Les JO omniprésents
Nous avons donc analysé le contenu des 20h entre le 24 juillet et le 11 août [1].
Un premier constat s’impose : les JO ont été de loin le sujet le plus traité lors de la période étudiée, avec en moyenne 79% du 20h qui leur était dédié. Plus précisément le 20h de France 2 a consacré entre 68% (le 25/07) et 91% (le 11/08) de son temps aux JO.
Certes, en tant qu’événement sportif mondial, il n’est pas illogique que le 20h couvre les épreuves et leurs à-côtés. Cependant, l’omniprésence des sujets reliés aux Jeux ne peut qu’interpeller, surtout lorsque l’on sait que la programmation de France 2 hors 20h était déjà largement consacrée aux JO.
Face à cette déferlante, les autres sujets sont donc réduits à peau de chagrin. Comme l’a noté Arrêt sur images, les émeutes racistes au Royaume-Uni ont été reléguées au second plan avec seulement 2 sujets au 20h (les 5 et 8/08). La situation à Gaza a elle aussi été mise au second plan, en deuxième partie du journal. Dans ce cas, il serait cependant faux de conclure que c’est l’actualité des JO qui a éclipsé le traitement des massacres à Gaza : France 2 n’avait pas attendu les JO pour pratiquer pareille invisibilisation. De fait, le dispositif des JO renforce des tendances déjà observables dans le passé.
La rédaction du 20h aura trouvé tout de même quelques minutes pour évoquer la guerre en Ukraine, la canicule ou encore les départs en vacances (liste non exhaustive).
Des sujets interchangeables et en forme de spot publicitaire
La grande majorité des reportages consacrés aux JO se résument à des comptes rendus des épreuves du jour. Sur les 181 sujets liés aux JO, 89% traitent des épreuves sportives, des cérémonies d’ouverture et de clôture, de la vie dans le village olympique, de la ferveur des supporters ou correspondent à des interviews d’athlètes en plateau ou en duplex.
Les reportages sur les épreuves sportives consistent généralement à montrer quelques images de l’épreuve, de la remise de médailles, des supporters, le tout entrecoupé de témoignages des athlètes ou des spectateurs. Si la majorité des sujets se concentre sur une épreuve ou un athlète, certains résument en quelques minutes la journée (« Le journal des Jeux », sujet quotidien) ou un groupe d’épreuves (« Football, basket, handball : l’heure décisive » le 6/08 par exemple).
À cela s’ajoutent les reportages « L’œil des JO » qui entendent montrer les coulisses des Jeux, « la préparation physique d’une grande championne ou encore l’enthousiasme des commentateurs étrangers » d’après Anne-Sophie Lapix (29/07) : ces reportages sont découpés en plusieurs parties autour d’une image « insolite », d’un commentaire d’un journaliste étranger ou encore d’une inquiétude dans l’organisation des Jeux (comme le report des entraînements du triathlon le 29/07).
Quelques sujets moins superficiels entendent mettre en perspective cette actualité olympique. Le 20h s’est ainsi intéressé – à la marge – aux pratiques sportives dans d’autres pays : le tennis de table en Chine (1/08) et le beach volley aux États-Unis (7/08). Deux reportages sont aussi revenus sur des images marquantes d’ancien événements sportifs : le poing levé de Tommie Smith et John Carlos lors des JO de Mexico de 1968 (6/08) et Kathrine Switzer, la première femme à avoir couru le marathon de Boston (8/08). [2]
Quant aux potentielles critiques, elles ont été invisibilisées… voire moquées. « Quand je pense que certains ils disaient les Français ils ne seront pas au rendez-vous, quand je pense qu’il y a même des Parisiens qui ont même quitté Paris, franchement on peut leur dire… » s’exclame ainsi Laurent Delahousse le 28 juillet. Cette tendance n’est cependant pas surprenante. Comme l’a documenté Arrêt sur images, dans les 15 jours précédant la cérémonie d’ouverture, les reportages avec un angle critique avaient déjà été quasi inexistants. Le 20h met ainsi largement en scène les festivités des JO, une « grande fête à laquelle participent des millions de Français » selon les termes d’Anne-Sophie Lapix (29/07).
Cette absence de sujet critique va logiquement de pair avec une vision largement dépolitisée des Jeux. Les JO, pour le 20h de France 2, se réduisent à une succession d’épreuves sportives, de supporters en liesse et de remises de médailles (idéalement à des athlètes français). Les divers problèmes soulevés en amont des Jeux (prix des billets, surveillance policière, enjeux écologiques) sont ignorés. Quelques rares sujets évoquent des enjeux plus politiques. C’est le cas de la victoire du sabre par équipe féminin par les athlètes ukrainiennes, « une victoire haute en symbole » (4/08) et dont une des athlètes est qualifiée de « symbole du patriotisme ukrainien ». C’est aussi le cas des deux reportages déjà mentionnés sur Tommie Smith et John Carlos, et Kathrine Switzer. Mais hors de ces quelques rares sujets, le 20h offre une vision d’un univers olympique apolitique (et ce alors même que toute l’histoire des JO démontre leur caractère éminemment politique) [3].
Les JO principalement réduits à certains athlètes français
Dans les reportages consacrés aux athlètes et aux comptes rendus des épreuves sportives, un constat s’impose : le 20h de France 2 ne s’intéresse presque qu’aux athlètes français. Un point sur le nombre total de médailles françaises et sur la position de la France dans le classement des médailles entre nations est d’ailleurs régulièrement fait.
Ce constat mérite cependant d’être précisé. En effet, parmi les 450 athlètes que comptait la délégation française, la grande majorité n’a pas ou peu bénéficié de l’attention du 20h. Alors que nombre d’épreuves où concouraient des Français comme le rugby féminin ou le trampoline ont été purement et simplement ignorés, le JT se focalise sur les athlètes les plus connus, les plus médiatisés et de préférence médaillés, comme Teddy Riner ou bien sûr Léon Marchand, dont les exploits occupent pas moins de 40% de la durée du JT du 5 août.
Ce sont ainsi les victoires médaillées qui intéressent le plus le 20h, comme avec Lisa Barbelin (3/08), Kauli Vaast (6 et 8/08) ou les équipes de volley masculin (10/08) et de sabre masculin (1/08). À l’exception de quelques sports, le journal ne mentionnera les épreuves qu’une fois qu’elles auront permis aux athlètes français de décrocher une médaille [4]. Le cas du basket 3x3 est particulièrement illustratif de ce biais. Ignoré dans un premier temps, le passage en finale de l’équipe française masculine est mentionné entre deux sujets le 5/08 puis leur défaite en finale et leur médaille d’argent sont finalement évoquées dans un reportage le 6/08 (« Football, basket, handball : l’heure décisive »).
Quelques sujets abordent néanmoins les jeux sous l’angle de la défaite. C’est le cas pour les athlètes qui visaient l’or mais qui ont eu l’argent ou le bronze (Clarisse Agbegnenou le 30/07, Romane Dicko le 2/08). C’est aussi le cas des défaites d’équipes ou d’athlètes connus avant les JO (la défaite en demi-finale de Félix Lebrun le 2/08, la défaite de l’équipe de handball masculine en quart de finale le 7/08).
Le traitement des athlètes d’autres nations est largement minoritaire par rapport aux Français. Il pâtit, de plus, des mêmes biais que s’agissant des athlètes français : seuls bénéficient d’un sujet les superstars et les multimédaillés comme Simone Biles (30/07 et 6/08), Lebron James (1/08) ou Armand Duplantis (5/08). Les autres athlètes sont relégués à de simples mentions dans les sujets « Le journal des Jeux » et « L’œil des jeux » pour signaler un exploit, ainsi de la cinquième médaille d’or du lutteur cubain Mijain Lopez (7/08), mais aussi souvent sur le ton de l’anecdote comme pour l’engouement de l’athlète Henrik Christiansen pour les muffins au chocolat (1/08).
Ce choix éditorial de se concentrer essentiellement sur les réussites des athlètes français et les supporters en liesse n’est pas neutre. Le 20h choisit de mettre en avant un chauvinisme et une glorification des vainqueurs français et invisibilise largement d’autres problématiques qui auraient pu être abordées en lien avec les JO.
En réponse à Teddy Riner qui parlait des Français qui profitaient des JO, Laurent Delahousse s’exclame : « Et les autres on peut leur dire "cheh", comme dit ma fille ? » (28/07). Loin d’être un spectateur neutre, le 20h de France a largement mis en scène ces jeux et s’est transformé en supporter n°1. Nul besoin d’être hostile aux JO pour se demander si c’est bien le rôle d’un journal télévisé que de servir pendant un peu plus de 15 jours de service de communication à un événement sportif mondial.
Arnaud Galliere