L’œuvre est-elle soluble dans le flux ?
Des sociétés d’auteurs au service des auteurs ou des auteurs au service des sociétés ?
Au moment ou les représentants de 35 pays se rassemblent à Paris pour proclamer que "les œuvres de l’esprit ne sauraient être réduites à leur seule dimension marchande" et où en écho le président de la République déclare : "La culture ne doit pas plier devant le commerce", pouvons nous accepter que nos sociétés, dont le capital est constitué par nos œuvres, s’apprêtent à sacrifier le droit d’auteur à la dictature mécanique des programmes de flux et se lancent dans une guerre fratricide à nos dépens ?
Sur chaque euro versé à un auteur les sociétés perçoivent en moyenne 14 centimes. C’est leur chiffre d’affaires et chacune veut "faire du chiffre". Ainsi se développe une logique d’entreprise. A l’instar de l’environnement concurrentiel et libéral dominant, chaque société veut accroître ses parts de marché au détriment de l’autre. Et les intérêts d’entreprise finissent par primer ceux des auteurs. La SACEM se bat contre la SACD pour avoir les droits de la copie privée des producteurs américains, la SACD dispute les images numériques à la SCAM, et maintenant la SCAM se bat contre tous pour faire entrer à son répertoire des produits non qualifiés d’œuvre audiovisuelle jusqu’à présent. Elle a échoué avec Loftstory . Aujourd’hui elle crée un précédent en classant Popstars comme œuvre à son répertoire.
Ces affrontements entre sociétés se font dans le dos et sur le dos des auteurs qui sont solidaires et souvent membres de plusieurs sociétés.
Le partage du gâteau
Il faut savoir que les parts de marché que se disputent les sociétés proviennent d’une somme forfaitaire globale versée annuellement par les diffuseurs à l’ensemble des sociétés regroupées dans la SDRM. Cette somme n’est pas extensible. Elle est en moyenne de l’ordre de 5,6 % des recettes des chaînes (publicité plus redevance) quel que soit le minutage global des œuvres diffusées.
Lors de leurs négociations, si une société obtient une plus grosse part, l’autre mécaniquement en obtiendra moins. Si telle société fait valoir que son minutage est plus important, cela veut dire que les auteurs des autres sociétés seront payés moins à la minute et vice versa. Nous ne voulons pas qu’on déshabille Pierre pour habiller Paul mais que les sociétés, ensemble, défendent le droit de chacun.
La destruction de la notion d’œuvre
La SCAM a trouvé un nouveau moyen d’agrandir sa part du gâteau. Non contente des chamailleries autour du répertoire existant, dans son appétit de conquête elle lance une offensive pour augmenter son chiffre d’affaires en découvrant qu’il y a un gisement de produits audiovisuels non reconnus comme œuvres qui pourrait entrer dans son répertoire et donc en augmenter le minutage. Elle a déjà commencé avec Popstars. Petit à petit on pourrait faire entrer à la SCAM les micro-trottoirs, les plateaux, les journaux télévisés, bref le flux. En modifiant son barème, tel qu’elle le proposera à l’assemblée générale exceptionnelle du 3 avril, la SCAM s’oriente vers un élargissement du répertoire aux conséquences extrêmement dangereuses pour la création, pour les auteurs et pour leurs droits.
- Si l’assemblée générale entérine ce projet et que la SCAM obtient gain de cause auprès des autres sociétés, cela se traduira par une baisse pour les auteurs de celles-ci. Mais si elles résistent, ce sont tous les auteurs de la SCAM qui verront leurs droits diminuer puisqu’il faudra distribuer la même somme pour un plus grand nombre de "produits". Nul ne connaît l’issue de cette guerre…
- Cette politique met en danger le financement des œuvres par le COSIP (Compte de soutien) réservé aux œuvres de création. Le COSIP est financé, comme le forfait des droits, par un pourcentage fixe des recettes des chaînes. Si on élargit la notion d’œuvre, c’est moins d’argent pour chaque œuvre puisque des émissions de flux en bénéficieront. Ce qui pour Popstars est déjà fait.
- Le précédent du classement de Popstars ne peut que mettre en danger la production des œuvres. La loi impose des quotas de diffusion d’œuvres originales. Si les diffuseurs peuvent faire entrer des produits lucratifs abusivement qualifiés "d’œuvres" dans leurs quotas, il n’y a plus aucune raison qu’ils programment des œuvres véritables et notamment des documentaires de création. Le CSA a reconnu Popstars comme "œuvre audiovisuelle" entrant dans les quotas de production, ce que la SCAM entérine.
-Si la SCAM s’enrichit, les auteurs d’œuvres de création, en revanche, risquent de s’appauvrir puisque leurs droits baisseront et qu’ils auront de moins en moins d’œuvres à réaliser.
Si tout est œuvre, il n’y a plus d’œuvre
Si le droit d’auteur se dissout dans le flux, on fait le lit du copyright.
Ce qui distingue le droit d’auteur du copyright c’est que le droit d’auteur est attaché inaliénablement à la personne de l’auteur alors que le copyright est attaché au produit. Pour qu’il y ait droit d’auteur, l’œuvre doit porter l’empreinte de la personnalité de son auteur. Où se trouve la personnalité des réalisateurs interchangeables de programmes de flux, quelle que soit la qualité de leur travail technique ?
Ce n’est donc pas seulement nos droits que nous devons défendre, mais aussi l’existence même de la production d’œuvres de création en France menacée par le détournement du COSIP et des quotas, que la SCAM conforte en élargissant son répertoire.
La nouvelle politique de la SCAM, qui se veut "réaliste" en s’adaptant à "l’environnement mondialisé et à la compétitivité du paysage audiovisuel" est en réalité meurtrière pour les auteurs et la création et finalement suicidaire pour nos sociétés d’auteurs.
Vous allez recevoir, ou vous avez déjà reçu, une convocation aux Assemblées générales exceptionnelle et extraordinaire de la SCAM. Pour barrer la route aux projets de la SCAM qui n’ont fait l’objet d’aucun débat démocratique préalable, nous vous invitons à signer ce texte et à participer à une assemblée générale d’information dont nous vous communiquerons la date et le lieu ultérieurement.
Pour le collectif : Luc Béraud - Patrice Chagnard - Jean-Louis Comolli - Daniel Edinger - Denis Gheerbrant - Nicolas Philibert - Claire Simon
Envoyez vos signatures au
Collectif des Auteurs-Réalisateurs pour la Défense des Œuvres
adresse postale :
C.A.R.D.O.
1, avenue Anatole-France
92110 CLICHY
ou par e- mail : c.a.r.d.o@wanadoo.fr