« Arrêtons-nous sur la méthode du président de la République », propose Laurent Delahousse. Ça évitera de parler du fond. « Depuis son accession à l’Elysée, il a placé le volontarisme comme étendard. » Difficile de blâmer quelqu’un de volontaire — et peu importe pour quoi faire. « Certains l’envisagent comme le chef de l’entreprise France. Décryptage d’une méthode. » Par ses thuriféraires, comme nous l’allons voir.
D’abord, la journaliste rappelle : « Emmanuel Macron aime l’entreprise, il la connaît. » pas la peine de le préciser, mais il a en effet travaillé dans une entreprise, la banque Rotschild, qui travaille pour le compte d’autres entreprises (au hasard : Bouygues, Alstom…). « Et il s’en inspire en politique, cela s’entend même quand il s’adresse aux préfets. » « J’attends de vous que vous soyez des entrepreneurs de l’État, dit le président. Le mot d’entrepreneur ne se réduit pas à l’entreprise. C’est le fait de faire. » Faire quoi, au fait ? Qu’importe. Devant le Conseil d’État : « La performance ne saurait être un tabou du service public. » Quelle performance, et mesurée comment ?
La journaliste relève l’emploi par le président d’« anglicismes du monde de l’entreprise », quand il se proclame « business-friendly » ou défend le « système le plus bottom-up de la terre, la démocratie ». La start-up des start-ups, en somme. Ça fait rêver. « Le président aurait-il un côté pdg, gère-t-il l’État comme une entreprise ? » L’expert interrogé pour répondre ne risque pas de s’en plaindre. « Gilles Le Gendre, ex-entrepreneur et député de la majorité, revendique une culture du résultat au nom de l’efficacité. » Efficacité à faire quoi, mesurée comment ? Le député m’éclaire. « Une entreprise qui se transforme, elle explique qu’elle va mettre le client au centre. » Et le salarié au pas. « Nous devons nous inspirer de ça. » Puisque le privé est synonyme d’efficacité, appliquons au public les principes de concurrence, d’audit, de flexibilité, de sous-traitance, pardon, d’externalisation, pardon, d’outsourcing.
« L’objectif principal, c’est le service que la sphère publique va être capable de rendre au citoyen. » Il s’agit simplement de rationalisation. « Efficacité encore avec cette pratique inédite sous la Ve République, se réjouit la journaliste. Emmanuel Macron reçoit en tête-à-tête les futurs directeurs d’administrations comme un manager en entretien d’embauche. Une façon de s’assurer leur loyauté. » Et d’affirmer sa toute-puissance de pdg ?
« Il souhaite aussi généraliser l’évaluation, notamment des ministres », explique la journaliste. L’expert sollicité est très bien placé pour défendre l’idée, il a lui-même mis son entregent, pardon, son expérience de pdg au service de l’Etat (et vice versa). « Une mise sous pression légitime pour Thierry Breton, pdg d’Atos et ancien ministre de l’Economie. » « Emmanuel Macron a certainement appris de son passage dans l’entreprise que, si on veut réussir, il faut entraîner toute une collectivité d’hommes et de femmes et en particulier ceux qui dirigent son administration. » Il faut en faire des winners. Pourquoi ne pas installer des baby-foots et des hamacs dans les bureaux des directions ministérielles ?
« Bien sûr qu’il faut savoir évaluer les ministres par rapport aux objectifs qu’ils vont prendre », plaide Thierry Breton. Et l’action de tous les fonctionnaires, non ? Il n’y a pas de raison que le service public échappe à l’hégémonie du « computable »,comme disait Barthes, du « commensurable, marchandisable », dit le politiste Nicolas Matyjasik, qui parle aussi d’« une véritable fièvre quantophrénique » sur le site AOC (Des chiffres et des lettres : réformes actuelles et New Public Management).
« Le président a fait l’ENA, note la journaliste, il aurait pourtant pu sortir d’une école de commerce, selon ce professeur d’entrepreneuriat. » C’est un peu pareil, non ? Au rythme auquel tournent les revolving doors (le pantouflage) de nos jours, l’ENA semble devenue une super-école de commerce présentant l’avantage de pouvoir faire joujou avec les leviers de l’État — afin de favoriser l’essor du commerce. « Emmanuel Macron emporterait en politique certains codes et usages de l’entreprise et notamment plus de pragmatisme. » Ah, le pragmatisme ! Et le bon sens, aussi, n’est-ce pas ?
Le prof d’entrepreneuriat détaille. « Il approche les choses en disant : “Y a pas de politique, je suis pas idéologique.” » Rien que du pragmatisme mis au service du développement du marché, en créant des besoins ou en rognant sur les communs. « Et ça, c’est quelque chose qui est assez typique d’une école de commerce. » De ces écoles qu’une récente tribune gauchiste dans le Guardian incite à démolir. « On est là pour enseigner l’action, on apprend à agir, poursuit le entrepreneuriatologue, et on a un peu tendance à faire croire qu’il n’y a pas de politique. » Un tout petit peu. « C’est ce que Macron fait, comme un pdg. » L’enquête de France 2 s’arrête là, sans s’interroger sur les caractéristiques de l’exercice du pouvoir par un pdg, qui ne saurait être démocratique : l’entreprise peut bien être aussi bottom-up que l’on voudra, ce n’est pas une démocratie.
Samuel Gontier
Lire l’article de Samuel Gontier dans son intégralité : « Bonne nouvelle : Emmanuel Macron ne fait pas de politique ».