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Un débat de mars 2001

France Culture, audiovisuel public, services publics (2)

Mercredi 7 mars, à l’initiative de l’association Rassemblement des auditeurs contre la casse de France Culture (RACCFC) s’est tenue une réunion d’information-débat à la Bourse du Travail de Paris sur les problèmes posés par le démantèlement de l’audiovisuel public. Devant une centaine de personnes très motivées sont intervenus plusieurs représentants d’associations et de syndicats.

Nous publions ici la deuxième partie de la transcription réalisée par le RACCFC

Interventions de Marie-Hélène Elbaz (Secrétaire générale de la CGT Radio France), Annie Pourre (de Droits Devant !)

 MARIE-HELENE ELBAZ, Secrétaire générale de la CGT Radio France :

Je voudrais d’abord vous remercier par ce que je représente les gens de l’intérieur, c’est vrai qu’on est très contents, très heureux d’être relayés par ceux qui écoutent et qui eux ont peut-être une parole plus libre que celle qu’ils ont en ce moment, parce qu’il faut dire qu’aujourd’hui - je pense que vous aurez assez peu d’interventions de producteurs ou de réalisateurs ou chargé de réalisation de Radio France ce soir, parce que c’est vrai qu’à Radio France la parole en ce moment est certainement un peu ressentie comme dangereuse parce que la parole en ce moment elle peut que s’opposer à ce discours de la direction qui est un discours, une logique de coût, de gain, de productivité, et de comment finalement aliéner la culture à cette question du coût. C’est toute la question que vous avez posée, ce que j’ai entendu depuis que je suis arrivée, en fait c’est bien ça.

D’abord je tiens quand même à préciser que France Culture c’est pas une entité en soi, même si à nos yeux c’est effectivement un joyeux très précieux, très rare, et qui a son originalité propre, mais c’est une des chaînes de Radio France. Donc ça veut dire que financièrement, sur le plan du coût, elle est englobée dans la stratégie globale de l’entreprise et la stratégie globale de l’entreprise, aujourd’hui, c’est comment faire, beaucoup, parce que le but c’est quand même de rivaliser, de concurrencer le privé, comment concurrencer le privé avec un budget qu’est nettement insuffisant, ça c’est clair. Car ça fait déjà plusieurs années que les différents PDGs se plaignent d’avoir des budgets qui sont insuffisants, qui permettent seulement de maintenir à peu près l’existant, sauf que tous ont des ambitions. Le Pdg actuel a de grandes ambitions en particulier sur le réseau régional. Donc France Culture c’est vrai que c’est là où l’audience baisse le plus, là où elle baisse réellement, en tout cas ces dernières années on a perdu je crois à peu près 30 % d’auditeurs, je pense que vous connaissez bien les sondages de "médiamétrie", vous êtes auditeurs, vous savez très bien, vous ne vous reconnaissez plus pour la plupart d’entre vous dans les nouvelles grilles. France Culture c’est finalement ce qui, en ce moment en tout cas, intéresse le moins l’entreprise parce que c’est là où on peut faire le moins de bénéfices, même si on commence à introduire, je sais que vous l’avez remarqué aussi, les sigles commerciaux, on commence à introduire aussi beaucoup de partenariat, c’est-à-dire que quand un producteur veut présenter un projet d’émission, il est obligé lui-même de négocier le financement de son émission. Par exemple, si vous voulez faire, je sais pas, une émission sur les Inuïts du Canada, il faut que vous trouviez un partenaire qui va financer votre voyage. Si vous ne trouvez pas, votre projet sera rejeté. En revanche, si vous voulez faire une émission absolument pas intéressante sur n’importe quoi, mais là vous ramènerez le financement, ça, ça sera accepté. Donc c’est une aliénation totale de la chaîne, à du contenu, aux finances, au fric. Nous on fonctionne que comme ça en ce moment. Alors le problème de "La Semaine", c’est exactement ça. "La Semaine", ça a été supprimé parce qu’elle coûtait trop cher. Nous, on s’est énormément battu contre ça en comité d’entreprise, c’est pas vrai il y a eu un vrai combat au niveau du comité d’établissement, mais ils n’en ont rien à faire, ça c’est clair, on a eu beau dire tout ce qu’on voulait, dire que le support papier dans ce cas était extrêmement important, effectivement tout le monde n’a pas Internet, etc., mais ça n’avait aucune prise, vous auriez pu faire ce que vous vouliez là-dessus il n’y avait aucune prise, parce que sur Internet, la direction dit, nos correspondants professionnels ont tous Internet, donc ils se connectent. C’est la même chose, je ne sais pas où ça en est aujourd’hui mais après les 35 heures, la mise en place des 35 heures, dans tout le secteur administratif il n’y a pas eu une seule création d’emploi, peut-être 2 ou 3 dans certains secteurs qui vraiment ne fonctionnaient déjà plus comme ça, mais il n’y a pas eu de création d’emploi. Donc qu’est-ce qui se passe, les gens sont surchargés, prennent leur congé etc, donc quand ils sont pas là, ils sont pas là, et tout est comme ça en ce moment, c’est vraiment une politique de gestion technocrate et financière, je ne reprends pas l’intervention de Charlie sur le financement du Service Public, mais c’est exactement ça. Faut bien voir globalement France Culture comme au sein d’une grosse entreprise. [applaudissements]

 ANNIE POURRE (de Droits Devant !)

Je vais essayer de répondre à 2 ou 3 questions qui venaient de la salle. Je crois qu’il faut être à peu près clair, France Culture est un obstacle au commerce, c’est pour cela qu’aujourd’hui ils cassent France Culture. Je veux dire, les uns et les autres, hommes, femmes ici présents, on est effectivement des obstacles au commerce. Je crois que quand ça c’est à peu près assumé, il faut savoir qu’à partir de ce moment-là, il va falloir conduire des actions et effectivement agir et construire avec d’autres, parce que ça se passera aussi avec d’autres, des formes de luttes contre ce qu’on pourrait appeler la globalisation culturelle. Alors où ça se décide ? Certains ont dit c’est la politique française qui est en question, d’autres ont dit c’est "le grand marché fantasmé", moi je crois que c’est, soyons clairs, à l’OMC, l’Organisation Mondiale du Commerce, que ça se décide actuellement. Ça va être décidé notamment pour tout ce qui concerne la culture, puisque ça fait partie effectivement des débats et d’élaborations très construites, au mois de novembre, à l’OMC. C’est dans le projet. Alors comment cela se passe ? Notamment concernant la culture, ils ont considéré que la culture était un produit comme un autre, qu’il n’y avait aucune raison qu’il ne soit pas rattaché à l’Organisation Mondiale du Commerce. Alors pourquoi la culture est-elle une marchandise comme une autre ? Et bien c’est simple, c’est que si vous avez un musée qui présente une grande exposition sur une ville, il va de soi qu’elle va générer un flux de touristes et que si ça génère un flux de touristes, ça veut dire que ça fait des réservations de chambres d’hôtel, ça fait des trains, ça fait etc. Donc les gens ne se déplacent plus seulement pour voir une exposition mais effectivement ils deviennent des touristes. Donc les musées vont être intégrés dans le tourisme. Alors si vous prenez les archives, ils ont à peu près le même argument, si vous prenez les festivals, cela va de soi. Donc ils ont sorti l’exception culturelle qui n’est plus à l’ordre du jour. Je vous rappelle d’ailleurs que c’était un moratoire et que ce moratoire est suspendu, et qu’y compris la "Société française des réalisateurs" ou d’autres, ne réclament plus l’exception culturelle. Les choses sont un peu plus compliquées que ça. Ce qui est sûr, c’est que pratiquement, ce qu’on peut constater, c’est que, quand même, les transnationales et les multinationales ont fait un énorme travail ces dernières années, si l’on peut dire, et que là on peut s’apercevoir que c’est le groupe Vivendi, Havas, Hachette, enfin on sait à peu près tous les désigner. Et c’est presque terminé pour le cinéma. Le cinéma ils ont à peu près bouclé tout et il leur reste même pas les diffuseurs puisque les multiplex sont en place et que c’est maintenant les multiplex qui vont peut-être faire la commande de production en fonction des besoins d’un public extrêmement ciblé. Donc ça c’est des choses que l’on sait, mais on n’était pas arrivé encore jusqu’au bout. Dans l’édition, on a parlé beaucoup de l’édition tout à l’heure, mais il faut savoir que dans l’édition cela s’organise aussi. Mais faisons le constat, 350 libraires c’est 85% du marché, 15% c’est 700 libraires, donc les 700 libraires vont disparaître. Si on regarde l’ensemble des secteurs, que ce soit le secteur de l’édition, que ce soit le secteur du cinéma et de l’audiovisuel, que ce soit le secteur des archives, que ce soit etc, on est quand même pratiquement dans une finalisation de la mise en place du marché. Donc il restait peut-être effectivement France Culture, sauf qu’aujourd’hui France Culture est aussi dans la boucle, c’est-à-dire que France Culture aussi est un obstacle au commerce, ou France Culture va se plier à la loi du marché. Effectivement les producteurs comme à la télévision, comme pour le cinéma et ailleurs devront effectivement répondre à une commande extrêmement précise en terme de marché. Aujourd’hui cela s’organise un peu du côté du cinéma, je le dis parce qu’au salon du livre, il va y avoir effectivement un texte qui émanera pour la première fois, d’éditeurs, d’auteurs, de représentants, de libraires, etc., c’est-à-dire que quand même des métiers s’organisent pour effectivement dire des choses sur la globalisation culturelle et les conséquences que ça a.

Ce qui nous manque aujourd’hui c’est de mettre en place des passerelles entre les uns et les autres, parce qu’on subit tous effectivement la même chose, tous et toutes. Je crois que ces passerelles elles sont indispensables. Et il ne s’agit pas de nier, et pour autant il faudra préserver effectivement les luttes spécifiques, ça veut dire que la lutte de France Culture elle est indispensable, celle de Radio France je dirais même, mais pourquoi pas imaginer, après, des formes collectives de propositions sur effectivement l’ensemble du champ de la culture. Quand on disait, "quel objectif ?" Pourquoi pas inventer ? Les télés, il y a Télé-bocal, il y a télé etc, il y a plein de télés indépendantes qui se sont mises en place, alternatives et autres. Pourquoi pas l’imaginer, y compris en termes de radio ? Pourquoi les auditeurs ne sont pas capables aujourd’hui de créer une radio qui défendrait, qui effectivement capturerait peut-être un espace hertzien et qui serait capable de produire aussi ? Je veux dire, des formes alternatives de résistance, ça existe et on peut les mettre en place si on a la volonté de les mettre en place. Je crois que c’est extrêmement important d’aller dans des dynamiques, qu’on se réapproprie l’espace, nous-même, l’espace public, parce que si on ne le fait pas, on va se faire laminer et je crois qu’il faut que l’on se dise que les formes d’action ne pourront pas être seulement de type, les pétitions, elles ne pourront pas être seulement à charge symbolique dans la rue. Il faudra à un moment donné se réapproprier les choses et ça se passe avec les formes d’organisation qui sont effectivement de transversalité dans l’ensemble, je dirais, des professionnels de la culture, du public, etc, etc, il faut qu’en commun on arrive à construire des choses, et proposer des alternatives, et ces alternatives elles passeront forcément par la réappropriation de l’espace. Et moi je le dis sérieusement parce que sinon malheureusement quand on me dit France Culture baisse en audimat, mais ils s’en foutent, mais ils s’en foutent complètement, vous vous le mettez bien dans la tête. Ce qu’ils veulent c’est que France Culture disparaisse, c’est clair c’est un obstacle au commerce, donc cela disparaîtra au profit d’une chaîne ou d’une radio privée qui, effectivement elle, va avoir une autre conception, sera sponsorisée, et puis on ira jusqu’au bout de la chaîne. Moi, je crois qu’il faut à un moment donné qu’on arrête d’être un peu pessimistes, il faut se dire qu’il va falloir se battre carrément. [applaudissements]

 
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