Depuis le début de la campagne, le quotidien vespéral soigne les roitelets du journalisme politique. Christophe Barbier, Laurent Joffrin ou Alain Duhamel ont, notamment, eu droit à des portraits élogieux. Le 13 août 2006, Barbier, directeur de L’Express était ainsi flatté pour sa « voix douce barricadée derrière un sourire » ou son « talent pour croquer les personnages politiques ». Le 22 novembre 2006, Joffrin, patron de Libération, était décrit comme « un type d’un calme olympien » qui « écrit très vite et très bien, en fredonnant. » De Duhamel, le 7 février 2007, on apprenait qu’ « il a du talent. De la culture. » et qu’« il travaille comme un stakhanoviste. »
Journalisme « de référence » ou journalisme « people » ? Journalisme de flagornerie en tous cas. Le débat télévisé de l’entre deux tours (le 2 mai 2007) est une nouvelle occasion de le vérifier. Le Monde a en effet publié successivement deux portraits des animateurs de la confrontation télévisée : Arlette Chabot (le 25 avril 2007), directrice de l’information de France 2, et Patrick Poivre d’Arvor (le 2 mai 2007).
« Sacerdoce » et « maestria »
Deux vedettes du journalisme. Deux grands « professionnels de la profession ». Arlette Chabot serait ainsi « convaincue qu’à force de travail, de rigueur, d’ouverture, elle réhabilitera un domaine injustement méprisé ; qu’elle élèvera le débat d’idées tout en rapprochant la politique des citoyens. » Une haute idée du métier auquel elle « a voué sa vie, il occupe 100 % de son temps. » Ne mégotons pas : selon « son ami le journaliste Christophe Hondelatte », cité par Le Monde, « On peut parler de sacerdoce ». Sacerdotale, la direction de l’information le serait en raison des « contraintes administratives et corporatistes qu’elle déteste »... Corporatistes ? Faut-il comprendre pour le déplorer qu’il y a - horrible « archaïsme » - encore des journalistes syndiqués à France Télévisions ?
Patrick Poivre d’Arvor est pareillement louangé. Celui qui « épate » sa rédaction, « présente, (...) le journal télévisé le plus regardé d’Europe. On l’a vu à Bagdad, Sarajevo, Tchernobyl, Jérusalem. Il a interviewé Begin et Arafat, Clinton, Thatcher, Saddam Hussein et quelques autres. Il eut de jolis scoops, des émissions spéciales improvisées dans la tourmente d’une guerre ou d’une catastrophe et assurées avec maestria. » Un maître, une référence : Le Monde s’y connaît...
Indépendance totale
Pour le quotidien du soir, ces deux géants du journalisme sont aussi des parangons d’indépendance. Ainsi, il y aurait « belle lurette qu’Arlette Chabot a gagné ses titres d’indépendance. » Un « expert » en témoigne, Alain Duhamel qui certifie au Monde : « Je n’ai jamais senti d’intention politique, encore moins politicienne » chez la directrice de l’information de France 2. Jean-François Copé, « ministre délégué au budget et à la réforme de l’Etat » rend également hommage à l’« intégrité inaltérable » d’Arlette Chabot (selon Le Monde) car, pour le porte-parole du gouvernement : « par cette volonté de n’être pas prisonnière des têtes les plus connues et de donner leur chance à de nouveaux venus - ce fut exceptionnel. » Dis-moi qui te complimente...
Le même Copé avait déjà rendu un bel hommage à l’indépendance d’Arlette Chabot. Le 19 octobre 2006, lors de son passage à « A vous de juger », il déclara : « Je trouve que des émissions comme les vôtres, c’est très utile [1]. » Un moment de télévision touchant. Mais moins émouvant que le passage de Nicolas Sarkozy dans la même émission, le 8 mars 2007. Le candidat de l’UMP conclut par un vibrant « Merci, Arlette Chabot de faire des émissions comme ça [2]. »
« Mon indépendance est totale » explique, pour sa part, Patrick Poivre d’Arvor à la journaliste du Monde qui dresse son portrait. Celle-ci ne s’aventure pas à contredire le journaliste « star » qu’elle qualifie de « mordant ». Mordant ? Parfois... Et même virulent quand il se fâche au sujet des « attaques de François Bayrou contre les journalistes proférées à l’antenne. Ou les insinuations visant TF1 et l’amitié entre Martin Bouygues, le premier actionnaire de la chaîne privée, et Nicolas Sarkozy. » PPDA explique au Monde : « Tous les organes de presse ont des propriétaires et actionnaires. L’Etat, Lagardère, Vivendi... Est-ce que cela empêche les journalistes de faire leur métier avec conscience et professionnalisme ? Est-ce que le fait qu’Alain Minc, président du conseil de surveillance du Monde, penche pour M. Sarkozy implique que les rédacteurs du Monde ont reçu des consignes ? Non. Bien sûr ! Alors, respect pour une rédaction libre dont le journal réunit chaque soir 10 millions de Français. »
Une défense de la profession « mordante »... et qui fait écho à celle, récente, de Nicolas Sarkozy déclarant le 27 avril 2007, en réponse aux accusations de François Bayrou le matin sur RTL [3] : « C’est assez insultant à l’endroit des journalistes que de penser qu’ils peuvent obéir à des consignes »...
C’est vrai, ça. Pourquoi faudrait-il être insultant, quand il suffit de constater que les Arlette Chabot et les Patrick Poivre d’Arvor sont si bien ajustés à leur fonction qu’il n’est pas nécessaire, sauf exception, de leur rappeler ce qu’ils doivent faire par des consignes... ou des flatteries. Ils le font en toute indépendance.