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Concentration des médias : l’audition d’Acrimed au Sénat

par Mathias Reymond,

L’association Acrimed était auditionnée au Sénat le 7 décembre, dans le cadre de la commission d’enquête « concentration des médias en France ». Cette commission a été créée à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain « afin de mettre en lumière les processus ayant permis ou pouvant aboutir à une concentration dans les médias en France, et d’évaluer l’impact de cette concentration sur la démocratie ». Nous transcrivons ci-dessous la contribution de Mathias Reymond, auditionné pour Acrimed, et nous partageons la vidéo de la table ronde.

Madame, Monsieur, bonjour

En préambule, je vais présenter et dire quelques mots sur l’organisation dont je suis l’un des porte-parole.

Acrimed, qui est l’acronyme de Action-Critique-Médias, est une association à but non lucratif qui se définit comme un observatoire des médias. Composée de trois salariés et d’adhérents bénévoles (plus d’un millier) venant de divers horizons : universitaires, journalistes, ou simplement usagers des médias, notre association observe donc les médias et l’information qu’ils produisent, critique les mécanismes journalistiques et les processus de production de l’information, et enfin, nous faisons également des propositions de transformation des médias.

Nous publions nos travaux sur un site Internet (acrimed.org), dans une revue trimestrielle ou encore dans des ouvrages.

Si je suis parmi vous aujourd’hui c’est pour aborder un thème qui est un véritable enjeu démocratique, à savoir celui de la concentration des médias.
Je vais faire une présentation la plus exhaustive possible compte tenu du temps dont je dispose – dix minutes. Je la ferai en trois points.
1. D’abord : État des lieux de la concentration des médias
2. Les problèmes que cela cache
3. Quelles propositions peut-on faire compte tenu de ces constats ?


1. Sans faire un cours d’histoire des médias français, il me semble qu’un bref retour sur la chronologie des concentrations s’impose.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser spontanément : la concentration des médias est réglementée, et cette réglementation est généralement respectée. Elle date de la « loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication », dite loi Léotard, inchangée pour l’essentiel depuis trente-cinq ans, à part quelques nécessaires actualisations. Au vu du paysage actuel des médias, il est toutefois permis de douter de l’efficacité de cette loi contre les concentrations puisqu’on serait même tenté de penser qu’elle les a plutôt permises qu’empêchées. Faisant suite à la libéralisation des radios et aux privatisations des télévisions, cette loi avait pour but de réglementer les concentrations capitalistiques et territoriales, dans l’idée, notamment, d’empêcher la constitution d’empires du type Hersant.
Je ne vais pas revenir sur ce que contient cette loi mais plus sur ce qu’elle ne contient pas.

 D’abord, cette loi ne prend pas en compte l’évolution du secteur des médias, les mutations dans les modes de consommation des médias avec l’émergence d’Internet, des réseaux sociaux, et des smartphones qui ont transformé fortement les habitudes des usagers.

 Cette loi ne tient pas compte non plus de la diversité des concentrations. Il existe trois grands types de concentration : horizontales (le même propriétaire possède des médias du même secteur (exemple : Bouygues possède TF1, TMC, LCI, TFX, TF1 séries), concentrations transversales (le même propriétaire possède des médias de secteurs différents : Bolloré possède Canal Plus, Europe 1 et contrôle Paris Match ou le JDD), et concentrations verticales (le même propriétaire possède des médias et des activités en amont ou en aval des de la production des contenus : activités de distributions par les télécoms par exemples. Bouygues cité plus haut possède la téléphonie Bouygues, Patrick Drahi, propriétaire de BFM-TV, RMC et Libération possède SFR. On a donc ici la matière première et les tuyaux, les contenus et les contenants).

Si les médias appartiennent à plusieurs groupes médiatiques ou industriels (j’y reviendrai), et qu’ils touchent chaque fois des audiences inférieures au seuil maximum autorisé par la loi de 1986, il ne vous aura pas échappé que ces médias (notamment les télévisions privées et les radios privées) sont analogues et appartiennent à un groupe réduit de propriétaires : en économie on utilise le terme d’oligopole.


2. Avec la concurrence, on devait stimuler les différences et développer le pluralisme, or la multiplication des chaînes à l’infini (pour ne parler que du secteur de la télévision) a surtout homogénéisé les contenus et les formats, et pire : homogénéisé l’information.

« Pluralité » ne signifiant pas nécessairement « pluralisme ».
La concurrence se faisant à moindre coût, et les budgets des médias publics diminuant (d’environ 60 millions d’euros par an pour France Télévisions), la qualité de l’information s’est tarie. Dans le domaine de l’information sur les chaînes de la TNT, les débats – peu coûteux – entre quelques éditorialistes interchangeables occupent désormais l’essentiel de l’espace.

Et là donc, aujourd’hui, dans cette commission on discute de concentration des médias et de seuil de concentration acceptable. Très bien. Mais le vrai problème est surtout du côté de la similitude des contenus des productions médiatiques. S’il existe une convergence d’orientations politiques, de formats, de façons de traiter les sujets, dans les grands médias de télévision ou de radio, c’est en partie parce que leurs structures sont comparables : contrôlés par l’État pour certains ou par des grands groupes médiatiques et industriels pour d’autres, ils sont dépendants des recettes publicitaires, et donc des grands annonceurs.

De plus, les patrons des médias, les directeurs de rédaction, les animateurs vedettes ont des parcours similaires et des origines sociales analogues.

Et comme l’explique très bien le sociologue Alain Accardo, « il n’est pas nécessaire que les horloges conspirent pour donner pratiquement la même heure en même temps, il suffit qu’au départ elles aient été mises à l’heure et dotées du même type de mouvement, de sorte qu’en suivant son propre mouvement chacune d’elles s’accordera grosso modo avec toutes les autres. La similitude du mécanisme exclut toute machination. » Donc pour nous, point de complot.

Alors oui, le phénomène des concentrations n’est pas nouveau. Avant la deuxième guerre mondiale, « les grandes familles » industrielles françaises se partageaient la presse. Et depuis 1986, après Hersant, ce sont Dassault, Lagardère, Bouygues, Drahi et aujourd’hui Bolloré qui se succèdent pour être les nouveaux Rupert Murdoch français. Désormais, leurs entreprises se partagent les parts d’un gigantesque gâteau.


3. Les propositions pour faire changer les choses sont relativement simples :

Une proposition d’abord qui coule de sens : interdire à des groupes qui vivent de commandes de l’État ou des collectivités de posséder des médias. Parce que c’est un levier d’influence très fort sur les élus nationaux et locaux. Cette proposition qui n’a rien de révolutionnaire avait été faite par François Bayrou, alors candidat à l’élection présidentielle en 2007. Et, comme l’on prend souvent exemple sur nos voisins : en Allemagne, en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, les grands groupes qui possèdent des médias sont des groupes médiatiques ou culturels, et non des constructeurs d’avions de guerre, des gestionnaires d’autoroutes ou de distribution d’eau, des bâtisseurs du BTP, etc.

Ensuite : revenir à l’esprit des ordonnances de 1944 instaureés par le Conseil National de la Résistance : une personne ne peut pas posséder plus d’un média (sachant que l’on possède le média traditionnel et son site Internet).

Un levier consiste à donner de la place aux autres modèles de gestion des médias. Lors de l’attribution des canaux de la TNT, l’équipe de Zalea TV – une télévision associative, du tiers-secteur, s’était vue rejetée un canal, le CSA préférant privilégier des chaînes telles que NT1, W9, TMC, Match-TV, NRJ-TV, etc. des chaînes formellement interchangeables qui ne sont que des déclinaisons peu coûteuses de médias existants.

Afin que ces mesures soient efficaces et suivies de résultats, il faut redonner des moyens au service public de l’information afin que celui-ci tire les autres médias vers le haut comme ce fut le cas en Angleterre avec la BBC. Les chaînes qui font le plus d’audience en Grande-Bretagne ou en Allemagne sont des chaînes publiques, dotées de moyens bien plus confortables qu’en France. C’est un sujet qui peut être abordé maintenant puisque la concession de TF1 arrive à expiration en 2023.

Enfin tout cela ne sera possible que si l’on se dote d’un organisme indépendant qui aurait pour mission d’attribuer les concessions de diffusion sur les canaux de la télévision. Cet organisme, appelons-le Conseil National des Médias, concernerait l’ensemble des médias y compris ceux du tiers-secteur. Il serait composé de salariés des médias ; d’usagers ; et de représentants des organisations politiques.


***


Une phrase pour terminer : « Tout ne s’explique pas par l’économie, mais rien ne s’explique sans. » Dans le secteur des médias cela semble être une évidence.
Je vous remercie de votre attention.


Mathias Reymond


Vidéo de la table ronde

 
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