentent de 40 à 50 % de nos ressources. Et on est aussi financés par la pub institutionnelle : on publie des pubs pour les expositions du Mucem (musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée) par exemple ou pour les cartes de transport pour les étudiants. À la création du Ravi, il y a eu tout un débat sur le financement par la pub, même institutionnelle.



Des aides publiques ?

Oui, des collectivités locales et, depuis les attentats à Charlie, une aide de l’État. Sur le plan local, le conseil régional a créé une ligne budgétaire consacrée aux médias associatifs et à l’aide à leur fonctionnement. Mais cette aide n’est pas pérenne et avec le changement de majorité en Paca elle risque de passer à la trappe. On a aussi des aides par le biais de nos interventions en milieu scolaire, dans le cadre de la semaine de la presse et des médias notamment.

Quant aux aides de l’État, le ministère de la Culture et de la Communication, à la suite des attentats contre Charlie Hebdo donc, a créé un Fonds de soutien aux médias dits de proximité ou citoyens. Il s’agissait de soutenir les médias alternatifs et citoyens à faibles ressources publicitaires. Pour en bénéficier, les candidats doivent déposer un projet auprès des Drac (direction régionale des affaires culturelles), qui se chargent de valider ou pas le projet en question. Le problème, c’est que l’enveloppe est très réduite, un million d’euros pour tout le territoire français. Pour donner un ordre d’idée, en Paca, sur une centaine de projets neuf candidats ont été retenus dont Le Ravi. Et là se pose encore un autre problème : avec le remaniement ministériel et le changement de direction au ministère de la Culture, on ne sait pas si le Fonds va être maintenu. On attend…



Vous ne disposez pas des aides à la presse à faibles recettes publicitaires, pour quelles raisons ?

Ces aides sont conditionnées par la couverture géographique. Il faut que le journal couvre le territoire national. Or Le Ravi est un mensuel local. On ne rentre dans aucune des cases du dispositif d’aides au maintien du pluralisme.



À la fin de 2014 vous avez été mis en redressement judiciaire, que s’est-il passé ?

On a eu effectivement des difficultés financières, dues à plusieurs facteurs, et ce malgré une progression constante des ventes. On a d’abord dû faire face à une baisse conséquente des subventions : en 2014 les aides du conseil régional ont baissé de 44 % et celles du conseil général des Bouches-du-Rhône de 89 % ! Si les premières sont sans doute la conséquence de la rigueur budgétaire imposée à toutes les administrations, les secondes ont sûrement un rapport direct avec nos enquêtes sur Jean-Noël Guérini, alors président du conseil général…

Parallèlement à ces baisses, le fait d’avoir fait le choix de garder les salariés a pesé sur le budget. Les dettes se sont accumulées et il a fallu alors se demander ce qu’on faisait : liquider ou se redresser. On a choisi la seconde option, qu’on est allés défendre devant le tribunal de grande instance, qui a estimé que le redressement n’était pas impossible. Et on a eu un an pour apurer les comptes.



Vous en êtes où ?

On est plus dans le rouge, et c’est grâce à nos lecteurs. C’est à eux qu’on a fait appel. On a relancé les campagnes d’abonnement et on a créé une Association des amis du Ravi, une association des lecteurs et lectrices qui promeut le journal dans le cadre d’événements du type débats, réunions publiques, concerts, festivals, etc. On s’est également tournés vers les associations militantes (dont Acrimed) et les organes de presse, qui nous ont soutenus soit financièrement, soit en parlant de nous, de notre travail et de nos difficultés.

Nous avons réussi à apurer les comptes et ne sommes donc plus sous tutelle judiciaire.

Alors, non, nous ne sommes pas morts, contrairement à ce que disait l’historien des médias Patrick Eveno dans une matinale de France Info au sujet de la presse satirique [4]. Mais tous les problèmes ne sont pas réglés pour autant : l’incertitude quant aux aides publiques plane toujours.



Qu’est-ce qui permettrait de vous mettre définitivement à l’abri de ces problèmes financiers ?

Une refonte des aides à la presse en premier lieu, qui favorisent actuellement les groupes industriels privés. La révision aussi du système de distribution et des aides à la diffusion dans les kiosques, qui connaissent également de grosses difficultés. A plus long terme, c’est la répartition globale du spectre médiatique entre les secteurs public, privé et associatif qui est à revoir, ce qui implique nécessairement de légiférer contre la concentration capitalistique dans les médias.



Propos recueillis par Sophie Muret.

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

Notes

[1Sur l’état de la presse quotidienne régionale en Paca, nous renvoyons à notre article publié en novembre 2012 voir notre article, qui reprenait une partie de la « Grosse enquête » du Ravi sur ce sujet (l’intégralité de cette enquête est présentée à la fin de l’article). Depuis, Hersant a revendu la totalité de ses acquisitions en Paca (La Provence, le groupe Nice-Matin). Aujourd’hui, La Provence et Corse-Matin appartiennent à Bernard Tapie, tandis que Nice-Matin se cherche désespérément un repreneur.

[2Tous les mois, Le Ravi s’invite dans les débats d’un conseil municipal de la région Paca, et y teste l’exercice de la démocratie parlementaire.

[3Créée en 2012, cette plateforme regroupe 85 associations, des syndicats lycéens et étudiants, des partis politiques et des mouvements d’éducation populaire.

[4Immédiatement contacté par la rédaction du Ravi, M. Eveno s’est tout de suite excusé de l’erreur commise, excuses que le journal a mises en ligne. En revanche, France Info, également contacté par le journal, n’a toujours pas jugé bon de démentir…

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