Accueil > Critiques > (...) > Les droits d’auteur des journalistes et créateurs

Cession globale des droits d’auteur des journalistes : Non, c’est non !

Nous publions ci-dessous une "Lettre ouverte au Président de la République" des organisations de journalistes(SNJ, SNJ-CGT, USJ-CFDT, SGJ-FO, SJ-FO, CFTC ANJRPC-UPC, FreeLens et SAIF) qui craignent que le processus de transposition de la directive européenne sur le droit d’auteur en droit français soit utilisé pour légaliser la cession globale des droits des auteurs salariés à leurs employeurs. [ Acrimed]

Monsieur le président de la République,

Dans la perspective de la transposition de la directive européenne sur le droit d’auteur en droit français, mission a été confiée au conseiller d’Etat Raphaël Hadas-Lebel de "rédiger une note de synthèse" sur "la cession des droits d’auteurs salariés aux entreprises qui les emploient", "le cas
échéant sous forme de projets de rédaction de textes législatifs". La brièveté des délais impartis (un mois) comme le cadre défini par le ministre de la Culture et de la Communication inspirent aux organisations signataires de la présente lettre la crainte de voir légalisée la cession globale des droits des auteurs salariés à leurs employeurs.

Il s’agirait du reniement de la Convention internationale de Berne relative aux droits d’auteur (dont la France est non seulement signataire mais initiatrice) au profit du droit anglo-saxon du copyright. Les éditeurs semblent considérer la chose faite, au mépris de la loi, d’où résultent les contestations et recours légaux dont la multiplication sert de prétexte à une tentative de modification du cadre légal actuel. Faut-il modifier la loi pour satisfaire ceux qui la transgressent ou appliquer des textes qui ont assuré la vitalité de la création intellectuelle française ?

En effet, la reconnaissance actuelle en France du droit d’auteur a donné naissance à un système assurant la juste rémunération des créations intellectuelles donc la richesse de la création et la liberté des créateurs. Il en est résulté la réputation du photo-journalisme français, l’élévation de la France au premier rang des éditeurs mondiaux de magazines et l’extrême richesse artistique qui contribuent au rayonnement de la France.

Va-t-on plonger les auteurs salariés, et notamment les journalistes, dans la situation des peintres et sculpteurs des années 20, rançonnés par des marchands de tableaux ou des galeristes qui, en échange d’une maigre mensualité, s’appropriaient toutes les créations futures ?

Par ailleurs, la légalisation de la cession globale des droits d’auteur conduirait immanquablement à la négation du droit moral individuel inaliénable de chaque journaliste sur ses écrits, sur ses photos, sur ses dessins de presse et sur ses reportages audiovisuels (radio et télévision), principale garantie permettant aux auteurs de conserver un droit de regard sur leurs oeuvres, empêchant une utilisation abusive par détournement de l’objectif initial, en particulier publicitaire, par dénaturation du propos ou encore par publication contraire à la déontologie professionnelle ou individuelle.

Plutôt que de créer une catégorie de sous-auteurs qui abandonneraient tout droit de regard sur le devenir de leurs oeuvres il conviendrait de renforcer le statut des journalistes en France. Adopté à l_unanimité par le Parlement en 1935, réaffirmé par la loi du 4 juillet 1974 (dite "loi Cressard") et conforté par les partenaires sociaux dans la Convention collective nationale de travail des journalistes, ce statut est envié par le monde entier en ce qu’il consacre la liberté intellectuelle du journaliste indissociable de la sécurité financière et sociale conférée par le contrat de travail.

Sacrifiera-t-on la nécessaire liberté intellectuelle des journalistes et leur statut au nom de la seule logique industrielle ?

Les syndicats et organisations signataires de cette lettre s’opposeront de toutes leurs forces et par tous les moyens à la rupture de l’équilibre précaire entre éditeurs et journalistes à l’unique profit des premiers.
Seuls les accords cadres, semblables à ceux déjà négociés dans de nombreuses entreprises, par les partenaires sociaux - et conformes au Code de la propriété intellectuelle, au Code du travail, au Code de la Sécurité sociale et à la Convention collective nationale de travail des journalistes -, fixant les limites des accords individuels et permettant la gestion des droits par des sociétés d’auteurs, présentent les garanties d’équité et de sécurité juridique indispensables à l’exploitation du fonds éditorial de chaque journaliste dans le respect de la déontologie, des auteurs, des éditeurs et du public. Le gouvernement prendra-t-il la responsabilité de la rupture du dialogue entre auteurs et employeurs ?

Enfin, l’exclusivité d’une cession non librement négociable, voire implicitement consentie dans le cadre du contrat de travail, porterait un coup fatal à la liberté d’informer. Interdire de facto à un journaliste de publier sur le support qui lui plaît sous la forme qui lui convient, voire donner les moyens à un éditeur de refuser de diffuser un écrit, une photo, un dessin de presse ou un reportage audiovisuel dont un journaliste serait l’auteur, met en danger la liberté d’informer, la clause de conscience, et par là même la liberté d’expression.

Voila pourquoi nous vous demandons, Monsieur le président de la République, d’intervenir afin d_empêcher ces modifications législatives dont on ne saurait ignorer le potentiel puissamment déstabilisateur sur le plan social, néfaste pour l’image de la France dans le monde et dangereux pour la démocratie.

Paris, le 12 novembre 2002

- SNJ, 33, rue du Louvre, 75002 Paris < /br>
- SNJ-CGT, 263, rue de Paris, 93514 Montreuil cedex < /br>
- USJ-CFDT, 49, avenue Simon Bolivar, 75019 Paris < /br>
- SGJ-FO, 6, rue Albert Bayet, 75013 Paris < /br>
- SJ-FO, 2, rue de la Michodière, 75002 Paris < /br>
- SCJ-CFTC, 13, rue des Ecluses-Saint-Martin, 75483 Paris cedex 10 < /br>
- ANJRPC-UPC, 121, rue Vieille du Temple, 75003 Paris [Lien et adresse périmés, décembre 2013.] < /br> [Lien et adresse périmés, décembre 2013.] < /br>
- SAIF, 121, rue Vieille du Temple, 75003 Paris < /br>

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

A la une