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France Culture

Lettre ouverte à Agnès Varda

Dans une lettre ouverte, les professionnels CGT qui concourent à la fabrication des émissions de France Culture s’inquiètent de la porte ouverte à la privatisation de la production d’émissions que constitue le précédent de l’émission réalisée en externe par Agnès Varda. Cette lettre ouverte n’a été publiée ni par Le Monde, ni par Libération, ni par Télérama dont pourra lire ici la réponse : un bijou « de gauche ».

Lettre ouverte à Agnès Varda

Madame, parce que nous respectons votre oeuvre, il nous semble nécessaire de vous expliquer les raisons de la réaction des personnels de France Culture à l’encontre de la diffusion de l’« À voix nue » [1] qui vous a été consacrée. Nous ne savons pas quels engagements ont été pris avec vous, ni dans quel cadre, mais nous pensons que vous comprendrez le point que nous estimons devoir faire et rendre public quant à nos métiers, particulièrement à France Culture.

À vrai dire, c’est tout Radio France qui s’inquiète de ce qu¹une série d’émissions réalisée en externe ait été diffusée sur France Culture. Pour ceux qui ignorent le cahier des charges et les engagements du service public de radio diffusion, nous rappellerons que les antennes de Radio France ne peuvent diffuser que des productions faites par des professionnels de Radio France.

Bien entendu, on peut imaginer des cas exceptionnels où l’enregistrement serait fait en externe mais, en aucun cas, la décision de le diffuser tel quel ou réalisé ne peut être prise sans l’écoute des professionnels. Nous regrettons que les compétences soient parfois méprisées et les personnels humiliés par des propos comme ceux tenus par la direction de France Culture : « Je me moque des professionnels de la profession » !

Si de telles déclarations sont mal vécues, elles ne sont rappelées ici que pour que l’on comprenne bien que des paroles aux actes il n’y a qu’un pas, qui vient d’être franchi.

C’est dans ce climat où nos métiers, ceux du son, sont méprisés et menacés que nous avons appris la diffusion de l’« À voix nue » qui vous a été confiée.

Oui les professionnels ont de bonnes raisons d’être inquiets ! Pourtant, la création sonore a de nombreuses fois été récompensée par de prestigieux prix internationaux et des professionnels se sont élevés au rang de créateurs au même titre que ceux de l’image ou d¹autres secteurs de la création artistique. L’aspect patrimonial est tout aussi important et des archives sonores uniques sont largement nourries du travail des professionnels de Radio France.

Malheureusement, depuis quelques années, la création sonore, les fictions et les émissions élaborées subissent des attaques répétées et sont en diminution pour des raisons économiques, idéologiques ou politiques.

C’est ainsi que des réalisateurs ont disparu des antennes et que, depuis trop longtemps, nous n’obtenons pas l’organisation d’un concours de réalisateur.

De plus en plus d’émissions dites de plateau (tables rondes, débats en direct ou faux direct) remplissent les grilles sans vraiment les nourrir.

Nous n’accepterons pas de devenir une tête de gondole du marché de la culture, pas plus qu’une tribune pour « chroniqueurs tout terrain » et autres sautillants du paf !

Comprenez que nous soyons sensibles et soucieux de vous informer alors que deux événements se sont produits coup sur coup en une semaine.

L’un concerne la fabrication puis les conditions de diffusion de votre « À voix nue », l’autre la fabrication d¹une fiction. Pour cette dernière, la direction de France Culture a voulu transformer de manière autoritaire et unilatérale un projet artistique, celui d’un réalisateur (hospitalisé en urgence), en simple lecture dirigée par un chargé de réalisation. Pourtant aucun impératif de diffusion ne justifiait une telle précipitation. Les personnels ont légitimement réagi et se sont fait entendre de la direction générale qui a réaffirmé les principes à l¹oeuvre à Radio France en matière de création et de diffusion.

Il est un point que nous voudrions une nouvelle fois soulever [2] : le choix réitéré de la direction de maintenir le compresseur d’antenne, dont les effets sont désastreux pour les émissions. Le son est ainsi déformé par la réduction de la dynamique du spectre sonore. Ce choix technique n’est-il pas le cheval de Troie avancé contre la création radiophonique dont le cahier des charges de France Culture défend pourtant le principe ? Les propos méprisants et désinvoltes de la directrice de France Culture tenus dans la Libre Belgique du 30/09/2002 ne sont pas de nature à nous rassurer : « Si le problème c¹est être entendu par une élite qui a des équipements professionnels qui coûtent 3 000 euros ça ne m¹intéresse pas. Qu’une poignée de personnes vienne me dire qu¹on entend moins bien à l¹arrière-plan le cui-cui d¹un oiseau, je trouve que c¹est un argument antidémocratique absolument irrecevable ».

La direction de Radio France est-elle réellement garante de nos métiers en partageant de tels choix ?

Nous espérons que nous sommes plus nombreux du côté de ceux qui savent dire « N comme non » à la mort de la création dans le service public et « V comme Vilar » [3]] pour vouloir encore l’élitaire pour tous.

Les professionnels CGT qui concourent à la fabrication des émissions.

 Une fin de non recevoir de Télérama

« J’ai bien pris connaissance de votre lettre ouverte et de vos revendications.
Je comprends vos inquiétudes même si par ailleurs je ne les partage pas. Je ne vois pas au nom de quoi, sinon du corporatisme, des émissions réalisées en externe ne pourraient être diffusées sur Radio France. Puisque les équipes internes sont comme vous le rappelez, fréquemment récompensées par des prix, puisque leurs compétences professionnelles ne sauraient être mises en doute, il convient de se demander pourquoi la direction et certains producteurs préfèrent de plus en plus passer par l’extérieur. Sans doute n’est-ce pas pure convenance personnelle... D’accord pour dénoncer (comme nous l’avons déjà fait) les effets destructeurs du compresseur d’antenne, pour être vigilant sur la qualité et le volume de la création radiophonique ; la préservation des avantages acquis relève en revanche de vos instances syndicales.

Bien à vous,

Stéphane Jarno ».

 Bref commentaire

Ainsi pour le courageux défenseur hebdomadaire du Service public, s’opposer à la réalisation en externe des émissions de France Culture (en clair : la privatisation de la réalisation) relève du « corporatisme » et Télérama n’est en rien concerné par « la préservation des avantages acquis » qui relève des « instances syndicales ». Télérama est en charge des auditeurs (qu’il traite en consommateurs) et les syndicats sont en charge des professionnels (que Télérama traite en privilégiés) : merveilleux !

 
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Notes

[1« À voix nue » : série de cinq entretiens diffusée sur cinq jours consécutifs.

[2Télérama n° 2749 « Bruits de casseroles »

[3« Varda par Agnès » Cahiers du cinéma 1994

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