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Macronmania au Monde

par Pauline Perrenot,

Après le « caméléon capable comme l’eau d’épouser les obstacles » de La Provence, après le Président qui « lit tous les tableaux Excel de toutes les prévisions de toute l’administration » de Franceinfo, après « "Emmanuel le Rassurant" », « pacificateur en chef » et « gardien de la démocratie » de L’Obs, voici venu le « capitaine Tempête », « protecteur de la Nation ». Signé Le Monde.

Pour donner le ton, une « grande signature » du quotidien « de référence », l’éditorialiste et journaliste politique Françoise Fressoz, s’impose ; ici, sa chronique du 15 mars :



Pour ce qui est de la complaisance déconcertante avec laquelle les éditorialistes font campagne, cela rend le moment non pas inédit, mais effectivement vertigineux. Non pas inédit, car Le Monde récidive dans sa « couverture docile sinon stupéfiante » de 2016 et 2017, période à laquelle Françoise Fressoz, en particulier, consacrait près de la moitié de ses chroniques à Emmanuel Macron [1], louant tantôt un « énarque pétri de philosophie », tantôt « une tête bien faite », sans oublier le « flibustier », « préoccupé de justice sociale et désireux de vaincre cette "fatigue des démocraties" ». Perspicace !

Et si Françoise Fressoz est prise de vertiges devant l’entrée en campagne d’Emmanuel Macron, nous n’en sommes pas moins éberlués par tant de déférence à l’égard du président. Porte-parole autoproclamée du pays tout entier, Françoise Fressoz n’a rien perdu de sa verve laudatrice :

- Au terme de cinq ans de présidence, Emmanuel Macron est devenu le « capitaine Tempête ». Le pays sort de son quinquennat tellement secoué par les multiples crises traversées, il reste si inquiet sur son avenir, qu’il n’est plus temps de lui promettre la rupture ou la lune. Il faut, au contraire, le rassurer, sur un terreau politique devenu éminemment fragile.

- Le conflit en Ukraine a naturellement transformé [Emmanuel Macron] en protecteur de la nation.

- À ce stade, la campagne valide l’intuition de départ selon laquelle le principal affrontement se joue désormais entre progressistes et nationalistes. [...] Le fait notable est qu’Emmanuel Macron n’a pas besoin de forcer son jeu pour renforcer le camp progressiste et y assurer sa suprématie. Son engagement européen, à la lumière du drame ukrainien, parle pour lui.

- Le fait est que personne n’est aujourd’hui en mesure de lui disputer le leadership, ni même simplement le partage du pouvoir.


Si maquiller des arbitrages politiques en vérités de fait est (en principe) le propre des éditorialistes et autres prescripteurs d’opinion, la démarche a semblé inspirer le reste de la rédaction. En témoigne cette sélection d’articles, publiés à seulement trois jours d’intervalle, entre le 16 et le 18 mars sur le site du Monde :



Ce ne sont là que des titres ? Des titres ironiques, peut-être ? Hélas, si Le Monde sait faire dans la caricature à ses dépens, il ne pratique guère la satire.

Exemple dans cet article du 17 mars, « Emmanuel Macron en surplomb dans une campagne brouillée par la peur ». À l’instar de la majorité de ses consœurs et confrères, une journaliste du service politique fait passer ses « impressions » pour des vérités générales. Par chance, il se trouve que celles-ci coïncident avec la communication présidentielle :

À l’heure où plane la menace nucléaire, l’actualité liée à l’élection présidentielle, qui doit se tenir en avril, a pris les allures d’un combat presque déplacé, dérisoire. Les Français se préoccupent du scrutin. Mais entre deux images d’immeubles éventrés et d’enfants ensanglantés, ils cherchent un homme d’État, plus qu’un candidat. Un personnage qui […] sera la « pièce maîtresse » d’un dispositif censé garantir la paix.

Est-il nécessaire de citer la suite ? Il en va de notre exigence déontologique :

Dans ce contexte, Emmanuel Macron dispose d’un avantage indéniable. Il rassure. Les Français voient le président tenter de négocier un cessez-le-feu avec M. Poutine, pousser les Européens à sanctionner le belligérant et s’efforcer de bâtir une Europe de la défense. Ils imaginent aujourd’hui le candidat poursuivre le travail. Dans cette campagne éclair où le programme du favori devait être dévoilé lors d’une conférence de presse, jeudi 17 mars, les électeurs seront tentés de choisir un homme qu’ils jugent protecteur plus qu’un projet.


Le Monde, en tout cas, aura fortement incité à cette série de « jugements ». Car dans les pages du quotidien, le tampon « Président protecteur » est appliqué par décalcomanie… jusqu’au vertige ! En l’occurrence, un article du communicant en chef de l’Élysée, Alexandre Lemarié, intitulé « Emmanuel Macron rend hommage à "la solidarité très concrète des Français" envers les réfugiés ukrainiens » (15/03). Un reportage tellement « embarqué » qu’il vire à la fusion :

Au côté de son enfant, une femme raconte son périple au chef de l’État. Son mari et sa mère sont restés en Ukraine. « Vous avez des nouvelles ? », demande M. Macron. « Non, je m’inquiète beaucoup pour eux », répond-elle en pleurant. Dans la foulée, une autre femme lui explique « avoir peur » pour ses parents et sa sœur, qui vivent toujours à Kiev, en passe d’être encerclée par l’armée russe. Après avoir tenté de les consoler, comme il le pouvait, le président de la République se retrouve confronté au récit de trois petits garçons. « Mon père est à Kiev, il combat », dit l’un, âgé de 6 ans, avant d’éclater en sanglots, expliquant être sans nouvelles de lui. « Ton père se bat pour que ton pays soit libre. Nous, on va tout faire pour faire arrêter cette guerre », tente de le rassurer M. Macron, accompagné des ministres Gérald Darmanin (intérieur) et Marlène Schiappa (citoyenneté).



Les réalisateurs d’un futur OSS 117 tiennent une partie du script. Et ce n’est là que le début, le journaliste évoquant le « profil empathique » et « humaniste » du Président, et arguant d’un « changement de ton radical […] à l’issue d’un quinquennat où le chef de l’État a oscillé entre fermeté et ouverture au sujet de l’accueil des étrangers ». De l’enfer des centres de rétention administrative (CRA) à la traque et la répression policière des exilés en passant par la loi asile-immigration, le refus d’accueillir l’Aquarius ou le fameux « délit de solidarité » contre Cédric Herrou – pour ne citer que quelques exemples –, il semble que « l’oscillateur » soit plutôt resté bloqué sur l’un des deux pôles du « en même temps »…

Même auteur, même suivisme trois jours plus tard, au moment de rendre compte du programme Macron (18/03), Alexandre Lemarié continue de coller aux communicants pour mettre en avant l’« hésitation stratégique » du Président :

Entre la tentation de formuler des propositions audacieuses, afin de ne pas tourner le dos à son ardeur réformatrice de 2017 ; et le souci de jouer la stabilité pour ne pas brusquer les Français. Au final, il tente de coller au mieux à l’humeur du pays. Après un quinquennat de crises, marqué par les « gilets jaunes », la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine, celui qui promettait la « révolution » en 2017 se pose désormais comme un président protecteur, qui sait s’adapter et tenir le gouvernail dans les tempêtes.

Ce genre de mises en récit énamourées sont légion, où s’emboîtent les angles morts, les sources à sens unique et les partis pris prétendant simplement « décrypter » la communication politique.

Terminons en abordant deux des articles économiques cités plus haut. « Pouvoir d’achat : le bilan gagnant d’Emmanuel Macron » titre le quotidien de référence (17/03) à l’heure de rendre compte d’une étude de l’OFCE parue le jour-même. Un choix éditorial particulièrement déroutant au vu de l’article, dans lequel Le Monde tempère ses ardeurs en mentionnant de fortes inégalités dans la population. Des nuances au demeurant fort timides, notamment lorsque l’on se penche sur d’autres exposés journalistiques, nettement moins complaisants, de l’étude de l’OFCE. À La Tribune, par exemple, où la rédaction met en avant une analyse « pas vue » dans Le Monde : « Près de 2 millions de personnes parmi les plus pauvres ont vu leur revenu baisser au cours du quinquennat. À l’opposé, les plus riches ont vu leur revenu grimper en flèche après les différentes réformes favorables à la fiscalité du capital […]. En moyenne, les 5% les plus modestes ont enregistré un gain de pouvoir d’achat de 65 euros mais derrière ce chiffre des inégalités persistent. "Plus de la moitié (56%) des 5% les pauvres ont perdu du niveau de vie à cause de certaines mesures socio-fiscales", souligne Pierre Madec. Ce qui signifie que près de deux millions (1,9 million) de personnes auraient perdu 280 euros chaque année. C’est d’ailleurs la seule catégorie sur les 20 où il y a une majorité de perdants. » De là un choix de titre plus fidèle à la réalité des prix :



Mêmes pratiques, mêmes biais à l’heure de rendre compte de « la situation de l’emploi » (autre versant de l’étude), dont Le Monde affirme en gros titre, sans pincette, dans un second article, qu’elle « s’est nettement améliorée sous le quinquennat Macron ». Mais pour qui ? quels emplois ? et à quel prix ? Là encore, des pratiques journalistiques moins caricaturales – incluant par exemple une diversité des sources et des approches – aurait pu conduire la rédaction à davantage de « prudence ». Sans aller jusqu’à suggérer la lecture de Mediapart [2], la rédaction devrait sans doute se pencher sur… ses propres collègues « décodeurs ».


***


Évidemment, l’intégralité de la production éditoriale du Monde autour d’Emmanuel Macron ne peut se résumer à ces (trop nombreux) exemples. De ci de là, des enquêtes paraissent – sur les cabinets de conseil, « machine installée au cœur de l’État », sur le lobby du vin [3] – ; des tribunes (non la rédaction) tonnent contre le projet en gestation de la retraite à 65 ans ; un éditorial bien timide regrette que « le président sortant cède à la facilité en préférant s’aligner sur les positions traditionnelles de la droite » en matière de droits de succession – y voyant là, non un ADN, mais un « manqu[e] de courage » !

Mais de la couverture « événementielle » de la campagne d’Emmanuel Macron à l’analyse de son bilan en passant par celle de son futur projet, le journalisme politique du Monde se caractérise par un suivisme (engagé) vis-à-vis de la communication présidentielle. Logiciel libéral en sous et surtexte, angles morts, prescription d’opinions et récits propagandistes portant au pinacle le « protecteur de la Nation »… la débâcle du journalisme n’est certes pas systématique, mais la révérence du « quotidien de référence » – excédant de loin la pratique des seuls éditorialistes ou « journalistes en charge de l’Élysée » – est tout à fait vertigineuse.


Pauline Perrenot

 
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Notes

[1« En un an à peine (entre le 6 avril 2016 et le 31 mars 2017), elle a rédigé 139 articles dont presque la moitié (61) parle d’Emmanuel Macron, à l’exclusion ou non d’autres candidats », constations-nous dans l’article précédemment cité.

[3Voir, par exemple, les deux enquêtes de Stéphane Horel à ce sujet (21/03) : « Une lobbyiste du vin au cœur du quinquennat et de la campagne électorale d’Emmanuel Macron » et « Les années Macron, un quinquennat rêvé pour le secteur alcoolier ».

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