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Forum 2003 : Ouest-France humanise la fatalité

Information minimaliste et leçons de résignation.

Les journalistes de la rédaction parisienne de Ouest-France ont peu usé leurs chaussures en arpentant les différents sites où se tenaient les débats du Forum Social Européen. Signe avant-coureur de ce peu d’intérêt, la couverture du Forum a commencé seulement la veille de son ouverture officielle (avec une interview de Christophe Aguiton). Le FSE n’a été un élément de la une qu’une seule fois, accompagné d’un éditorial de Paul Burel. Les lecteurs habitués aux éditos du samedi de François-Régis Hutin pouvaient peut-être s’attendre à ce que celui-ci porte un jugement sur la tenue et les enjeux du FSE. Certainement pas. F-R Hutin réussit l’exploit d’intituler son pensum hebdomadaire : « Humaniser la mondialisation » sans employer les termes altermondialistes ou FSE. Entre une citation du pape et une du philosophe catholique Paul Thibaut, il jettera juste ces quelques mots : « cette mondialisation, dont il est tellement question ».

Des quelques articles parus, puisque visiblement à la tête du journal on n’a pas l’air de faire grand cas de cet événement, on remarquera l’intérêt du journal pour les séminaires liés à l’Europe. Ce qui s’explique certainement par l’attachement du quotidien à la construction européenne et à son projet de Constitution. Avant l’ouverture, on adopte un ton prudent : « On s’attend aussi à ce que le Forum porte un jugement sur la future Constitution européenne » (11/11/03). Et quand vient le temps du bilan (15-16/11/03) : « L’Europe a été au cœur de multiples interventions et débats et force est de constater que le projet de Constitution européenne trouve assez peu de défenseurs parmi ces altermondialistes. Eux veulent une « autre Europe », car « l’Europe qu’on nous propose est celle que nous combattons ». Quant à se mettre d’accord sur l’Europe qu’ils veulent construire, c’est là une perspective assez lointaine, semble-t-il…  » Évidemment, rien ne vient accréditer ce jugement final.

Bien au contraire, puisque même le journaliste le reconnaît dans les lignes suivantes : il existe au moins une perspective qui constitue d’ailleurs le titre de l’article : « Non à l’Europe forteresse » ainsi qu’une proposition d’inscription dans la Constitution de droits propres aux résidents, soutenue par une pétition.

Ouest-France reconnaît toutefois des qualités au mouvement altermondialiste (il évoque par exemple « les premiers résultats de la lutte contre la mondialisation libérale »), mais c’est pour mieux décocher les flèches qui annulent ces concessions, de préférence en fin d’article. Rien de mieux pour ce faire que les extraits d’un sondage commandé par d’autres et dont nous ne connaîtrons évidemment pas l’intitulé exact des questions, ni les conditions de sa réalisation : « 60 % des Français estiment que les mouvements altermondialistes ont certes des « idées modernes » mais 50 % considèrent qu’ils ne proposent « pas de vraies solutions alternatives » selon un sondage BVA pour la Dépêche du Midi. »

Paul Burel, dans son éditorial, ira chercher le président Lula pour prouver combien l’antienne du journal, qu’on peut résumer ainsi : « De toute façon, on ne peut pas faire grand chose », a force de loi et qu’en matière de politique économique, rien ne sert de se réunir en forum pour chercher des alternatives, puisque la réalité rattrape toujours ceux qui sont convaincus qu’un autre monde est possible : « Au demeurant, quand l’un de leurs principaux hérauts - le Brésilien Lula - accède au pouvoir, force est de constater que ses engagements relèvent d’une orthodoxie financière étonnante. »

Visiblement, la résignation face au cours des choses a gagné l’ensemble de la rédaction. Et ce qui surprend le quotidien, c’est qu’il y ait encore une mobilisation contre la façon dont le monde fonctionne. D’ailleurs, les militants altermondialistes seront qualifiés de « rebelles au capitalisme sauvage  », d’ « acharnés » (à propos d’acteurs de la finance solidaire), preuve qu’il faut disposer de ressources nerveuses importantes, à la limite irrationnelles pour envisager de lutter. La lassitude a donc gagné les rangs du journal.

En témoignent des questions posées à Christophe Aguiton :
- La mondialisation libérale n’a-t-elle pas déjà imposé sa loi partout dans le monde ?
- Votre plus grand ennemi n’est-il pas le pessimisme ambiant ?
- Vous suscitez de la sympathie, vous imposez le débat. Mais on ne voit pas grand chose sortir de tout cela…
 »

L’éditorialiste Paul Burel a décidé, lui, de transformer son désappointement en hargne. Il en veut à tous ceux qui ont permis au mouvement altermondialiste de prendre autant de place. En fait tout est la faute des partis de gouvernement et des syndicats : « Engoncés dans leurs habits de gestionnaires, guidés par le souci du plus petit dénominateur commun, prisonniers d’une vision politique hexagonale, les partis de gouvernement ont ouvert, en France, un boulevard aux altermondialistes en particulier, mais aussi aux partis(ans) de la démagogie en général. Divisés à l’excès, défensifs à outrance, arc-boutés sur leur petit pré-carré, maladivement soucieux de ne pas être récupérés, les syndicats, eux, préfèrent ne pas trop se mouiller plutôt que de participer au bouillonnement général Le forum qu’ils ont tenu, seuls et à part, la veille du Forum social européen, est tout un symbole. » L’éditorialiste désinformé confond sans doute l’ensemble des syndicats avec la CFDT.

La nature a horreur du vide : si les altermondialistes existent, c’est parce que les conditions de leurs protestations ont été réunies et que ceux qui devaient normalement, aux yeux de Paul Burel, porter ces protestations n’ont pas été à la hauteur. Les altermondialistes sont des affreux opportunistes, et, mieux encore, heureusement que la mondialisation fait des ravages, parce que, sinon, des tas de militants se seraient retrouvés sur le carreau, n’ayant plus rien à défendre : « Pas de miracle. Les altermondialistes ont su occuper le bon espace au bon moment. Ils ont profité d’une double défaillance de la gestion du « monde-village », économique et politique. Le rouleau compresseur de la mondialisation, violent et inégalitaire, leur a donné un carburant inespéré pour avancer. Quand le libre-échange rime avec guerre économique et chômage, avec délocalisations cyniques et soudaines, avec appauvrissement des plus pauvres et enrichissement des plus riches, quand les multinationales deviennent plus importantes que les États, quand la valeur argent supplante la valeur être humain, il y a naturellement du grain à moudre pour les rebelles au capitalisme sauvage. »

Alors, même si l’action des altermondialistes « a souvent été déterminante pour enraciner, dans le champ du politique, des droits élémentaires, un peu abandonnés sur le bord de la route du libéralisme économique : santé, alimentation, développement durable, éducation, protection de l’environnement… », ce n’était pas à eux de mener ces actions, mais aux partis et aux syndicats. On notera au passage la magnifique litote, volontaire ou non : « des droits élémentaires, un peu abandonnés  »

Pas une seule fois, les institutions internationales comme l’OMC ou le FMI, pourtant objet d’une forte contestation qui a justement permis la structuration du mouvement altermondialiste, n’auront été citées dans les articles de Ouest-France. Pas une seule fois, les accords et les programmes de ces institutions, pourtant largement dénoncés comme étant responsables de l’aggravation des conditions de vie dans de nombreux pays, voire même de la ruine de certains d’entre eux, ne seront évoqués. Il n’est pas question de discuter des choix économiques portés par des gouvernements. Il y a eu « une double défaillance de la gestion », c’est tout. C’est la fatalité. Et contre ça, on ne peut pas faire grand’ chose. Peut-être prier ?...

 
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