– Triste Europe
Dès le vendredi 12 décembre, Philippe de Casabianca s’inquiétait de la réunion des les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Europe qui devait commencer ses travaux le jour même et « tenter d’effacer l’échec du Conseil de Nice » : […] « le piétinement des négociations en vue d’adopter une constitution européenne augure d’une possible réédition d’un scénario de crise.[...] ». L’enjeu est ainsi présenté : « Après la Convention, il s’agit en effet de donner à l’Union une constitution sur mesure. » Quelle Constitution, pour quelle Europe ? Ces questions apparemment importent peu.
Le dimanche 14 décembre, il ne reste plus qu’à tirer les conséquence de l’échec : « […] le mal est fait. Surtout à destination de l’opinion européenne. Voilà des années qu’on la mène en bateau. Voilà des années qu’elle ne sait pas qui fait quoi en Europe. Douze pays ont été dotés d’une monnaie unique, l’élargissement a été présenté en termes idylliques, et on ignore toujours où mènera le projet européen. Apparemment, dans une impasse bordée d’incompréhensions […] » Le ton est amer et la critique acerbe, mais le style inventif (« une impasse bordée d’incompréhension » ...).
Qui nous mène où ? On ne sait … Mais la faute à qui ? Si nous sommes « dans une impasse bordée d’incompréhensions », c’est « parce que les nouveaux membres - et des membres récents de l’UE - ne partagent pas l’idéal des pères fondateurs de l’Europe, laborieusement concrétisé par les Six du Marché commun. Aux yeux de beaucoup, l’Union européenne reste un club économique qui distribue des subsides et organise des projets communs en fonction des lobbies assimilés à des intérêts collectifs. Rien d’autre... » . La faute à qui donc ? Aux nouveaux venus et aux membres récents…
Conclusion provisoire : « La rencontre avortée de Bruxelles montre clairement que le pouvoir dans l’Union appartient aux Etats qui additionnent les égoïsmes nationaux. ».
Tant de déceptions accumulées... C’est déjà plus clair : Jean-Claude Kiefer, et avec lui les DNA, se veulent « euro-fédéralistes » et voyaient dans le projet de Constitution un moyen de se rapprocher de cet idéal ; reste qu’il serait plus honnête de le redire explicitement à cette occasion
Mais non ... car à l’angoissante question « Comment continuer ? » que pose Jean-Claude Kiefer, il est déjà une réponse : « Dans l’immédiat il faudra appliquer le traité de Nice […] ». Certes « Le traité de Nice collectionne les minorités de blocage et consacre le triomphe de la technocratie. Chaque décision sera soumise à marchandages, selon le donnant-donnant et les affinités ou antagonismes politiques. Mais Nice présente aussi un avantage, en autorisant les « coopérations renforcées », en permettant à un groupe de pays d’aller de l’avant. »
Nice est mort, vive Nice ! « Il y aura tôt ou tard une Europe politique constituée de quelques Etats, tandis que d’autres se contenteront d’une zone de libre-échange. Dommage, mais réaliste. » Un « réalisme » que Jean-Claude Kiefer entérine triomphalement : « Bruxelles a valeur de démonstration géométrique : l’intégration ne « marche » pas à vingt-cinq et plus. CQFD... »
– Heureuse Allemagne
Après le chant désabusé sur l’Europe, l’allègre petite musique sur l’Allemagne…
Dans un article non signé paru dans leur édition du 20 décembre 2003, les DNA laissent percer leur admiration pour l’ensemble de mesures adoptées par une large majorité des parlementaires allemands ; si seulement les Français étaient capables d’en faire autant ...
« Les deux chambres du Parlement allemand ont définitivement adopté hier un train d’importantes réformes destinées à relancer l’économie et l’emploi. » Qui parle dans cette phrase ? Le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder (qui proclame ces objectifs) ou le journaliste des DNA (qui souscrit à « l’importance » des « réformes ») ?
La phrase qui suit le laisse entendre à mi-voix : « Après la santé et de premières mesures concernant le marché de l’emploi, il s’agissait pour les députés allemands de voter hier sur les derniers pans de l’« Agenda 2010 », le programme de refonte de l’Etat-providence du gouvernement. Jamais dans l’histoire de l’Allemagne d’après-guerre, un Parlement n’avait été appelé à adopter autant de lois en même temps. Un véritable marathon d’une quinzaine de votes menés tambour battant ! ».
Que la « refonte de l’Etat-providence » puisse être synonyme de son démantèlement n’effleure pas la conscience du journaliste, et le « véritable marathon d’une quinzaine de votes menés tambour battant » exerce sur lui une telle fascination qu’il oublie de s’interroger sur son caractère démocratique.
« Parmi les principales mesures adoptées : des baisses d’impôts à compter du 1er janvier 2004 qui permettront un coup de pouce fiscal de 15 milliards d’euros, ainsi que les derniers volets de la réforme du marché de l’emploi et une hausse du prix du tabac en deux étapes de 1,2 cent chacune par cigarette. Le chancelier allemand Gerhard Schröder s’est félicité de l’adoption de ces réformes fiscales et sociales. » Quinze milliards d’allègements fiscaux dont on ne devine que trop bien à qui ils profitent essentiellement deviennent « un coup de pouce fiscal » et suffisent à résumer, avec la hausse du prix des cigarettes, l’ensemble de ces « réformes fiscales et sociales » [souligné par moi], dont on laisse entendre qu’elles sont progressistes sans même les rappeler…
Suit un long commentaire sur les conditions politiques dans lesquelles une majorité a voté les « réformes », ces « mesures » dont « Gerhard Schröder s’est félicité ». Apparemment, les DNA aussi…
– Donc ?
La liberté de la presse, indubitablement, est l’une des formes de la liberté d’opinion. Et Les Dernières Nouvelles d’Alsace sont un journal d’opinion. Pourquoi pas ? Mais là où le bât blesse - et il blesse profondément - c’est lorsque sur le ton des évidences tranquilles et des comptes-rendus impavides, la presse d’opinion se défend d’en être une et diffuse, sous couvert de pluralisme, la vulgate monochrome de l’ordre établi.
Stanislas