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Dans les médias d’extrême droite, une croisade anti-écolo

Nous reproduisons cet article paru sur Reporterre le 28 septembre 2024.


Nier le changement climatique, attaquer les militants, développer une « écologie de droite » : dans les médias d’extrême droite, cette triple mission dessine les contours de leur projet raciste, défendu comme « civilisationnel ».

L’Arcom a infligé pour la première fois une amende à une chaîne de télévision — CNews — pour des propos climatosceptiques tenus à l’antenne le 10 juillet dernier. Il en a coûté 20 000 euros au média de Vincent Bolloré d’avoir laissé l’un de ses invités affirmer que « le réchauffement climatique anthropique est un mensonge et une escroquerie », sans apporter de contradiction.

L’économiste Philippe Herlin, soutien du candidat Éric Zemmour à l’élection présidentielle de 2022, avait persisté, dans l’émission « Punchline Été » du 8 août 2023, en qualifiant le réchauffement d’origine humaine de « complot qui justifie l’intervention de l’État dans nos vies ».

Sur la chaîne du milliardaire Vincent Bolloré, comme dans les autres médias d’extrême droite, ce type de propos climatosceptiques ou climatodénialistes — qui remettent en cause l’origine anthropique du changement climatique, en relativisent l’urgence et l’ampleur, voire en nient l’existence — trouvent un écho complaisant. Et ce déni s’accompagne désormais d’un discours virulent à l’encontre des écologistes, au profit de la promotion d’une écologie aux relents identitaires.


Des climatosceptiques en « mission »


Les propos tenus sur Cnews en août 2023 ne sont pas isolés. Ils sont fréquents sur la chaîne, et sur d’autres médias proches de l’extrême droite. Le 25 juin de cette année, l’Arcom avait déjà épinglé Sud Radio avec une « mise en garde » pour la diffusion de propos qui « venaient contredire ou minimiser le consensus scientifique existant sur le dérèglement climatique actuel, par un traitement manquant de rigueur et sans contradiction ».

Le 7 décembre 2023, pendant la COP28, l’animateur André Bercoff y avait reçu le physicien François Gervais dans son émission. L’invité avait notamment assuré que l’actuel changement du climat serait induit par des cycles naturels, évoquant une « arnaque climatique », face à un animateur qui avait lui-même qualifié les rapports du Giec de « pseudo-scientifiques ».

François Gervais, membre d’une association d’autorevendiqués « climato-réalistes » a aussi été reçu plusieurs fois sur Cnews, en 2021, puis en juin 2022 et en décembre 2023. Il y avait toute latitude pour répéter ses messages sur la « variabilité naturelle du climat » et accuser les scientifiques du Giec d’avoir un « discours catastrophiste » afin d’obtenir des financements.

Ce discours est rodé et débité devant des animateurs ou éditorialistes cachant à peine leur adhésion, comme Ivan Rioufol, lui-même pourfendeur de « l’écologisme qui menace la France » ou de « la jeunesse manipulée des marches climat ».

La chaîne est si complaisante avec les climatodénialistes que le président de cette association de « climato-réalistes », le mathématicien Benoît Rittaud, tribun régulier sur Valeurs Actuelles, y voit une « terre de mission » pour diffuser leurs thèses.

Ce magazine, Valeurs Actuelles, est tout aussi enclin à les promouvoir. En juillet 2023, au cours de l’été le plus chaud depuis 2 000 ans dans l’hémisphère Nord, il publiait un hors-série intitulé « Climat : infos et intox » pour démontrer que « l’influence de l’homme sur le climat est modeste » et que « la transition écologique s’apparente à une impasse ». Une publication où l’on retrouvait notamment Steven Koonin, ex-conseiller scientifique de Barack Obama et ancien directeur scientifique de British Petroleum, coqueluche internationale des climatodénialistes, et dont les thèses ont par exemple alimenté la vidéo récente climatosceptique du Raptor sur Youtube.


Du climato-déni à l’écolo-discrédit


Pour le chercheur en analyse de discours Albin Wagener, professeur à l’École des sciences de la société de Lille et auteur de Blablabla, en finir avec le bavardage climatique (éd. Le Robert, 2023), le fait que ces personnalités soient privilégiées par les médias les plus à droite, alors que le traitement médiatique du climat s’accentue, leur permet de « se présenter comme alternatifs, faisant entendre une voix différente » de la soi-disant « presse bien-pensante » et du « politiquement correct ».

Selon l’association Quota Climat qui publiera en novembre les premiers chiffres de l’Observatoire des médias sur l’écologie, la couverture de l’écologie dans les médias d’extrême droite est trois fois moins importante que la moyenne globale des médias.

Et quand ils font un pas de côté, entre deux émissions et articles sur l’immigration et l’insécurité, ce n’est pas seulement pour offrir une tribune aux climatodénialistes. C’est aussi pour dénigrer ceux qui alertent sur le changement climatique, les destructions écologiques et leurs causes. « Une partie de l’extrême droite s’est rendu compte qu’on ne peut plus nier le changement climatique, alors ils s’en prennent au messager », explique le journaliste Maxime Macé, co-auteur de Pop fascisme : Comment l’extrême droite a gagné la bataille culturelle en ligne (éd. Divergences, 2024).

En janvier 2024, en pleine révolte des agriculteurs, Pascal Praud fustigeait sur Cnews et Europe 1, « toutes ces associations écologistes, minoritaires, comme WWF, qui en permanence pointent du doigt ce monde agricole, veulent nous faire manger de l’herbe, du tofu et du quinoa, qui refusent tout ». Les « khmers verts », comme il se plaît à les dépeindre, sont devenus la bête noire de l’animateur et de ses confrères des médias d’extrême droite.

Valeurs Actuelles titre régulièrement sur le « monde de fous que les écolos nous imposent », ces « écolos sectaires » qui seraient « anti-viande, anti-joie de vivre, anti-traditions, anti-tout ». « Ces médias exploitent les failles de la communication écologiste qui n’a pas encore trouvé ses points d’ancrage positifs et utilise des termes renvoyant à l’imaginaire de la privation, comme décroissance ou sobriété », analyse le chercheur Albin Wagener.


Diaboliser les écolos


Embrassant sans retenue le discours criminalisant à l’égard des défenseurs de l’environnement, ces médias s’attellent à construire un ennemi écolo et à « mener le combat culturel » contre « l’écologisme », « cheval de Troie de ces anticapitalistes qui annoncent la fin du monde pour justifier la décroissance et réussir ce qu’ils ont raté avec le communisme : abattre la société de marché », affirme Pascal Praud.

« L’écologisme est un gauchisme », tranche Valeurs Actuelles. Il a « la couleur du totalitarisme, l’esprit du totalitarisme » et il est porté par des « peine-à-jouir », insiste Élisabeth Lévy.

La cofondatrice et directrice de la rédaction de Causeur y voit une « conspiration contre la vie », et s’en prend tantôt aux militants, « tubercules en bermuda » occupant « d’immenses zad insalubres », tantôt aux journalistes se muant en « menaçants perroquets logorrhéiques », tous accusés d’avoir « gobé la propagande du Giec » jusqu’à devenir des « cavaliers de l’apocalypse écologique ». « L’écologisme » revêt pour la polémiste les atours « d’une religion séculière aux relents totalitaires », dont Greta Thunberg serait le « nouveau Dalaï-Lama » prônant le « catéchisme climatique ».

En 2019, Causeur titrait : « Contre la religion du climat, pour la raison ». Ainsi se construit une distinction entre les « dogmatiques », adeptes d’une « doxa alarmiste » appartenant « au champ de la croyance plutôt qu’à celui de la raison », et les « pragmatiques ». L’écologie « pragmatique » se fonderait sur une « science véritable », tandis que la « dogmatique » se contenterait de la « science officielle », tant décriée par les « climato-réalistes ».


« Génie humain » et « enracinement »


Bien que prolixes, les pourfendeurs de l’écologie « idéologique » et « punitive » ne s’en tiennent pas seulement à cette bataille « contre l’écologisme ». Ils ont un antidote : « l’écologie de droite ». Contrairement à celle de la gauche, honteusement « décroissante » et « anticapitaliste », « l’écologie de droite » est technosolutionniste, confiante dans le « génie humain » et sa capacité à trouver de « nouvelles solutions »... à condition qu’il ne s’agisse pas des énergies renouvelables. « Les médias d’extrême-droite parlent davantage des énergies renouvelables que la moyenne, mais la tonalité y est plus négative », constate Eva Morel, de Quota Climat.

Au vu de l’invisibilité de la question des énergies fossiles dans les médias les plus à droite, cette écologie-là est aussi imperméable aux causes du changement climatique. « Raisonnable et rationnelle », elle doit rester « compatible avec le capitalisme », défend Jean-Marc Governatori, coprésident d’Écologie au centre et élu écologiste niçois, qui a sa tribune dans Causeur. Une écologie qui s’accommode du « paradigme dominant néolibéral », observe Albin Wagener.

« L’enracinement est le terme clé », note Antoine Dubiau, auteur d’Écofascismes (Ed. Grévis, 2022) : « Il traduit le fantasme d’une harmonie naturelle entre un peuple et son environnement naturel, dont l’écologie viserait à préserver l’équilibre. » Cette sémantique de « l’enracinement » est par exemple énoncée en 2019 par Clément Martin, porte-parole de Génération Identitaire, dans une vidéo publiée par Valeurs Actuelles. Après avoir exposé sa proposition de « remigration, l’incitation au retour des immigrés non assimilés », il mentionne sa conception de l’écologie : « Enracinée, respectueuse des peuples et de leurs traditions ».


La construction d’une écologie « civilisationnelle »


Cette écologie « enracinée » permet à la fois de s’en tenir à une échelle locale et de l’associer avec un « combat identitaire ». Car contrairement à « l’écologisme », elle ne porte pas le funeste projet de « déconstruire la société occidentale » fustigé sur Cnews par Alexandre Devecchio, rédacteur en chef du FigaroVox.

« Toute l’extrême droite n’est pas climatosceptique, mais elle est ethnodifférentialiste, et souscrit à la protection de la nature comme bien appartenant à un processus civilisationnel », analyse le journaliste Maxime Macé. Ainsi, au cours de son débat avec le journaliste Hugo Clément, organisé par Valeurs Actuelles, le président du Rassemblement national Jordan Bardella expliquait : « Lorsqu’on est patriote, on a le souci et l’inquiétude de la survie de son propre peuple et de sa propre civilisation, mais aussi de l’environnement dans lequel cette civilisation s’épanouit. »

Cette vision identitaire de l’écologie s’épanouit dans un paysage médiatique toujours plus conquis par l’extrême droite. Depuis la rentrée, elle peut compter sur de nouveaux supports : JDNews, dernier né de la galaxie Bolloré qui avait déjà étendu sa mainmise sur le JDD et Europe 1, et le média Frontières (Ex-Livre Noir) dirigé par Erik Tegnér, habitué de Cnews et de Sud Radio, qui souhaite devenir le « Médiapart de droite pour rendre coup pour coup aux attaques de cette presse de gauche ».

Face à cette offensive, les luttes écologistes contre-attaquent. Le 5 octobre, les Soulèvements de la Terre appellent à « lever les voiles » sur l’empire Bolloré. Côté médiatique, la Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence climatique signée par de nombreux journalistes et médias, entend participer à la prise de conscience croissante de la crise écologique et climatique. Reste à s’engager pleinement dans la bataille des imaginaires en offrant la perspective d’un avenir désirable et capable de rassembler.


Léa Guedj
Article paru sur le site de Reporterre le 28 septembre 2024.

 
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