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Journalisme de proximité : visite guidée du quartier de Valérie Trierweiler, par Le Figaro

par Thibault Roques,

On aurait pu croire que le soufflé de « l’affaire Hollande-Gayet-Trierweiler » était bel et bien retombé. Mais c’était sans compter sur Le Figaro qui se charge du service après-vente, déterminé à nous dire tout – mais alors vraiment tout - sur les suites de cette « affaire d’État ». L’envoyé spécial du quotidien n’hésite pas à prendre tous les risques d’une enquête de terrain dans le quartier où se trouve l’appartement anciennement partagé par François Hollande et Valérie Trierweiler. Ce travail d’investigation s’apparente néanmoins au degré zéro du journalisme, politique ou autre [1]. Ou comment faire du rien, avec pas grand-chose…

Chronique choc d’un quartier chic, par le Figaro

Le titre, d’abord, laisse perplexe : « Valérie Trierweiler de retour rue Cauchy ». Qu’attendre après une entrée en matière si… explicite ? Une plongée voyeuriste de plus dans l’intimité de l’ex-première dame ? Ce qui suit est en deçà et pire à la fois : alors que tout ou presque semblait avoir été dit dans le titre, l’article, généreux, propose un reportage détaillé dans et sur la rue où réside Valérie Trierweiler…

La photo qui ouvre l’article augure (mal) de la suite puisqu’on apprend que c’est une « capture d’écran Google Maps de l’entrée du 6-8 rue Cauchy dans le XVe arrondissement de Paris. » Une façade d’immeuble, en somme, rien que de (très) banal, et une preuve irréfutable de l’absence d’un photographe du Figaro sur les lieux de l’enquête.

Mais l’analyse proprement dite ne tarde pas à arriver : «  Le couple Hollande-Trierweiler avait ses habitudes dans le quartier. Les commerçants du XVe arrondissement parisien (au métro Javel, sur le pont Mirabeau cher à Apollinaire) les voyaient faire leurs courses ensemble. Au marché de la rue Saint-Charles notamment, les mardi et vendredi matin.

Depuis le tsunami de l’affaire Hollande-Gayet-Closer, Valérie Trierweiler vit désormais seule au 5e étage de l’appartement qu’elle loue au 6-8 de la rue Cauchy. La rue donne sur le parc André-Citroën, à deux pas de la Seine. En apparence, rien n’a changé dans cette rue très tranquille. Les enfants vont toujours à la crèche (il y a d’ailleurs une épidémie de varicelle en ce moment), juste en face le domicile de l’ex-première dame. Le cordonnier, la vendeuse de bagels avec une peluche de Ratatouille (le rat cuisinier du dessin animé) en vitrine, le laboratoire d’analyses médicales, tout le monde est là et vaque à ses occupations. »

Bien sûr, le lecteur est tout heureux de connaître pêle-mêle les jours de marché dans le quartier, l’étage où l’ex-première dame habite, et bien plus encore. Cette promenade bon enfant dans le XVe arrondissement parisien n’est certes pas désagréable. Un tel luxe de détails réjouira sans doute les aspirants résidents, les riverains ou les voisins de cette partie très chic du non moins chic XVe arrondissement, ravis de reconnaître leur quartier dans leur journal préféré. Mais au-delà ?

La topographie des lieux, la varicelle qui sévit, « le cordonnier, la vendeuse de bagels avec une peluche de Ratatouille (le rat cuisinier du dessin animé) en vitrine, le laboratoire d’analyses médicales », tout cela est fort instructif. Plus loin encore, et même si l’on se doutait un petit peu que le retour de Valérie Trierweiler n’allait pas provoquer de vague de disparitions, de départs en vacances ou la cessation de toute activité dans le quartier, il est tout de même rassurant de savoir que « tout le monde est là et vaque à ses occupations. » Un peu comme au Figaro, finalement, où les journalistes d’investigation investiguent et ne nous épargnent rien de leur rigoureux et périlleux travail de terrain. Donner de sa personne à ce point et plonger dans l’actualité la plus brûlante, voilà qui réjouit au moment où il n’y a rien de vraiment roboratif dans l’actualité nationale ou internationale.

Arrivé à ce point de la lecture, l’on aurait pu croire à un certain essoufflement de la journaliste, mais elle repart de plus belle : « La devanture du marchand de journaux, le Comptoir du Parc, met bien en évidence les unes de tous les magazines parlant du couple Hollande-Trierweiler... à 20 mètres du domicile de Valérie Trierweiler. Si elle descend dans la rue, elle ne pourra pas manquer la une de Paris Match avec sa photo. Même chose pour le coiffeur, Studio 20, à 50 mètres de chez elle. Si elle avait raté un seul magazine people, un saut chez Véronique la coiffeuse lui permettra de combler son retard. » Car, oui, sachez que la coiffeuse répond au doux prénom de Véronique. Ironie de la (toute petite) histoire, celle qui, hier, travaillait pour Paris Match doit aujourd’hui affronter la douloureuse « Une » du magazine pour lequel elle fut longtemps « grand reporter ». Voilà un angle intéressant, telle était donc l’information capitale – même s’il n’était pas nécessaire d’aller jusque dans le XVe arrondissement, ni d’en passer par de fastidieuses descriptions de ses commerces de proximité pour en arriver là.

À moins que le cœur du message soit contenu dans ce qui suit : « L’équipe du Petit journal continue de tourner dans le quartier. Bangumi, sa boîte de production, a ses locaux de l’autre côté de la rue Cauchy, près du cimetière. Et Yann Barthès, cigarette au bec, passe chaque matin devant chez Valérie Trierweiler en sortant du métro pour se rendre à son bureau. » Etait-ce donc pour évoquer une improbable rencontre entre l’animateur du Petit Journal et l’ex compagne du président que cet article a été rédigé ? Ou pour nous informer que Yann Barthès 1) fume et 2) prend le métro pour se rendre sur son lieu de travail ?

Faute de grives, enfiler des perles…

Se rendant probablement compte qu’à ce stade, le lecteur exigeant reste quelque peu sur sa faim et que les « informations » recueillies jusque là ne justifient même pas le coût du ticket de métro pour se rendre sur place, la journaliste s’efforce d’approfondir le propos en faisant écho, à sa manière, aux débats qui firent rage au lendemain des « révélations » de Closer  : quid de la sécurité du président et de ses proches ? Et quid du coût de cette protection pour le contribuable ? Comme on est au Figaro et comme on n’y badine pas avec la rigueur factuelle, la journaliste tente de répondre à ces deux lourdes questions en reprenant son inventaire des us et coutumes des habitués du quartier.

Le tableau est saisissant, la description on ne peut plus minutieuse : « Les studios du Grand journal de Canal sont à une centaine de mètres, rue des Cévennes. Et les journalistes armés de micros et de caméras passent de temps en temps.

Pendant ce temps-là, la Peugeot blanche banalisée avec deux policiers en civil à l’intérieur est toujours garée devant le 6-8 de la rue Cauchy, juste en face le jardin des Cévennes (appelé le parc aux chats dans le quartier). La plaque d’immatriculation de la voiture change régulièrement. Les fonctionnaires de police se relaient par quart d’heure, sortent fumer des cigarettes dehors, vont au restaurant Le Quinzième de Cyrille Lignac pour aller aux toilettes. Mais depuis peu, certains se sont mis à la cigarette électronique et vapotent dans la Peugeot blanche.

Avant, quand François Hollande habitait dans l’immeuble, à chaque fois qu’une voiture se garait devant l’entrée de l’immeuble, les policiers sortaient illico de la Peugeot et montraient discrètement leur carte en demandant à l’outrecuidant de déguerpir. Désormais, les voitures peuvent à nouveau se garer là. Il y a même le camion Vélib’ qui y stationne pour réparer les vélos de la borne en face. La vie reprend rue Cauchy.  »

Le Figaro, Closer du néant…

Pour tous ceux qui l’ignoraient, on apprend donc « que le jardin des Cévennes est aussi ‘appelé le parc aux chats dans le quartier’ », ce dernier étant doté, outre de fonctionnaires de police (fumeurs, eux aussi !) et de restaurants (avec toilettes à l‘intérieur !), de Vélib. Bien bien bien.

La protection du plus haut personnage de l’État ne sera malheureusement pas discutée plus avant, et le débat autour de la Peugeot blanche n’aura pas lieu ; seul le ballet des voitures semble avoir retenu l’attention de notre Albert Londres du Figaro.

On en vient presque à regretter l’absence de micros-trottoirs à l’appui de cet article exemplaire à tous points de vue. Cédant à l’urgence du moment en s’efforçant de sortir de « l’information » à tout prix, même – ou surtout – quand il n’y a plus rien à dire, le quotidien de Dassault se vautre dans le journalisme de caniveau.

Sur un sujet dont la portée politique n’a jamais sauté aux yeux, ce genre d’articles où la futilité journalistique le dispute à la vacuité rédactionnelle finit sans nul doute de dépolitiser le(s) débat(s) tout en décrédibilisant la profession. Comme le dit si bien notre journaliste, « en apparence, rien n’a changé dans la rue ». Pas plus qu’au Figaro, manifestement.

Thibault Roques

 
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Notes

[1Nous avons déjà évoqué ici et la façon dont cette « affaire » et ses ramifications ont alimenté des pratiques journalistiques plus ou moins douteuses.

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