Mercredi 20 septembre, veille d’un large mouvement de grèves et manifestations interprofessionnel et intersyndical, « Franceinfo junior » interroge et s’interroge : « Pourquoi des manifestations contre la réforme du Code du travail ? »
1. « C’est pas une loi sur le temps de travail, hein »
Une triple question est d’abord posée qui invite à une synthèse des enjeux de ces ordonnances : « Qu’est ce que c’est que cette loi ? Emmanuel Macron veut qu’on travaille plus ? Enfin, qu’est-ce qu’il veut faire comme loi ? »
Le journaliste, Raphaël Ebenstein, ne répond pas à la question générale, mais seulement à la deuxième question qu’il transpose à sa convenance : « Alors non. Ce n’est pas une loi sur le temps de travail, hein. Ça ça ne change pas : la durée légale en France, c’est 35 heures par semaine, mais il y a déjà beaucoup d’exceptions. »
Cette explication, parce qu’elle est destinée à une enfant (mais de fait entendue par des adultes), se présente comme une simplification, mais une simplification abusive. Rien (ou presque) n’est dit non seulement des exceptions existantes, mais surtout de la durée effective du travail négociable et modulable au niveau des branches et des entreprises et sur la durée effective des CDI fragilisés par la facilitation les ruptures conventionnelles des contrats d’embauches. Soit très exactement ce qui fait l’objet de contestations.
2. « Les Français ont voté pour lui »
La question suivante revient sur le processus des ordonnances, en demandant au journaliste s’il ne s’agit pas d’une entreprise individuelle du président de la République. Et le journaliste de répondre :
« C’est marrant parce qu’on raisonne à l’instant “T”, au jour d’aujourd’hui. Mais les ordonnances […] c’est quelque chose qui est permis par notre Constitution, notre loi fondamentale, ce qui fait qu’aujourd’hui on a une Ve République avec des règles. Ces ordonnances, elles sont autorisées, elles sont permises, elles sont à la disposition du gouvernant pour pouvoir prendre des décisions plus vite, sans passer par les députés, en sachant que les députés, eux, quand même, vont autoriser Emmanuel Macron à prendre ces décisions. Donc ça passe quand même par le Parlement mais uniquement pour autoriser à prendre les décisions. »
Pas de doute : c’est constitutionnel ! Mais c’est une procédure contestable (et contestée). Et les « décisions » soumises au Parlement, notamment pour valider les ordonnances ne permettent pas de les amender. Observer un pieux silence sur ces points peut difficilement se prévaloir des exigences de simplification pédagogique.
Il en va de même du deuxième argument :
« Ça ne vient pas de nulle part les ordonnances, on en parle maintenant, mais c’est quelque chose dont Emmanuel Macron a parlé quand il était candidat, il a dit qu’il voulait aller vite, donc ça, c’était avant le premier tour de la présidentielle. Donc c’est une décision qu’il a prise avec ses proches, décision qui l’engage puisque les Français ont voté pour lui, l’ont élu président, donc lui il estime qu’il a le droit de le faire et de fonctionner comme ça. »
Il « estime »… La nuance est d’importance ! Mais qu’« estiment » donc ceux qui ne sont pas d’accord (puisque tous ceux et celles qui ont voté pour Emmanuel Macron ne l’ont pas fait en approuvant la procédure des ordonnances et leur contenu) ?
3. Ceux qui sont « contre la loi parce qu’ils la trouvent mauvaise »
La petite fille demande alors au journaliste quelles sont les personnes qui manifestent dans la rue. Réponse in extenso :
« On trouve beaucoup de gens différents dans les manifestations, mais ce sont des gens qui sont militants dans un syndicat, surtout la CGT hein. Qu’ils travaillent dans une usine automobile, un supermarché ou à la SNCF, il y a même des retraités, des professeurs de collège, d’école, ils sont contre la loi qu’ils trouvent mauvaise, et même si ça ne les concerne pas eux-mêmes, ils disent qu’ils manifestent pour les autres, pour ceux qui n’osent pas aller dans la rue, ils sont donc prêts à faire grève, à revenir plusieurs fois. Et bah l’an dernier quand il y avait déjà eu des manifestations contre une autre loi, la loi El Khomri, certains, ils avaient manifesté au moins dix fois, entre le mois d’avril et le mois de juillet. »
Tous les manifestants ne sont pas « militants dans un syndicat ». Et que pensent, même pédagogiquement – ou schématiquement – résumé, ceux qui sont « contre la loi parce qu’ils la trouvent mauvaise » ? Les enfants seraient-ils trop jeunes pour le savoir ?
4. « Les policiers, bah ils répliquent »
L’écolière suivante pose la question fatidique de la violence en manifestation, amenant une nouvelle réponse, toute en finesse :
« Alors normalement, les manifestations, elles sont plutôt calmes hein. La plupart des gens ils marchent derrière des pancartes, des banderoles, ils chantent, ils crient, il y a des stands de sandwich, de boissons dans des camionnettes, c’est plutôt joyeux. Mais il y a aussi des personnes qui profitent de la présence d’une foule hein, de… de dizaines de milliers de personnes, pour venir commettre des violences, surtout contre la police. Et oui, dans ce cas évidemment ça peut devenir grave : ils jettent des pierres, des sortes de… de bombes sur les policiers, les policiers bah ils répliquent avec des gaz lacrymogènes, hein, les gaz lacrymogènes ça pique très fort les yeux et la gorge, il y a souvent des blessés. Mais ça ne concerne que très peu de gens hein, au total, par rapport à tous les manifestants. »
Des « sortes de bombes » ? La modération n’est visiblement pas de mise. Des policiers qui « répliquent » ? Toujours ? Seulement ? Rien ne sera dit de l’arbitraire préfectoral, moins encore des violences policières.
5. « Est-ce que c’est la rue rue qui décide ? »
La dernière question concerne, au fond, le rapport de force entre le mouvement social et le gouvernement. Ce dernier peut-il plier face aux mobilisations ? À nouveau, à défaut de faire dans la pédagogie et la synthèse, la réponse donne dans la caricature et l’exagération :
« La question, c’est qui fait la loi, finalement. Est-ce que ce sont les députés, au Parlement, avec les ordonnances donc d’Emmanuel Macron, ou est-ce que c’est la rue rue qui décide, le “mouvement social” comme on l’appelle, et bien c’est un peu le test. Le problème, c’est qu’il y a un décalage dans le temps, entre le moment où les Français votent pour un programme, et dans le programme d’Emmanuel Macron il y a les ordonnances sur le code du travail, et le moment présent, où aujourd’hui le gouvernement est dans l’action, il y a un décalage. Est-ce que les Français sont toujours d’accord avec le “Emmanuel Macron” pour lequel ils ont voté au mois de mai ? C’est la difficulté : est-ce qu’on peut se dédire, si près d’une élection ? »
Tout le propos tient, une fois encore, dans cet argument controversé : en votant pour Emmanuel Macron, les électeurs auraient voté pour son programme.
On comprend bien l’intérêt de cet exercice journalistique. Occupant la bande sonore à peu de frais (récolter quelques questions dans une école parisienne et inviter un éditorialiste à y répondre), dans une démarche forcément attendrissante (naïveté des enfants, ton professoral du ou de la « spécialiste »), l’émission est typique des exercices de « pédagogie » médiatique. Mais une pédagogie digne de ce nom, même quand elle s’adresse, du moins en principe, à des enfants, devrait être équilibrée et présenter les arguments en présence. Quand la pédagogie abandonne la pluralité des points de vue et passe sous silence les nuances nécessaires à la compréhension des enjeux, elle se fait caricature.
Vincent Bollenot (avec Henri Maler)