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Guerre en Ukraine : un missile et deux journalismes

par Mathias Reymond,

Le 6 septembre, un missile est tombé en plein cœur de la ville de Kostiantynivka (Ukraine) sur la place du marché, faisant 17 morts et plus de 30 blessés. Les médias sont unanimes : le missile vient des Russes. Mais 12 jours plus tard, après une enquête approfondie, le New York Times remet en question cette version. Une illustration de ce que peut faire le journalisme : le pire comme le meilleur.

Le 6 septembre, l’AFP cite Volodymyr Zelensky : « L’artillerie des terroristes russes a tué 16 personnes dans la ville de Kostiantynivka, dans la région de Donetsk ». Aussitôt les médias reprennent à leur compte et avalisent l’information :



Sur France Culture (journal de 18h, 6/09), encore, les faits sont présentés ainsi : « Dans l’est de l’Ukraine, une attaque russe contre la ville de Kostiantynivka a fait au moins 16 morts et 30 blessés. C’est un marché qui a été touché, ainsi que plusieurs autres commerces et une pharmacie. » Le 6 septembre, toujours, chez « Quotidien » sur TMC : « Cet après-midi, l’armée russe a commis un nouveau crime de guerre ». Et si la plupart des journaux télévisés ou de radio se contentent de résumer les faits tels que décrits par le président ukrainien, LCI se perd en conjectures. Dans son émission de fin de journée (« 24h Pujadas », 6/09), David Pujadas interroge ses invités : « Que s’est-il passé ? » Et le décryptage commence, images satellite et vidéos amateur à l’appui, les « analyses militaires » succèdent aux indignations sur le plateau. Puis Pujadas conclut : « un missile imprécis et peut-être la volonté de terroriser. »

Problème : l’évidence de l’attaque russe est remise en doute douze jours plus tard par le New York Times, après une longue enquête menée par cinq journalistes. Extraits : « Les preuves recueillies et analysées par le New York Times, notamment des fragments de missiles, des images satellite, des témoignages et des publications sur les réseaux sociaux, suggèrent fortement que la frappe catastrophique était le résultat d’un missile de défense aérienne ukrainien errant tiré par un système de lancement Buk. » Ou la différence entre un journalisme qui réagit à chaud, faisant aveuglément confiance aux déclarations officielles (ukrainiennes et occidentales, en l’occurrence) et un journalisme d’enquête, qui prend le temps… d’enquêter. Hélas, c’est souvent le premier qui l’emporte sur le second, alors même que cet épisode n’est pas unique en son genre (voir par exemple le cas d’un missile tombé en Pologne, en novembre 2022).

Par ailleurs, et comme le rapporte le New York Times, le doute s’installe dès lors que « les autorités ukrainiennes [tentent] d’empêcher les journalistes du Times d’accéder aux débris du missile et à la zone d’impact immédiatement après la frappe. » Le lendemain de cette publication, le gouvernement ukrainien rejette les affirmations du journal américain, affirmant que « la vérité sera établie de manière juridique ». Cet exemple exemplaire rappelle qu’en temps de guerre, les belligérants – des deux côtés et à leur manière – usent et abusent de leur pouvoir d’information et de propagande. Et la guerre déclenchée par la Russie en envahissant l’Ukraine n’y échappe pas, les médias devraient s’en souvenir.


Mathias Reymond

 
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